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Assassinat de Chokri Belaid : Les dessous d’un crime islamiste (3e partie)

Chokri Belaïd

Kapitalis reprend dans cette troisième partie le fil du récit de la reconstitution de l’assassinat de Chokri Belaïd.

Par Abdellatif Ben Salem

Nous reprenons le récit de ce drame national tunisien là où on l’a laissé dans le précédent article…

Mercredi 6 février 2013: jour de l’assassinat:

Nouvelle coupure de l’éclairage public. Les câbles alimentant le circuit électrique ont été sectionnés.

7H21 : Le même véhicule sans plaque d’immatriculation apparaît sur l’écran de la vidéo surveillance.

7H38 : Kamel Gadhgadhi entre dans le champ de la caméra.

Nadia Daoud, voisine du 4e et amie des Belaïd, n’est pas en bonne forme ce matin au réveil. Et pour cause, elle n’a pas fermé l’œil de la nuit. Elle ne sait pas où donner de la tête, entre les soucis que lui causent sa mère souffrante qu’elle doit veiller, et la rédaction d’un projet qu’elle doit rendre ce matin même. Le temps passe très vite. Au petit matin, vers 5H00, complètement lessivée, elle laisse son projet et va s’assoupir, le temps de récupérer un peu, mais n’y arrive pas.

A 7H45 : bien qu’assommée par le manque de sommeil, Nadia prend la résolution de s’extraire de son lit. Elle se dirige vers le réfrigérateur, en saisit un jus, se remplit un verre et boit une gorgée. Elle ouvre ensuite la fenêtre du balcon. La lumière blanche de ce début de février s’insinue timidement à travers la pénombre de la pièce. La fraîcheur matinale la fait frissonner.

Du 4e étage elle peut embrasser du regard la placette en bas de l’immeuble. Quelques rares passants. Le véhicule stationné au même endroit, comme chaque matin depuis deux mois. Au volant, Ziad Dhahri, le camarade de Belaïd, chargé par le parti Watad de convoyer ce dernier dans ses déplacements (le secrétaire général ne possédait ni permis de conduire ni véhicule). De son tour de guet, elle voit débouler la masse physique de son aide-ménagère vers l’entrée de l’immeuble. Au même moment Chokri Belaïd en ressort. Elle pense à part elle : «C’est  Si Chokri qui lui a ouvert la porte». L’aide ménagère n’a pas le digicode pour entrer dans l’immeuble.

A 8H00, toujours postée à son balcon, Nadia Daoud suit du regard Chokri Belaïd. Un homme, une écharpe autour du coup, la tête enfoncée dans un bonnet, entre soudain dans son champ de vision. Il marche d’un pas leste. Arrivé à hauteur de la vitre du siège passager, à l’instant même où la portière va se refermer, il braque une arme de poing, tire, la vitre explose, le pistolet beugle trois fois, rapide, comme en rafale, ensuite le silence. L’homme prend la fuite.

Assassinat-de-Belaid

Des cris déchirants fusent de tous côtés. Un petit attroupement se forme autour du véhicule.

Tout est allé très vite. Nimbée d’un halo d’irréalité, la scène d’horreur, qui venait de s’offrir au regard de Nadia Daoud, s’impose à son esprit brutalement comme une réalité incontestable, cruelle. Elle réalise qu’on vient de tuer Chokri Belaïd. Tétanisée par la violence du choc, elle met quelques secondes avant de comprendre ce qui s’est passé en bas de son balcon. Voici son témoignage :

«[…] Une première balle pour exploser le vitre, le deuxième coup est une sorte de rafale (c’est nous qui soulignons, NDLR)(1) de 2 ou de 3 balles tirées à bout pourtant sur la victime […] C’est alors que j’ai commencé à fixer attentivement le chauffeur et l’assassin. Le chauffeur n’a pas bougé d’un centimètre, il n’a pas été touché, il n’a pas l’air gêné. Le réflexe humain de base aura été de sortir de la voiture, de courir chercher du secours, mais il n’a eu aucune réaction. J’ai vu ensuite un scooter. Ce n’était pas une 103 comme on l’a prétendu, mais un motocycle du type Vespa, de couleur bleue ou noire, mais très foncée qui l’attendait (le tueur, NDLR) depuis le début, je l’ai remarqué, il était garé à l’angle de l’immeuble perpendiculaire au nôtre… le moteur est allumé d’après le bruit du démarrage au moment où le type a pris place. Il n’a pas emprunté la même rue, il est ressorti par la route dissimulée derrière les arbres qui traversent le bloc en face. Il fait le tour et disparait. Je ne pouvais plus le suivre, ni voir quelle direction il a pris.

