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Assassinat de Chokri Belaid : Les dessous d’un crime islamiste (5e partie)

Une nouvelle audience, aujourd’hui, mardi 27 décembre 2016, du procès de l’assassinat de Chokri Belaid. L’occasion de rafraîchir certaines mémoires oublieuses.

Par Abdellatif Ben Salem

En réaction à la puissante mobilisation des Tunisien-ne-s le jour des funérailles du leader du Front populaire le Martyr Chokri Belaid, deux jours après son assassinat à Tunis, le 6 février 2013, le parti islamiste Ennahdha, qui conduit la troïka, la coalition gouvernementale de l’époque, organisa moins de deux semaines après, un contre-rassemblement, en plein cœur de la capitale.

«Crevez de rage!», lançait Ghannouchi

Y étaient présents la plupart des dirigeants de ses franges extrémistes, dont Habib Ellouze, député de Sfax, et le provocateur ministre de l’Agriculture, la brute épaisse Mohamed Ben Salem, Sahbi Atig, Rached Ghannouchi et quelques excités du Congrès pour la république (CpR), le parti de Moncef Marzouki, alors président provisoire de la république «élu» avec quelque… 7.000 voix.

Sur le côté de la tribune trônait curieusement le portrait du secrétaire général du Néo-destour, Salah Ben Youssef, assassiné par balle sur ordre du premier président de la république tunisienne, Habib Bourguiba, dans un guet-apens tendu dans un hôtel à Francfort en 1962. Par un jeu pervers de substitution, les islamistes d’Ennahdha et leurs acolytes voulaient suggérer l’idée qu’il n’est pas martyr qui veut. Leur refus subliminal, à travers le non-dit de l’exposition de l’effigie de Ben Youssef, de reconnaître à Belaid le statut de martyr, tant envié dans l’idéologie islamiste considérant le sacrifice comme valeur suprême, en disait long sur l’aspiration inavouable d’Al-Murshid al-‘Âm, Rached Ghannouchi, à jouer, à l’image du pape de la chrétienté, le rôle d’intercesseur dans le processus extrêmement complexe et codé de béatification des martyrs et de canonisations des saints, pratiqué depuis des siècles par l’Eglise catholique(1). Il ne sera pas surprenant qu’une fois parvenu au stade ultime du «tamkîn»(2), la sancta sanctorum de Monplaisir, quartier de Tunis où se trouve le siège d’Ennahdha, devienne le siège d’un ersatz de la «Congrégation de la doctrine de la foi»(3), seule habilité à délivrer ou pas le précieux sésame qui ouvrira grandes ouvertes les portes du jardin de l’Eden peuplé de houris languissantes.

Comme on pouvait s’y attendre, Soufia Zouhir (décédée il y a un an), veuve du chef nationaliste, et ses enfants ont moyennement apprécié cette mauvaise plaisanterie. Ils ont d’ailleurs publiquement dénoncé la tentative honteuse des islamistes de faire main basse sur la symbolique de l’une des grandes figures du mouvement national.

A la fin de ce meeting, Rached Ghannouchi, étranglé par la haine, a poussé le fameux cri de ralliement des foules fanatisées par le terroriste égyptien Wajdi Ghanim : «Crevez de rage!» («Mûtû bi-ghaydhikum»).

La Tunisie venait d’entamer sa course vers l’abîme.

L’entente Ghannouchi – Caïd Essebsi

Pour avoirs traité déjà certains aspects de l’évolution strictement juridique de l’affaire dans les parties précédentes de la série ou dans des articles intermédiaires, nous n’allons pas revoir en détail les péripéties des reports successifs du procès ou les changements à une cadence rapide des sept ministres qui se sont succédés, depuis mars 2013, à la tête du département de la Justice(4), dont le limogeage – pour la plupart – était souvent lié, malgré ce qu’on a pu affirmer ici et là, aux dossiers soit des assassinats politiques soit de la lutte antiterroriste, idem pour les épisodes du conflit permanent opposant depuis trois longues années le comité de défense de Chokri Belaid et ses héritiers et le magistrat instructeur du bureau N°13 du pôle de lutte antiterroriste qui s’est conclu, en avril 2016, par la requête introduite par la Parti des patriotes démocrates unifié (Watad), dont Belaid était le secrétaire général, de le dessaisir du dossier de l’affaire de l’assassinat pour absence de neutralité. Béchir Akremi est, en effet, soupçonné d’appartenir à l’ancien parti de Moncef Marzouki, le CpR. Sa nomination récente au poste de Procureur de la république n’y changera pas grand-chose, car aucun-e- Tunisien-n-e n’acceptera qu’on sacrifie une seconde fois les martyrs de la nation sur l’autel des petits calculs partisans.

