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Il faut sauver le dinar des véritables prédateurs

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Chedly Ayari, Mohsen Hassen et Slim Chaker. 

L’Etat tunisien est-il au service des rentiers de tous genres: gros-importateurs, prédateurs, fraudeurs, traficoteurs, blanchisseurs, spéculateurs et contrebandiers ?

Par Mohamed Chawki Abid *

En fiscalité, les princes qui nous gouvernent ont toujours laissé filer les gros fraudeurs pour torturer les bons payeurs. En termes de régulation des «flux devises» sortants, et par souci de cohérence, ils entendent laisser filer les «gros poissons» (1% en nombre accaparant 99% des transferts) pour se limiter à torturer les ménages (99% en effectif à l’origine de 1% des transferts).

L’économie des bouts de ficelles

Quand nos gouvernants ferment les yeux sur les importations de «produits secondaires» (≈5 milliards de dinars (TND), soit un peu moins que la moitié du déficit commercial, pour s’attaquer aux petits transferts (études universitaires, voyages et omras…), nous sommes amenés à croire que nos gouvernants (exécutif, administratif et législatif) sont devenus des fonctionnaires auprès de la corporatocratie composée de divers rentiers sans scrupules : gros-importateurs, prédateurs, fraudeurs, traficoteurs, blanchisseurs, spéculateurs, contrebandiers…

L’industrie manufacturière prend feu sans que l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) ne soit préoccupée quant à l’avenir de ses industriels, et sans que le gouvernement ne soit inquiété quant à la désindustrialisation du pays. Pesant autrefois 23% du PIB, le secteur des industries manufacturières a été ramené à 15% du PIB, suite à la fermeture de quelques milliers de PMI et à la destruction de quelques centaines de milliers d’emplois.

Cette désertification progressive avait débuté depuis l’établissement de l’accord d’association avec l’Union européenne (UE, 1995), et semble s’accélérer avec l’ouverture de notre marché à la Turquie en 2012 et la baisse des droits de douanes (20%) sur les importations d’autres pays (notamment de la Chine) en 2016.

En conséquence, le déficit commercial prend une dimension intenable, jusqu’à accentuer la pression sur la balance des paiements, acculant ainsi l’Etat au surendettement extérieur à caractère improductif.

Ceci n’a pas alarmé nos dirigeants. Bien au contraire, sous les auspices de l’Utica, l’inflation des agréments d’installation d’enseignes franchisées se poursuit comme si notre balance des paiements n’affiche pas les signes précurseurs d’une imminente cessation de paiement.

Pourtant, et suite au report de l’échéance de l’emprunt qatari (500 millions de dollars US), il n’est pas un secret pour personne que nous risquons prochainement avoir du mal à garantir l’importation des produits alimentaires de base, des médicaments, des matières premières et des pièces de rechange, surtout que le service de la dette extérieure devra dépasser le pallier des 7 milliards de dinars en 2017.

Combien de fois avions nous-appelé à enclencher les mesures de sauvegardes (prévues dans l’accord avec l’Organisation mondiale du commerce et la convention avec l’UE), et à établir des barrières administratives et douanières face au flux d’importation massive des produits superflus (bien de consommation secondaires, bien de consommation ayant des équivalents fabriqués localement, articles de luxe…) ? Visiblement, les lobbyistes ont été plus puissants que les institutions de l’Etat, quand ils ne collaborent pas ensemble.

Il est surprenant de voir nos deux ministres de l’Investissement et du Commerce se féliciter pour la programmation d’une série de projets dans ce nouveau business juteux. Un tel comportemental nous laisse penser qu’ils ont changé d’employeurs.

Bilan devises du business

La logique première du business des enseignes occidentales (hypermarchés ou chaînes spécialisées) consiste à distribuer, sur des marchés libéralisés, des «biens de consommation» sans contraintes administratives ou monétaires. Les marques étrangères n’ont pas le choix, elles sont obligées de passer par un distributeur pour écouler leur marchandise. La solution la plus efficace consiste à passer à travers un affairiste de notoriété ayant un pouvoir d’influence respectable. D’où le recours à la grande maison de la synarchie économique.