«Quand l’horreur s’est produite, je n’ai pas eu le temps de faire quoi que ce soit, appeler quelqu’un par exemple, j’étais paralysée. Incapable d’articuler le moindre son. J’ai repris mes esprits quand les gens se sont mis à crier après les coups de feu, les voisins poussaient des cris de frayeur. Je fus prise de panique, je ne savais pas par où commencer, appeler la police, les médias ou ma famille ? J’ai décidé de n’en rien dire à mes parents. En entendant les coups de feu, mon père est sorti, comme tout le monde sur le balcon, regarder ce qui se passe. Mais personne n’a assisté à la scène dés le début […]» (2)

Le gardien de l’immeuble tente de prendre en chasse l’assassin, mais il essuie un tir et renonce. Des cris déchirants fusent de tous côtés. Un petit attroupement se forme autour du véhicule. Nadia se précipite à l’intérieur de l’appartement, se saisit de sa caméra et revint sur le balcon : l’ambulance était déjà là, le parking d’une agence de location d’ambulance se trouvait juste là (3). Elle filme toute la scène jusqu’au départ de l’ambulance avec à bord le blessé. La séquence vidéo est postée sur les réseaux sociaux. Huit heures passées, Nadia Daoud appelle son collègue Naoufel Ouertani, animateur à Mosaïque FM, pour l’informer de l’assassinat de Belaïd. Elle prend soin d’omettre, par mesure de sécurité, de préciser qu’elle est témoin oculaire du crime. Vers 15 heures, l’enregistrement vidéo a déjà fait le tour du monde.

D’après les enquêteurs, l’arme de crime est un pistolet automatique 9mm. Le premier projectile a traversé la mâchoire du Chokri Belaïd, des deux ou trois balles tirées en rafale, deux sont logées dans le thorax, et l’autre est passé à quelques millimètres du cœur.

L’ambulance, toutes sirènes hurlantes, fonce vers la clinique Ennasr (4). Admis au bloc opératoire, Chokri Belaïd n’a pas réagi aux tentatives de réanimation. Le leader du Parti des Patriotes-démocrates et du Front populaire est déclaré mort quarante-cinq minutes après son admission à la clinique.

Basma-Khalfaoui

Basma Khalfaoui, à la clinique, apprend la triste nouvelle du décès de son compagnon.

Plusieurs centaines des militants et de citoyens affluent vers la clinique. Dans le hall d’entrée, on entend des sanglots, des pleurs, des gémissements, des scènes de déchirement, des hurlements. Les insultes fusent contre Ennahdha. Basma Khalfaoui, en pleurs, les vêtements trempés du sang de son mari, accuse Ennahdha d’avoir tué Chokri. Accourent bientôt les militants du Watad et du Front populaire, des acteurs de la société civile, des activistes politiques, des dirigeants de partis de l’opposition démocratique et des citoyen-ne-s. Scènes de rage et de révolte.

Une séquence vidéo montre Sihem Bensedrine, égérie des Ligues de protection de la révolution (LPR), surnommée pompeusement par ses fans de la sphère LPR et salafiste-jihadiste, «Al-Sayyida Al-fâdhila» (Dame vertu !, c’est curieusement le même titre que portait Leila Trabelsi), fonçant, dans la confusion générale sur une caméra et un micro tendu. A peine a-t-elle entamé son speech sur «les ennemis de la révolution» – terminologie désignant, dans le sabir de la galaxie islamiste à laquelle elle reste solidement cramponné, tous les ennemis de la Troïka, la coalition gouvernementale de l’époque, à l’exception toutefois des partisans de l’ancienne dictature –, qu’une citoyenne la prend violemment à partie, suivie bientôt par d’autres. «Dame vertu» s’est retrouvé cernée de toutes parts par une foule rageuse et a préféré battre en retraite, sous les injures. Une dame lui lance à la figure un sonore «Yâ k…» (sale p…) avant qu’elle soit expulsée sans ménagement hors du périmètre de la clinique.

Au cours de son histoire contemporaine, jamais la Tunisie n’a connu une séquence aussi violente que celle de ce 6 février 2013.