Nulle exagération de dire aujourd’hui, en phase avec des larges secteurs de l’opinion, que les irrégularités et la violation de la loi qui ont entaché et entachent encore le dossier de l’enquête sur les assassinats politiques, sont la conséquence logique du deal politique entre Nidaa Tounes et Ennahdha, passé trois semaines après l’assassinat du député de la Constituante et secrétaire général du Courant populaire, Mohamed Brahmi, lors de la rencontre secrète de Paris, le 15 août 2013, entre Rached Ghannouchi et Béji Caid Essebsi, et sur lequel il n’est pas superfétatoire de revenir encore une fois, puisque nous ne sommes pas sûrs que la mémoire collective de notre peuple réservera aux protagonistes de ce mystérieux épisode une place d’honneur.

Alors que la colère gronde à Tunis, en ce 15 août 2013, le président de Nidaa Tounes, Béji Caid Essebsi, en séjour de santé à Paris, répond à une sollicitation du président du Mouvement Ennahdha, souhaitant le rejoindre dans la capitale française pour s’entretenir sur la situation politique dans le pays après l’assassinat de Mohamed Brahmi.

Ici les versions divergent à propos de la paternité de l’invitation. Ghannouchi soutient que c’est Caid Essebsi qui l’aurait invité. L’entretien a été parrainée par de nombreuses personnalités dont l’homme d’affaires Slim Riahi, président de l’Union patriotique libre (UPL), qui aurait mis à disposition de Ghannouchi son jet personnel pour le transporter à Paris, Nabil Karoui président de la chaîne privée Nessma, ami proche du diplomate espagnol Bernardino León, représentant de l’Union européenne (UE) pour la région sud de la Méditerranée, ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement socialiste de Luis Rodriguez Zapatero, et, apparemment, fin connaisseur des subtilités du jeu politique dans les pays d’Afrique du Nord. León aurait rempli, en tant que Monsieur bon office de l’UE, un rôle prépondérant dans le rapprochement des points de vue de deux dirigeants tunisiens au cours de cette rencontre qui eut lieu à l’hôtel le Bristol situé dans les quartiers chics, rue du faubourg Saint-honoré(5).

Après celle de Paris, de nombreuses autres rencontres secrètes entre les deux hommes suivront à Tunis. Trois ans et demi plus tard, on n’en sait pas plus sur leurs contenus respectifs.

Caïd Essebsi déclarera plusieurs mois après, que ces «pourparlers» se sont déroulés dans «une ambiance franche et amicale», tout en précisant qu’en langage diplomatique cela veut dire que «nous ne sommes tombés d’accord sur rien !».

Mais de l’avis de plusieurs observateurs, cette rencontre «inopinément» voulue par Ghannouchi, a ouvert un canal de dialogue inespéré entre les Frères musulmans et Caïd Essebsi. En tendant la perche aux islamistes et leurs alliés totalement aux abois, le président de Nidaa Tounes a conclu, peut être sans le savoir ni le vouloir, ou l’inverse, un pacte sur le partage futur du pouvoir avec Ennahdha. Et pas seulement. Il aurait, en décidant de la nature du régime politique qui préside aujourd’hui à notre destinée, consacré sur le moyen terme l’immobilisme des institutions, plombant au passage toute évolution politique vers plus d’ouverture et de démocratie.