La prospérité de ces nouveaux business nécessite du capital d’installation en dinar et surtout des fonds récurrents en devises pour parfaire les importations payer les royalties (voire les salariés expatriés), sans subir aucune exposition à des risques technologiques, industriels, sociaux ou autres. Bref, une vraie situation de rente s’installe confortablement et se développe allègrement, sur le dos des «ressources extérieures» du pays (bilan devises déficitaire), dans la mesure où la profitabilité de ce business est quasiment proportionnelle à la consommation de «fonds en devises» pompés sur les réserves de BCT, donc à la tension exercée sur la balance des paiements.

Le bilan devises mesure la contribution de chaque projet d’affaires dans l’équilibre de la balance des payements de l’Etat. Autrefois, le bilan devises d’un projet d’investissement était l’un des principaux critères d’évaluation par l’Agence de promotion des investissements (API) pour l’octroi d’un agrément. Pour ce faire, l’approche consiste à intégrer les flux de ressources en devises tels que le capital IDE et les ventes à l’exportation (clientèle non résidente dans ce cas), et à les faire croiser avec les dépenses d’investissement en devises (équipements), les achats en marchandises importées, les salaires d’expatriés, le payement des royalties, le transfert des dividendes revenant aux IDE, et divers autres dépenses en devises.

Il est clair que dans la plus part des cas du business de la franchise, le bilan devises est lourdement déficitaire. Si on venait à présenter un projet d’hypermarché, ou de concessionnaire auto, ou de chaîne spécialisée, ayant un «bilan devises» au moins nul, tout citoyen soucieux de la balance des paiements ne pourrait que soutenir un tel investissement.

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Mohsen Hassen «comparaît» devant les patronat. 

La volte-face de Mohsen Hassen

En conséquence à la décision d’indépendance de la Banque centrale de Tunisie (BCT) imposée par le Fonds monétaire international (FMI), et conformément à la lettre d’intention adressée par les deux garants des finances (gouverneur de la Banque centrale et ministre des Finances) à Christine Lagarde, l’institut d’émission a commencé à lever son pied du régulateur des cours de change en dépit du malaise de la balance des paiements.

Face à la dégringolade du dinar (TND, stoppée deux jours après par un retour à l’intervention BCT), le ministre du Commerce a annoncé vers la mi-juin l’instauration de mesures administratives et douanières visant la rationalisation des importations farfelues et la promotion des exportations de biens et services et ce, à l’effet de réduire le déficit commercial – dans un premier temps – d’environ 500 MTND. Il s’agit de pouvoir réguler le flux d’importations de biens de consommations superflus par l’augmentation des tarifs douaniers et l’établissement de barrières techniques, dans un souci de stabilisation des fondamentaux socio-économiques (sauvegarde des industries, préservation des emplois, entretien des réserves en devises, maîtrise de l’endettement extérieur, soutien du TND).

La veille du conseil des ministres concerné par ce dossier et devant se réunir le 22 juin, le ministre du Commerce a été convoqué par le bureau de l’Utica, pour lui faire tirer les oreilles et faire avorter in fini la validation par l’exécutif du plan d’actions adéquat. Il lui a été ordonné d’épargner les mesures préconisées aux importateurs de biens de consommations superflus, d’articles de luxe, de voitures et de produits fabriqués localement. En revanche, il lui a protocolairement dicté des mesures discriminatoires à l’adresses de segments minuscules et ne pouvant rapporter que des miettes.

Afin d’éviter un discrédit humiliant auprès de l’opinion publique, qui l’aurait amené à remettre son tablier pour échec dans l’aboutissement de sa stratégie, il a réussi à transmettre le dossier au gouverneur de la Banque centrale, Chedly Ayari, qui a réuni son conseil d’administration à cet effet.

Nous attendons la réaction du ministre du Tourisme, censé protéger le secteur des agences de voyage, d’autant plus que le «bilan devises» de cette activité est équilibré quand il n’est pas excédentaire de par les prestations d’intermédiation entre les tours opérateurs étrangers et les établissements hôteliers.

Nous attendons également l’interaction du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, devant nous éclairer sur l’enjeu des études à l’étranger en termes d’effectif, d’opportunité du savoir, et de coût réel en devises.

Nous attendons pareillement la réaction du ministre de l’Industrie, censé protéger le secteur le plus grand exportateur et le secteur le plus grand employeur, ainsi que le tissu industriel d’une désertification rampante.

Enfin, nous espérons que le futur gouvernement d’union nationale ne puisse renfermer en son sein des vauriens pouvant être débauchés par des groupes d’intérêts, voire des organisations mafieuses.

* Ingénieur économiste.

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