L’information de l’assassinat diffusée par les médias, les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre éclatent partout dans le pays. La confusion et l’incertitude règnent et personne ne sait ce qui va se passer la minute d’après. On redoute le pire; des rumeurs non vérifiées sur l’exfiltration de Rached Ghannouchi vers le Qatar courent comme une traînée de poudre à travers les réseaux sociaux. Le départ de Marzouki, le matin même, à Strasbourg, commence à susciter des interrogations. A mesure que la nouvelle se répand à travers le pays, la panique s’empare de la Troïka. Des centaines de militants islamistes convergent spontanément vers le siège d’Ennahdha à Montplaisir. Ils viennent, d’après les rumeurs, défendre le sommet dirigeant d’Ennahdha, barricadé à l’intérieur du siège du parti dans ce quartier du centre-ville de Tunis, craignant une marche populaire en représailles à l’assassinat de Belaïd.

Nous savons, d’après le témoignage d’un policier, que dès le 6 au soir et surtout le 7 et le 8, qu’Ennahdha a lâché, dans les grandes villes et à Tunis en particulier, en prévision d’un soulèvement populaire, des dizaines voire des centaines des miliciens des soi-disant Ligues de protections de la révolution (LPR) et autre formations paramilitaires, armés de pistolets, information que nous n’avons pas pu vérifier.

A l’extérieur du bâtiment un rassemblement islamiste s’improvise, au cours duquel un orateur identifié sur une vidéo comme étant F. E, ancien «Wâlii!» – préfet ! – de Saint-Denis, dans l’organigramme organisationnel du parti islamiste, et ancien employé de la chaîne de télévision des Frères musulmans, Al-Jazeera, nommé à son retour d’exil représentant de l’antenne locale de l’Union internationale des Ulémas musulmans, présidée par Youssef Al-Qaradhaoui, hurlait à tue tête : «Al-Jihad ! Al-Jihâd !»

Ali Larayedh, ministre de l’Intérieur, qui avait stigmatisé à maintes reprises Belaid en l’accusant, mensongèrement, d’être derrière les troubles sociaux, soufflait, quant à lui, le chaud et le froid. D’un côté, il réprime en lâchant ses policiers contre les manifestant-e-s sorti-e-s dans la rue pour exprimer leur colère; et de l’autre, il lance des appels au calme, mettant en garde contre toute instrumentalisation politique de l’assassinat.

Un peu plus d’une heure après l’assassinat, une première eut lieu à Paris, depuis l’indépendance du pays : un groupe de 8 activistes politiques et acteurs de la société civile tunisienne réussit à pénétrer pacifiquement dans l’enceinte de l’ambassade de Tunisie, sis rue Barbet de Jouy, dans le 7e arrondissement, et entame un sit-in de protestation contre l’assassinat de Belaïd, exigeant de l’ambassadeur la diffusion d’un communiqué condamnant l’assassinat.

A l’extérieur, des membres de l’antenne de Paris et de sa région (Montreuil, Saint-Denis,  Sarcelles, Massy et Aubervilliers) des milices violentes islamistes, menées par un Nahdhaoui connu de la place, rôdaient autour du bâtiment de l’ambassade.

Vers 15 heures, plus de 3000 Tunisiens se ressemblent en face de la rue de Varenne, en hommage à Belaïd. Une tentative de marcher sur l’ambassade, située à 200 mètres, est stoppée par des tirs nourris de gaz lacrymogène par les forces de l’ordre.

De retour de Strasbourg vers 22H30 où il a accompagné Moncef Marzouki au Parlement européen, Adel Fekih, ambassadeur de Tunisie en France, un homme sans qualité, qui ne devait sa nomination à ce poste qu’à son lien d’amitié avec Sofiane Ben Jaafar, fils de Mustapha Ben Jaafar, président de l’Assemblé nationale constituante (ANC), agite, en représailles, la menace de coller aux sit-inneur une affaire de dégradation d’équipements. Vers 23 heures, les revendications satisfaites, le sit-in est levé.

A Tunis, vers 10 heures du matin, le chef du gouvernement islamiste Hamadi Jebali qualifie l’assassinat «d’acte terroriste, dirigé non seulement contre Belaïd mais contre  toute la Tunisie».

En l’absence du président provisoire Moncef Marzouki, la cellule d’information de la présidence postera sur son site officiel un communiqué où elle se dit «profondément choquée par l’annonce de la nouvelle de l’assassinat de Belaïd», et appelle les Tunisiens «à la retenue afin d’épargner au pays la discorde» (fitna).