D’autre part le geste salutaire de Caïd Essebsi envers Ennahdha a évité l’effondrement fracassant de la «troïka». La chute programmée de la maison islamiste, sous les coups de butoir d’une nation meurtrie et blessée au cœur par un deuxième assassinat politique, fut reportée, mais pour combien de temps encore

Une fois élu président, Caid Essebsi a reconnu, lors d’une intervention télévisée en 2016, «le mal que lui-même et Ghannouchi se sont donné depuis la rencontre de Paris pour parvenir à ce compromis – tawâfuq – [partage du pouvoir]»(6).

Le récent verdict innocentant, contre toute attente, le prévenu principal Said Chibli (CpR) et ses complices d’Ennahdha et des Ligues de protection de la révolution (LPR), dans l’affaire du meurtre de Lotfi Nagdh – documenté par le son et par l’image : «Vas-y cogne, il bouge encore» – représentant de l’Union régional des agriculteurs et responsable de la section de Nidaa Tounes à Tataouine, a soulevé une vague d’indignation générale à travers le pays.

Ce jugement rendu par une justice dont l’indépendance, suscite, de l’avis même des maints observateurs aussi bien Tunisiens qu’étrangers, bon nombre de questions, eut comme résultat de conforter la thèse de l’entente probable entre les deux responsables sur la fermeture du dossier des assassinats et celui de la violence politique des islamistes, pour sauvegarder prétendument «la paix civile et l’unité de la nation».

Décliné sur au autre ton, ce que nous redoutions eut bien lieu. La raison d’Etat est en passe de l’emporter sur toutes les autres considérations aussi essentielles soient-elles pour l’avenir du pays.

Quoi qu’il en soit, la volonté de puissance, le passage du temps, l’oubli, la mémoire courte ou le chantage ne sauront effacer les traces que les uns et les autres avaient laissées sur le théâtre du crime. Dans certaines conditions historiques, les hommes ont des responsabilités objectives et un jour ou l’autre, ils seront contraints de les assumer. Cela arrive qu’ils soient acquittés par la justice des hommes, en revanche ils ne seront jamais absous par le tribunal de l’histoire.

Les batailles juridiques

Me Mohamed Jmour, secrétaire général adjoint du Watad et Me Nizar Senoussi, membre du comité de défense de Chokri Belaid, ont révélé, le 3 février 2016, que l’ex-ministre de la Justice Mohamed Salah Ben Aissa a été limogé, le 20 octobre 2015, à la suite d’une «correspondance adressée au procureur de la république lui enjoignant, en tant que chef du parquet via le procureur général de la cour d’appel, une série de demandes auxquelles le juge est sommé de répondre [concernant l’affaire de l’assassinat]», notamment la faculté de signer l’acte d’accusation contre toute personne soupçonnée d’être impliquée dans le meurtre du dirigeant du Watad.

Le 9 juin 2016, Me Ali Kalthoum a révélé que le syndicaliste Walid Zarrouk – condamné à 18 mois de prison dans le silence général – lui a confié que, le 6 février 2013, un officier de police l’avait informé qu’une patrouille de police avait pris en chasse et intercepté un véhicule à bord duquel se trouvaient 4 hommes armés. En procédant au contrôle de routine les policiers furent surpris de découvrir que les quatre passagers du véhicule faisaient partie de l’équipe de protection de Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha. Alerté, le chef du district du gouvernorat de l’Ariana, où venait d’avoir lieu l’assassinat de Belaid, donna l’instruction à la patrouille de les relâcher immédiatement.

Après la décision inattendue prise, à partir de l’étranger, par le juge d’instruction, de clore le dossier de l’instruction dans l’affaire Belaid – décision d’autant plus incompréhensible que la partie civile était en contact fréquent avec son bureau – et son refus subséquent de fournir à la partie plaignante une notification écrite de cette décision, le parti Watad a annoncé, le 19 avril 2016, qu’il se réserve le droit de porter cette affaire devant les juridictions internationales, estimant que la décision du juge du Bureau N°13 et le résultat prévisible de la multiplication des indices attestant de l’absence d’impartialité de la justice tunisienne. Le bureau politique de la formation de gauche a protesté énergiquement contre cette décision que rien ne justifiait si ce n’est les interférences extérieures visant à entraver le cours de la procédure.

