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Youssef Chahed : Un homme sous pression

Youssef-Chahed-Nidaa-Tounes

Youssef Chahed recevant une délégation de Nidaa, son parti. 

Le chef de gouvernement désigné Youssef Chahed aura du mal à satisfaire les attentes de toutes les parties. Et s’il s’arrangeait pour les neutraliser toutes en ne satisfaisant aucune d’entre elle?

Par Salah El-Gharbi

Youssef Chahed appartient au cercle restreint autour du fondateur de Nidaa Tounes, le président de la république Béji Caïd Essebsi, une garde rapprochée composée de compétences, la plupart du temps discrètes et évitant les spots médiatiques.

Paradoxalement, à ces éléments brillants du Mouvement, les journalistes ont toujours préféré les «bons clients» ou beaux parleurs, tels les Abdelaziz Kotti, Khemaies Ksila, Ridha Belhaj, Ons Hattab, Raouf Khamassi et autres Nabil Karoui, qui ont brillé, jusque-là, plus par leurs petites manœuvres politiciennes que par leur rayonnement intellectuel ou leurs exigences morales.

Suspicion, méfiance et pression

Homme réservé, propulsée soudainement sous les feux de l’actualité, devenu objet des commentaires et des spéculations les plus invraisemblables, le chef de gouvernement désigné mène, depuis une douzaine de jours, une vie publique des plus intenses.

Jamais, par le passé, un chef de gouvernement n’avait subi autant de pression avant même de prendre ses fonctions. Aussitôt nommé, Youssef Chahed est, en effet, l’objet d’une campagne médiatique impitoyable visant à le déstabiliser en insistant, pernicieusement, sur son supposé lien parental avec le président de la république.

Passée la période de la suspicion, est venue celle de la méfiance et c’est sa jeunesse, à la laquelle on ajoutait son «manque d’expérience», qui devenait la cible de ses détracteurs politiques. Bizarrement, même parmi ceux qui, dès le lendemain de la révolution de janvier 2011, fustigeaient la mainmise des seniors sur la vie politique, et qui, il y a quelques jours encore, menaçaient de s’opposer à la nomination d’une personnalité de l’«ancien régime», le trouvent «trop jeune et dépourvu d’expérience en politique».

Difficile de contenter tout le monde et, surtout, les éternels insatisfaits qui ont toujours à redire.
Avec l’ouverture du marathon des consultations pour la formation d’un gouvernement d’union nationale, la pression politique devient des plus âpres. Depuis, on assiste au déferlement des déclarations et des postures qui vont avec. Il s’agit, pour Youssef Chahed, de la première véritable épreuve avant d’affronter les défis qui l’attendent à la Kasbah, un vrai parcours de combattant au cours duquel l’homme doit faire preuve de beaucoup d’habilité face aux caprices, aux chantages, aux calculs de ses partisans, de ses futurs partenaires mais aussi de ses adversaires déjà proclamés.

Le jeu va être désormais plus serré. La question lancinante que tout le monde se pose est la suivante: Chahed, saura-t-il calmer les appétences de Nidaa et tempérer les prétentions d’Ennahdha? C’est, on le sait, de sa manière de gérer les négociations avec ces deux partis, qui dominent la coalition au pouvoir, que dépendra le vote de confiance au sein de l‘Assemblée, mais aussi sa propre réussite à la Kasbah.

Renvoyer Nidaa et Ennahdha dos-à-dos

Ainsi, à propos de Nidaa, Youssef Chahed aura d’abord à statuer sur le sort des ministres du gouvernement Habib Essid, une entreprise déjà très délicate (certaines rumeurs parlent du départ de Khaled Chouket et de Saïd Aidi), puis, à faire appel à de nouvelles têtes, essentiellement parmi les femmes les plus en vue du parti ou en dehors.

Si avec les Nidaistes, le chef de gouvernement désigné saura réussir son pari, avec les Nahdhaouis, les négociations s’annoncent déjà rudes. Il suffit de suivre les déclarations des cheikhs Rached Ghannouchi et Abdelfattah Mourou, lesquels ne cessent de faire de la surenchère afin d’obtenir le maximum de portefeuilles ministériels, pour se rendre compte des enjeux. Quoi qu’il en soit, les islamistes seront plus nombreux dans le futur gouvernement que dans celui d’Essid même si leur présence restera moins importante que leur poids à l’Assemblée.

Pour contourner l’écueil des islamistes, Youssef Chahed pourrait être amené à restreindre la part de Nidaa, quitte à faire beaucoup de mécontents au sein de sa propre famille politique. Cette option le libérerait du diktat d’Ennahdha mais aussi des critiques d’Afek et de l’UPL, les deux autres partis de la coalition gouvernementale, surtout qu’il compte intégrer, au sein de son équipe, des compétences nationales indépendantes pour diriger plusieurs départements de souveraineté (Intérieur, Justice, Défense, Affaires étrangères) ou techniques (Economie, Finances, Energie…).

Toutefois, outre la pression de la formation du gouvernement, le poids le plus lourd que Youssef Chahed devra porter durant les années à venir reste celui du devoir qui incombe au nouveau chef de gouvernent et qui consiste à faire sortir le pays du marasme économique dans lequel il vit depuis plusieurs années.

Il s’agit bien de désembourber la roue, comme dirait le président de la république. Une mission difficile, mais pas impossible si le jeune futur chef du gouvernement restera fidèle à lui-même, à l’écoute de ce que lui dicte son devoir, sourd aux chantages et immunisé contre les coups bas des loups de la politique et des requins des affaires.

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