Marzouki-Strasbourg-2013

A Strasbourg, 4 heures après l’assassinat, Marzouki sacrifie maladivement au Dieu Narcisse.

A Strasbourg, informé de l’assassinat, Moncef Marzouki n’a pas annulé son programme prévu pour la journée pour rentrer en urgence au pays comme l’exigeait son devoir et les circonstances tragiques que traversait la Tunisie. Il préféra rester pour donner lecture de son discours, au mépris des impératifs politiques et moraux liés à sa fonction de chef de l’Etat.

Il s’exprimera, 4 heures après l’assassinat et, dans un discours d’une durée de 18 minutes, seulement 17 secondes ont été consacrés au meurtre de Belaïd: «[…] Et aujourd’hui cet odieux assassinat d’un leader politique que je connaissais bien, qui a été pour moi un ami de longue date, Chokri Belaïd. Cet assassinat politique, aujourd’hui même, à cet instant même, sachant que j’allais m’adresser à vous, c’est une menace, c’est une lettre envoyée mais qui ne sera pas reçue, nous refusons cette lettre, nous refusons ce message et nous continuerons d’abord a démasquer les ennemis de la révolution et… (applaudissement !, NDLR) à continuer notre politique…» (5)

Sur ces six lignes et demi, en soustrayant trois car sacrifiant maladivement au Dieu Narcisse, on obtient un total de trois lues en 15 lamentables secondes proprement indignes d’un chef d’Etat qui, ne se contentant pas de mettre le meurtre de l’un des acteurs principaux de la révolution sur le même pied d’égalité que «la violence verbale» ou la «destruction d’un marabout», s’est inventé, suprême insulte à la mémoire du défunt, «une longue amitié» qui n’a jamais existé.

Marzouki savait que l’inimité entre lui et Belaïd est de notoriété publique, pourquoi alors a-t-il menti ? Voulait-il faire faire oublier par cette énième «escroquerie» que, de son vivant, le martyr n’hésitait pas à le traiter avec mépris «d’opposant de salon et des ambassades occidentales».

Dans sa dérive mensongère, le président bonimenteur («barwel») a trompé le plus tranquillement du monde près de 500 représentants de 28 nations réunies de l’Union Européenne, sans éprouver le moindre sentiment de remord ou de honte.

Des jours plus tard, s’apercevant de la bévue et craignant une riposte critique sur cette forfanterie, des plumitifs de service, ou probablement lui-même, ont expurgé ce passage ignominieux, en lui substituant une nouvelle variante qui a la prétention de se hisser à la hauteur des circonstances : «Ce matin même, et ce n’est pas un hasard, un crime odieux qui ne restera pas impuni et que je condamne avec la plus extrême vigueur, vient d’être commis, l’assassinat de Chokri Belaïd, homme politique connu. Il s’agit bien sûr d’une autre tentative de déstabilisation du pays. Mais ce message ne sera pas accepté. Nous ne cèderons pas aux menaces et au chantage». (6)

Mais la rectification est venue trop tard, car sur le site officiel du Parlement européen, ce sont le texte du discours initial et l’enregistrement vidéo intégral qui sont diffusés comme un malicieux clin d’œil de l’histoire. La présence de la «version corrigée» sur la Toile constitue, comme dans un dossier d’enquête judiciaire, le corps du délit de l’infamie présidentielle.

A la fin du discours de Marzouki, les députés de la droite conservatrice, de la social-démocratie, des Verts et même quelques élus de la droite populiste, se sont levés pour applaudir frénétiquement le bon docteur. Spectacle attendrissant en effet que celui de cette communion entre les antipodes au sein l’hémicycle européen. Daniel Cohn-Bendit ou Dany le rouge (député vert) (7) et le chef de file des conservateurs Joseph Daul sont «submergés par les larmes» en écoutant «ce discours historique». On l’aura compris, ils ne pleuraient pas Chokri Belaïd, assassiné sauvagement dans la matinée par ceux-là mêmes que leur amphitryon encensait quelques minutes plus tôt, omettant par ailleurs de leur confier ce secret, absorbé qu’il est dans la jouissance infinie de cet unique moment de gloire, qu’il était au courant du projet de l’assassinat et avait même informé Mohamed Jmour, dirigeant du Watad, et Hamma Hammami, porte-parole du Front populaire, quelques jours avant le meurtre, en ces termes «Chokri Belaïd va être assassiné», sans prendre la moindre mesure de protection pour empêcher l’assassinat, lui qui fanfaronnait «dès qu’il y a des menaces contre quelque personne que ce soit, la république est là pour protéger tous les citoyens».