Ce communiqué dénonce également les pressions exercées par la coalition quadripartite au pouvoir, notamment par Ennahdha et Nidaa Tounes, qui cherchent à enterrer l’affaire des assassinats, et réitère sa dénonciation du refus catégorique du juge d’instruction de donner suite aux recommandations émises par la chambre de mise en accusation et la Cour de cassation, le pressant d’interroger l’ancien ministre islamiste de l’Intérieur et ancien chef du gouvernement Ali Larayedh – qui n’a été entendu qu’une seule fois comme témoin en septembre 2015 –, et de nombreux responsables de haut rang de la sécurité intérieure, comme suspects et non comme témoins.

Le parti Watad estime, que, le juge du Bureau N°13, fort de ses protections politiques, a sciemment ignoré les instructions de l’ancien ministre de la Justice Mohamed Salah Ben Aissa en sa qualité de président du ministère public.

Comme nous le savons, Mohamed Salah Ben Aissa fut remercié d’une manière pour le moins inélégante, en représailles à son alignement sur la stratégie de la défense de Belaid, quand il adressa un mémorandum au juge d’instruction Béchir Akremi, pour attirer son attention sur les lenteurs de l’instruction et l’inviter à étendre l’enquête à tous ceux dont les noms ont été cités en lien avec l’assassinat.

Le bureau politique du Watad a également dénoncé l’existence d’une réelle volonté de soustraire aux poursuites judiciaires certains dirigeants d’Ennahdha et des responsables de haut rang de l’appareil de sécurité en activité au moment des fait. Mohamed Jmour a qualifié la clôture de l’instruction de cas de jurisprudence sans précédent en matière d’affaire criminelle.

Le 16 juin 2016, le bloc parlementaire d’Ennahdha a voté le report de l’audition des ministres de l’Intérieur Hédi Majdoub et de la Justice Omar Mansour sous le faux prétexte du risque d’interférences avec le procès des assassins prévu pour le lendemain 17 juin 2016.

Zouhair Hamdi, secrétaire général du Courant populaire, fondé par le martyr Mohamed Brahmi, a menacé, en marge de la «Journée de colère» convoquée devant le tribunal de première instance de Tunis pour exiger la vérité sur les vrais commanditaires des assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, que, eu égard aux énormes pressions politiques, de porter l’affaire devant les juridictions internationales.

La première journée du procès du 17 juin a été émaillée par des incidents provoqués par le refus de 11 inculpés de se lever à l’appel par respect pour la cour. Qualifiant la cour et les juridictions civiles de «taghout» les 18 autres prévenus ont refusé de comparaître.

Une source judiciaire proche du dossier a affirmé que des témoignages confirment que Kamel Gadhgadhi, assassin présumé de Belaid, et Al-Somali ont été interpellés par des agents de sécurité vers la fin de l’année 2013, soit onze mois après le meurtre, à bord d’un taxi, non loin du quartier Ettadhamen, puis relâchés à la demande du ministère de l’Intérieur.

La défense représentée par Me Salah Hajri, a exigé un complément d’enquête sur les circonstances de l’exécution, à Raoued, le 4 février 2014, de Kamel Gadhgadhi, considéré comme la boîte noire des assassinats des deux dirigeants de gauche, et de ses complices. Il exigea pareillement des services des renseignements tunisiens, la demande à leurs homologues français de leur communiquer le dossier classé confidentiel du terroriste franco-tunisien Boubakr El-Hakim pour prendre connaissance des conditions dans lesquelles ce dernier a pu entrer, probablement grâce à des complices, sur le territoire national après le 14 janvier 2011.

Le 22 juin, les deux ministres de l’Intérieur et de la Justice se soumettent finalement à une séance de questions devant les représentants de l’Assemblée. Rien de nouveau ou presque n’en est sorti, excepté quelques précisions fournis par le titulaire du portefeuille de l’Intérieur sur l’arme du crime, harponnées dans les comptes rendus de la presse quotidienne ou dans les données fournis par ses prédécesseurs Najem Gharsalli et Lotfi Ben Jeddou.

