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Réponse au ‘‘Figaro’’: La Tunisie ne peut faire face seule au terrorisme

La Tunisie est devenue, à son insu, le 1er exportateur mondial de terroristes, mais elle ne peut faire face à un fléau mondial qui menace la démocratie à laquelle elle aspire.

Par Rabâa Ben Achour-Abdelkéfi *

La Tunisie, écrit en substance ‘‘Le Figaro’’ du 23 décembre 2016, infeste le monde de ses terroristes. «Rapporté au chiffre de sa population, la Tunisie est le premier exportateur de djihadistes au monde. Plus de 5000 de ses ressortissants sont partis sur les zones de combats d’Irak, Syrie et Libye. Plus de 800 sont revenus au pays. Et, à l’évidence, parmi les djihadistes tunisiens, un certain nombre sont susceptibles de frapper en Europe», souligne le journal français.

Oui, la petite Tunisie, ce pays dont on ne connaissait que les plages, les hôtels et le sourire débonnaire, a révélé, au lendemain de la révolution (janvier 2011), un visage effrayant. Dès le mois de février, des milliers de femmes voilées et d’hommes barbus, marqués au front du sceau de l’islam, exaltés, sûrs d’eux-mêmes et de leur destin exceptionnel au royaume des cieux, ont brandi le drapeau noir d’Allah et ont ressorti des tiroirs de l’histoire un discours depuis longtemps oublié.

Les terroristes : enfants de l’islamisme et de la dictature

D’où viennent-ils et qui sont-ils?

Ils viennent des prisons de Bourguiba et de Ben Ali, des lycées et des universités, des périphéries des villes, des régions déshéritées, mais aussi de Londres et de Paris. Qui sont-ils ? De jeunes «paumés», dévorés par la frustration sociale et sexuelle, souvent diplômés et pourtant ignorants, fascinés par l’occident qu’ils détestent, n’ayant d’autres loisirs que celui de fréquenter des cafés où ne se pressent que des hommes, de franchir la Méditerranée au péril de leur vie ou de se suicider.

Pourquoi ont-ils adhéré au discours islamiste ?

La liberté de pensée, sans laquelle la liberté d’expression n’est que logorrhée, mimétisme et ressassement, ne constitue pas un principe sur lequel la famille et l’école fondent l’éducation des enfants. Si le bilinguisme, qui donnait aux élèves, jusqu’aux années 1970, une ouverture sur la culture française, les a conduits à poser sur leur société un regard distancié, l’arabisation qui s’est accompagnée d’un affaiblissement de disciplines telles que l’histoire, la littérature et la philosophie, a fait perdre à l’école une de ses fonctions premières : le développement de la réflexion.

Un pays où l’école est défaillante, où le traditionalisme social et religieux se confondent et sont théorisés, justifiés et présentés comme la seule référence et la seule vérité, produit une jeunesse apte à adhérer à un discours radical.

Un pays pauvre où un libéralisme mal étudié se développe, où la corruption sévit, où l’ostentation fait rage, où l’argent circule à flots, où les médias diffusent publicités mensongères et mauvais feuilletons, produit une jeunesse apte à adhérer à un discours radical.

Qui ignorait la misère matérielle, morale et intellectuelle qui frappait la Tunisie ? Nous autres Tunisiens savions que le pays allait à la dérive. Les Européens et les Américains le savaient aussi. Le silence était pourtant total et les voix de quelques militants défenseurs des droits de l’homme n’étaient relayées par aucun média. L’Europe a soutenu le régime Ben Ali et, paradoxalement, prêté asile aux chefs islamistes, ses ennemis, qui, de leur pays d’exil, mettaient en œuvre un programme tout tracé: islamiser la société tunisienne. Ce double jeu lui permettait à la fois de préserver sa réputation de «vieille démocratie» et de maîtriser, grâce au dictateur, le petit pays qui, de toute évidence, allait imploser.

La Tunisie est, pour son malheur, le premier exportateur mondial de terroristes. Pouvait-il en être autrement ?

Le parti islamiste Ennahdha, en bon père de famille, a ouvert les frontières à ses «enfants», les djihadistes, et aux prédicateurs les plus radicaux.

Tourner le dos à la Tunisie est injuste

La Tunisie n’a pas eu, fort heureusement, de guerre civile, et ses combattants, qui n’avaient pas les coudées larges pour mettre le pays à feu et à sang, ont vu, dans les pays en guerre et dans les pays «impies», l’opportunité de mettre leurs projets terroristes en exécution.

Que les Tunisiens soient les seuls responsables de la tourmente dans laquelle ils vivent aujourd’hui, c’est la stricte vérité. Nous ne pouvons que le reconnaître.

Mais la Tunisie est à la porte de l’Europe et si elle s’enlise davantage, l’exportation de terroristes ne fera qu’augmenter. Nous sommes engagés dans le même combat, sécuritaire certes, mais aussi et surtout économique, social et culturel. Tourner le dos à la Tunisie, en lui reprochant de produire des terroristes, est injuste : injuste parce que la Tunisie a donné à l’Europe, essentiellement à la France, ses cadres, ses médecins, ses ingénieurs et ses ouvriers, injuste parce que les pays européens ont mis à mort le tourisme tunisien au moment où eux-mêmes sont producteurs de terroristes et victimes d’actes terroristes, injuste parce qu’ils jettent l’opprobre sur un peuple entier quand ils savent que le fléau n’a pas identité nationale.

La Tunisie se débat seule. Pauvre et endettée, minée par un régime mafieux et dictatorial durant des décennies, délaissée par les investisseurs, agitée par les ambitions personnelles de la classe politique, par la contestation sociale, par le régionalisme, le corporatisme et le manque de civisme, obligée d’acheter des armes au prix fort afin de protéger ses frontières et celles de l’Europe, elle ne peut être mise sur le banc des accusés.

La Tunisie ne peut faire face au fléau qui menace la démocratie à laquelle elle aspire. Le terrorisme, c’est l’affaire de tous. L’oublier, l’occulter, répondre au discours de la haine, par le discours raciste, c’est aller vers la catastrophe généralisé et la mondialisation, à défaut d’apporter la prospérité, aura largement contribué à produire le terrorisme.

* Universitaire et écrivaine.

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