Les député européens ont ovationné, debout, le «fieffé menteur» parce qu’il les a implorés de le croire «qu’il n’y a rien à craindre des révolutions arabes parce qu’elles ne sont ni nationalistes ni xénophobes qu’aucun des habituels slogans anti-israéliens ou nationalistes n’a été entendu» (7), que : «Non ce n’est pas l’islamisme qui a triomphé dans le sillage des printemps arabes, mais ce sont les islamistes qui se sont convertis à la démocratie» et que lui, Moncef Marzouki, pour avoir soutenu une thèse de doctorat sur «l’expérimentation humaine en médecine», sous la direction de son vénéré maître le professeur Marc Klein, savait parfaitement «l’horreur de la banalité du mal», et se portera garant, en raison de cela même, contre toute dérive totalitaire.

Les Tunisien-ne-s savaient que cette fermeté montrée aux Européens ne les protègera pas contre le totalitarisme de ceux qui l’ont fait président, ses propres alliés islamo-terroristes, ses visiteurs réguliers au palais de Carthage, les cheikhs du «jihad global», la vermine fasciste des Ligues d’Ennahdha et de leurs frères en «religion».

Pour se dédouaner de l’irresponsabilité présidentielle, les services d’information de Carthage, médiatisant à outrance l’annulation de sa participation à une conférence de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) au Caire, prévue pour le 7 février – chez le «Frère» Mohamed Morsi –, l’ont  présentée comme un sacrifice consenti par le président, alors que le but n’était autre que de faire oublier au Tunisien-ne-s l’incroyable décision de rester à Strasbourg, alors que le pays menace de basculer dans le guerre civile.

Dans la matinée, Hamadi Jebali, le chef du gouvernement provisoire islamiste, condamne cet «acte terroriste dirigé non seulement contre Belaïd, mais contre la Tunisie entière».

Ennahdha dément, pour sa part, dans un communiqué diffusé vers 12H30, «toute implication dans l’assassinat» de l’opposant de gauche, et Ghannouchi, comme pour repousser une accusation qui était sur toutes les lèvres, qualifie l’assassinat «de règlement de compte politique» sans préciser entre qui et qui !

Avant la fin de la matinée, une délégation composée des chefs des partis de l’opposition à la Troika, formée par Taïeb Baccouche et Ridha Belhaj de Nidaa Tounes, Maya Jribi, secrétaire générale d’Al-Joumhouri, Samir Ettaieb, secrétaire général d’Al-Massar, Abderrazak Hammami, secrétaire général du Parti des patriotes-démocrates (à ne pas confondre avec le Watad unifié), et des responsables d’organisations de la société civile comme Doustourna, se rendent au siège du Front Populaire. Ils viennent proposer une réunion d’urgence avec le parole-parole du Front et des secrétaires généraux des partis affiliés, pour explorer la possibilité d’appeler à un soulèvement populaire pacifique pour chasser la Troïka du pouvoir – une coalition tripartite dominé par les islamistes.

D’après un témoin présent, la proposition ne fut pas rejetée. Toutefois, pris par un engagement à la télévision, le porte-parole du Front populaire a dû s’excuser de ne pouvoir y assister. Avant de quitter le siège du Front, il aurait, toujours selon le même témoin, chargé le secrétaire général du Parti populaire pour la liberté et le progrès, Jalloul Azzouna, d’agir de telle façon que le débat n’aboutisse à aucune décision concrète. La suite était prévisible, à peine entamée la réunion tourne à la foire d’empoigne…

Faute de soulèvement, le Front populaire se rabat sur l’idée de la constitution d’une «Coalition civique et politique» élargie à la société civile pour exiger la dissolution du gouvernement de Hamadi Jebali et la tenue entre autres d’un «Congrès national contre la violence», idée âprement défendue par Belaïd tout au long des mois qui ont précédé son assassinat.

Lancée dans l’urgence et l’improvisation et sans contenu cette «Coalition» s’est avérée impuissante à peser sur le cours des événements. Elle a disparu au bout des quelques semaines.