Au sujet du compte rendu de l’examen balistique, rien de nouveau non plus. Aucune nouvelle donnée sur le sort de la note envoyée par l’antenne locale de la CIA avertissant de l’imminence d’un attentat contre Mohamed Brahmi. Omar Mansour, alors ministre de la Justice, s’est livré pour sa part à un véritable numéro de prestidigitation en entonnant une ode à l’indépendance de la magistrature tunisienne. Mal lui en prit, car sa brillante prestation n’a pas empêché son éjection en moins de temps qu’il ne faut pour le dire du fauteuil de la Justice. A défaut, M. Mansour est allé exercer ses talents en tant que gouverneur de Tunis, de grand spécialiste devant l’Eternel, en débarras des terrasses de bistrot en constructions anarchiques et autres décharges, où il acquit rapidement une solide réputation de «terreur des paillottes». Rideau !

Le 4 juillet 2016, attendu depuis plus d’un an, la décision du Watad de déposer plainte contre Béchir Akremi, premier juge d’instruction du bureau N°13 du pôle de lutte anti-antiterroriste, trouve sa concrétisation. La partie civile accuse Béchir Akremi de «complicité d’homicide volontaire avec préméditation commis sur le sol tunisien, de meurtre, de dissimulation des preuves pouvant conduire à la manifestation de la vérité par personne investie de la charge de mettre à contribution tous les moyens pour y parvenir, tels les aveux spectaculaires de Ameur Belghazi («A. B.»), qui a reconnu lors de sa déposition, avoir été approché par les auteurs de l’assassinat pour lui demander de les aider à se débarrasser des armes du crime, deux pistolets. «A. B.» aurait accepté de coopérer. Il s’est servi d’une embarcation appartenant à son père pour jeter au large les armes du crime. Cet homme a été relâché sans qu’aucune charge ne pèse sur lui. Sa déposition ne figurait pas dans le procès-verbal d’audition.

Quatre jours plus tard, le 8 juillet, quelques jour avant son départ, le ministre de la Justice Omar Mansour annonce, dans un communiqué du ministère de la Justice, qu’il a confié la plainte en question à l’inspecteur général du ministère afin d’auditionner dans les plus brefs délais un représentant du Watad, de procéder aux investigations qui s’imposent et d’en informer le président de l’Instance provisoire de l’ordre judiciaire.

Le Watad sollicita du parquet général de verser l’ensemble des preuves, des pièces à conviction, des documents, des scellés, des rapports, des procès verbaux de police que le magistrat instructeur Béchir Akremi s’est refusé de faire, malgré les nombreuses relances de la partie civile tout le long des trois dernières années. Il appela le pouvoir judiciaire à faire toute la lumière sur le meurtre de Belaid, quelles que soient l’influence ou la capacité d’entrave du ou des commanditaires.

Comme dans un mauvais film, la réponse n’a pas tardé : le 21 juillet 2016, Béchir Akremi est propulsé cyniquement au poste de procureur général près du tribunal de Tunis, probablement pour services rendus.

Le 28 octobre, réouverture du procès des assassins de Belaid, en présence de 10 inculpés en état d’arrestation. Les prévenus (Mohamed Aouadi; Mohamed Akkari; Abderraouf Talbi; Mohamed Amine El-Gasmi; Ahmed El-Melki alias Al-Somali et 6 autres inculpés) ont refusé de comparaître, considérant que la cour et les juridictions civiles sont des «taghout» non qualifiées pour les juger. Kais M’chala a comparu en prévenu libre. Alors que Allam Al-Tizaoui et Hamza Arfaoui sont en fuite.

Les avocats de la défense ont réitéré leurs accusations contre le magistrat instructeur du bureau N°13, évoqué l’implication de Ameur Belghazi dans la dissimulation des armes des crimes. Me Nizar Senoussi a souligné la disparition de nombreux documents dans le dossier d’instruction parmi lesquels un document d’importance. Me Hajri a exprimé son indignation face à l’interdiction faite aux deux filles de martyr Chokri Belaid ainsi qu’à d‘autres citoyens d’accéder à la salle du tribunal et considéré cette décision comme la violation d’un droit constitutionnel. Me Ali Kalthoum, représentant de la partie civile, s’est étonné que l’affaire de l’homme d’affaire Fathi Dammak ne soit pas versée au dossier de l’assassinat de Belaid, puisque le nom du défunt figurait bel et bien dans la liste des éliminations physiques qui lui fut soumise à l’homme d’affaires par les tueurs à sa solde.

Après délibérations le juge près le tribunal de première instance de Tunis a rejeté les demandes de libérations présentées par la défense de la partie adverse et renvoyé, à la demande du comité de défense de Chokri Belaid, le procès au 27 décembre 2016.

Retour de manivelle

Un des avocats de la défense, membre de la Fondation Chokri Belaid contre la violence, a accusé, au cours d’une conférence de presse, le mouvement Ennahdha et l’ancien ministre de l’Intérieur islamiste Ali Larayedh d’avoir indûment fournis des enregistrements des conversations privées en possession du ministère à des inconnus. Le même avocat a révélé qu’Ali Larayedh a empêché l’interpellation de Kamel Gadhgadhi et d’Ahmed El-Melki (Al-Somali), principaux accusés dans les assassinats de Belaid et de Brahmi.

Le 23 novembre 2016, des sources bien informées ont annoncé que l’affaire Chokri Belaïd allait connaître un rebondissement inattendu. Les avocats de la défense ont relevé l’existence d’un vice de forme susceptible de remettre en cause d’une manière certaine toute l’instruction de cette affaire, à savoir la nomination – incompatible donc créant un conflit d’intérêt – du très contesté juge d’instruction du bureau N°13 du pôle de lutte antiterroriste Béchir Akremi au poste de procureur général de la république par le chef du gouvernement.

Le 9 décembre, le tribunal de grande instance a ordonné à la chambre d’accusation de retourner le dossier au juge d’instruction – ce qui entraîne automatiquement l’annulation de la décision de Béchir Akremi de clore l’instruction – en charge de l’affaire de l’assassinat de Belaid pour réexamen du dossier des armes des crimes, deux pistolets, que le prévenu Ameur Belghazi avait reconnu avoir jetées au large, à la demande des auteurs des deux assassinats, d’interroger ce dernier et de le mettre en examen dans le cadre de cette enquête.

Le 15 décembre, le parti de Chokri Belaid a déposé enfin une plainte pénale et administrative contre l’ancien juge d’instruction du Bureau N°13, lui reprochant notamment l’infraction suivantes :

– falsification et contrefaçon d’un P.V d’audition par ajout de noms de suspects ne figurant pas dans les documents originaux;

– manipulation de faits et d’indices matériels concernant Ahmed Rouissi et leur attribution – confirmée par Interpol – à un autre suspect;

– le bidouillage du juge d’instruction a dangereusement desservi le processus de découverte de la vérité et permis aux principaux suspects dans l’assassinat d’échapper à la justice, en quittant illégalement le territoire national grâce à des complicités des réseaux de police parallèle.

Le 16 décembre, Me Basma Khalfaoui, veuve de Chokri Belaid, annonce qu’avec l’invalidation par la chambre de mise en accusation de la cour d’appel de la décision de clôture de l’enquête dans l’affaire de l’assassinat de Chokri Belaid, un tournant décisif vient d’être accompli. La chambre vient de satisfaire en effet à toutes les requêtes du comité de défense de Chokri Belaid, en ordonnant le retour du dossier «saucissonné» («tafkîk») de l’affaire de l’assassinat, dans son intégralité, au nouveau juge d’instruction du bureau N°13, nommé après le départ de Béchir Akremi, en recommandant de procéder spécifiquement à l’exécution scrupuleuse de toutes les requêtes présentées par le comité de défense de Belaid dont nous citons quelques unes sur les quinze exigées :