Les manifestants se jettent par millier dans les rues des principales villes, à Tunis un rassemblement de 3.000 à 4.000 personnes se tient en face du ministère de l’Intérieur, à Kasserine, à Gafsa, à Bizerte, à Sidi Bouzid et ses sous-préfectures. Les manifestants s’en prennent aux commissariats de police et aux sièges régionaux d’Ennahdha.

Sur ces faits, l’ambulance quitte la clinique Ennasr, emportant la dépouille mortelle de Chokri Belaïd vers l’hôpital Charles-Nicolle. Arrivée à la place Pasteur, au lieu de prendre la direction de l’hôpital, elle bifurque vers l’Avenue Mohamed V et se dirige vers le centre-ville de Tunis. Tous les 100 mètres, la foule marchant derrière le cortège grossissait à vue d’œil. Arrivée au niveau de l’ancien siège du RCD à l’abandon, le cortège est stoppé par des tirs nourris de bombes lacrymogènes pour l’empêcher de continuer à avancer vers l’artère principale et faire la jonction avec les milliers des manifestants massés de l’autre côté du barrage policier autour du Théâtre municipal.

Des heurts violents entre forces de l’ordre et manifestants en colère éclatent, les policiers chargent violemment les groupes des jeunes et les pourchassant à travers les rues adjacentes. Le véhicule transportant le corps de Belaïd est protégé par les jeunes qui tentent de lui frayer le passage sous la pluie des bombes à gaz. Les jets de pierre répondent aux tirs des lacrymogènes, Au bout d’une demi-heure d’échauffourées, à court de munitions, les forces de l’ordre cèdent du terrain.

Vers 14 heures une foule de 5000 manifestants chauffée à bloc s’engouffre dans la brèche, enfonçant le barrage policier aux cris «Dégage! Dégage!». L’ambulance, comme portée par le flot humain, perce péniblement sur la voie de droite de l’Avenue Habib Bourguiba. Des slogans sont scandés : «Plus de peur, plus de terreur, le pouvoir est au peuple»; «Assassins de nos enfants, voleurs de notre pays», «Ô martyr, ta voie nous suivrons»; «Ghannouchi assassin, les armes ne nous font pas peur»; «Le peuple veut la chute du régime»; «Nous mourrons, mais nous déracineront Ennahdha de notre terre»; «Le peuple veut le renversement du régime»; «Pauvre peuple, on vous a trompé et rire au nez au nom d la religion», etc.

Au moment où le cortège passe au niveau du bâtiment gris du ministère de l’Intérieur, une pluie diluvienne de fumée lacrymogène s’abat sur l’ambulance, c’est à cet instant qu’on s’aperçoit que les pneus du véhicule ont été crevés. Grondante, la foule s’agglutine en masse compacte tout autour, pour lui servir de bouclier. Une dense fumée noire couvre le ciel du centre-ville. A 16H00, il fait presque nuit.

Le procureur de la république se rend sur la scène du crime. Après constations, il confie paradoxalement l’affaire à la brigade criminelle, et non pas à la brigade de lutte contre les crimes terroristes!

Plusieurs marches de protestation sont organisées en même temps dans les villes de l’intérieur : Kasserine, Béja… A Sidi Bouzid, les forces de l’ordre font défection et se retirent des affrontements, en abandonnant la ville à l’armée nationale. Du nord au sud, les sièges régionaux du mouvement Ennahdha sont ravagés ou incendiés. Des barricades sont érigées. A Bizerte, les forces de sécurité abandonnent la ville, les commissariats et tous les autres lieux de souveraineté sont livrés aux salafistes.

Vers 16 heures, Nadia Daoud et Zied Dhahri, les deux témoins oculaires, sont convoqués par la Brigade criminelle d’El-Gorjani pour être entendus. Ils seront tous deux relâchés vers 22H30. Aucune charge ne pesait sur eux.

Vers 16H30, Me Ahmed Néjib Chebbi annonce qu’après concertation, le Front populaire, Al-Joumhouri, Al-Massar et Nidaa Tounes suspendent la participation de leurs élu-e-s à l’Assemblée nationale constituante (ANC) et lancent un mot d’ordre de grève générale pour jeudi.