– audition de la mère de Kamel Gadhgadhi, auteur (exécutant) du meurtre;

– audition des fonctionnaires des services de sécurité tunisienne impliqués dans l’exfiltration de Seifallah Ben Hassine alias Abû Iyadh, cités par le syndicaliste Walid Zarrouk;

– expertise de l’ordinateur portable du terroriste Ahmed Rouissi, égaré, ensuite retrouvé, pour vérifier si l’appareil sécuritaire parallèle inféodé à Ennahdha, au CpR et à Ettakattol, était bien à l’origine du formatage et de la suppression des données contenues dans son disque dur;

– convocation du citoyen libyen Mosbah Bchiri aux fins de l’interroger sur ses liens avec le chef de la milice islamiste extrémiste de Fajr Libya, Abdelhakim Belhaj, suspecté par ses liens avec des groupes terroristes tunisiens ou opérant en Tunisie, d’être mêlé à l’assassinat de Chokri Belaid;

– audition des accusés – dans une autre affaire – Mohamed Akari et Mohamed Aouadi, membres de la branche armée d’Ansâr Chariâ;

– réouverture de l’enquête sur le sort des armes du crime jetées au large par Ameur Belghazi, etc.

Notes :

1- L’assassinat de Mohamed Zouari, abattu récemment à Sfax par des agents du Mossad, a donné lieu à un affrontement au sein d’Ennahdha entre les franges extrémistes conduites, du moins publiquement, par Abdellatif Mekki, et les partisans de Rached Ghannouchi sur la reconnaissance du statut de martyr à Zouari, constitue une parfaite illustration de ce que j’avance. Doublé par sa droite extrême, Ghannouchi campe toujours sur ses positions : après avoir démenti officiellement tout lien de Zouari avec le mouvement islamiste, il persiste dans son refus de lui accorder l’honneur de porter le titre de martyr.

2- Ou conquête absolue de la totalité du pouvoir par l’islam politique, telle qu’Erdogan venait de nous en offrir l’exemple éclatant en Turquie au bout de 13 ans «de compatibilité entre islam et démocratie!»

3- Héritière de l’Inquisition romaine et universelle. Après sa dissolution par Napoléon, le Tribunal du Saint Office, plus connu sous le nom générique d’Inquisition, est entré en quelque sorte en clandestinité et a survécu jusqu’au jour d’aujourd’hui sous différentes appellations dont celle mentionnée plus haut. Elle fut résidé jusqu’à 2005 par Je Cardinal Joseph Ratzinger avant son élection comme Pape, identique à l’institution de la Hisba – remise au goût du jour par les islamistes – en terre d’islam, la «Congrégation» poursuit son rôle de «veille sur la pureté de la doctrine et des mœurs».

4- Noureddine B’hiri (Ennahdha); Nadhir Ben Ammou (Ennahdha); Hafedh Ben Salah (indépendant) ; Mohamed Salah Ben Aissa (indépendant); Farhat Horchani (indépendant); Omar Mansour (indépendant); Ghazi Jeribi (indépendant).

5- Au tarif d’environ 4.500 dinars la journée.

6- Qui faut-il croire? Le «Bajbouj» acclamé par la foule pendant l’Itisâm al-rahîl (sit-in du Départ au Bardo en 2013) comme le sauveur de la patrie de la pègre islamiste ou le Béji Caid Essebsi qui s’échine, une fois élu président, à expliquer à qui veut l’entendre qu’Ennahdha s’est démocratisée et a coupé ses liens avec l’organisation des Frères musulmans ? Depuis qu’il a été popularisé par les islamistes, le double langage est devenu décidément un véritable fléau dans notre pays, polluant tous les rapports sociaux dans tous les domaines de la vie.

Précédents articles :

Assassinat de Chokri Belaïd: Les dessous d’un crime islamiste (1ère partie).

Assassinat de Chokri Belaid : Les dessous d’un crime islamiste (2e partie)

Assassinat de Chokri Belaid : Les dessous d’un crime islamiste (3e partie)

Assassinat de Chokri Belaid : Les dessous d’un crime islamiste (4e partie)

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