Vers 17 heures, l’agent de police Lotfi Al-Zaar (46 ans) trouve la mort en tentant d’empêcher des hooligans de se livrer au pillage des magasins situé à Bab Al-Jazira. Sitôt la mort du policier connue, Ennahdha s’en empare pour convertir l’effigie de la malheureuse victime en un icône pour l’opposer cyniquement à Chokri Belaïd. Des milliers de portraits de Lotfi Al-Zaar sont imprimés à la va-vite et brandies dans tous les rassemblements des Frères musulmans dans les jours qui ont suivi l’assassinat.

18H00, des rassemblements s’organisent devant les représentations diplomatiques de la Tunisie dans plusieurs villes et capitales européennes (Paris, Marseille, Lyon, Berlin, Bruxelles, Londres, Amsterdam, etc.) pour condamner l’assassinat et rendre hommage à Belaïd.

Les Etats-Unis la France, l’Allemagne, la Belgique, la Suisse et de nombreux autres pays condamnent dans des termes durs le meurtre de Belaid et appellent le gouvernement à ordonner une enquête transparente et impartiale sur l’assassinat, tout en invitant le peuple tunisien à privilégier la voie du dialogue.

Lotfi Belaïd, frère du dirigeant du gauche assassiné, annonce que les funérailles de Chokri Belaid auront lieu le vendredi 8 février, ses restes seront inhumés au cimetière tunisois d’Al-Jallâz.

Dans un communiqué officiel, daté du 7 février 2013, posté sur sa page Facebook, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) décrète le vendredi 8 février jour de grève générale, en signe de deuil et de protestation contre l’assassinat odieux de Chokri Belaid, secrétaire général du Watad unifié.

Pour ne pas être en reste, Mustapha Ben Jaafar, pathétique et impuissant président de l’ANC, joue des coudes dans les travées de la Télévision nationale pour lire au journal de 20H00, un «discours-au-peuple-dans-ces-circonstances-difficiles» que personne ne lui a demandé.

Le pays est en proie à une grande agitation, des manifestations violentes et des heurts avec les forces de l’ordre se poursuivent. L’Etat Troïka est au bord de l’effondrement. Hamadi Jebali reconnaît, d’une manière subliminale, la responsabilité des islamistes dans le meurtre : «Le message a été bien reçu», a-t-il déclaré dans son discours télévisé vers 21H00. Il propose «la formation d’un gouvernement de compétences nationales sans appartenance qui aura pour tâche limitée d’expédier les affaires courantes jusqu’à la tenue des élections dans les plus brefs délais». On saura par la suite que la proposition émanait du chef d’état-major interarmes, le général Rachid Ammar.

Hamadi Jebali qui, dans une vie antérieure, était artificier et poseur de bombes dans les hôtels touristiques de Sousse (joliment rebaptisé par les Tunisien-ne-s «Hamadi tafjirât»), agite la menace de démission. Vrais ou faux? Il veut tout simplement sauver sa tête, mais Ennahdha, craignant d’être éjecté du pouvoir, fait bloc derrière son président Rached Ghannouchi, désavoue son secrétaire général et refuse avec arrogance la dissolution du gouvernement.

La guerre entre les chefs de file de la composante jihadiste-takfiriste, partisan de l’islamisation immédiate du pays par l’instauration de la charia, et les représentants de l’islam politique à la turque, qui veulent se maintenir au pouvoir en jouant la carte de la modération trompeuse, entre ceux de l’intérieur et ceux de l’exil, entre le sommet dirigeant et la masse des militants, battait son plein dans le huis clos de Montplaisir. Cependant, rien n’a filtré. Mais ce qui est certain c’est que tous s’accordaient à dire que Hamadi Jebali a franchi dangereusement la ligne rouge. Chez les Frères on ne transgresse pas impunément la loi de la Secte.

Le 6 février a sonné les glas pour Hamadi Jebali. En guise d’adieu, ce dernier déclarera, 5 jours après l’assassinat de Belaïd et la fin de sa carrière politique, à Isabelle Mandraud éphémère «spécialiste» du Maghreb au quotidien ‘‘Le Monde’’, le 11 février 2013: «[…] Nous avons prévu, bien avant l’assassinat de Chokri Belaid, un remaniement afin d’élargir le gouvernement sur la base d’un consensus. Je ne voyais pas comment organiser les futures élections dans ce climat tendu […] J’avais donc posé un ultimatum deux jours avant le meurtre, si nous ne parvenons pas à un accord, je comptais convoquer un conseil de ministre et aller voir le président pour lui dire que je démissionnerai le 8 février. Mais le 6, il y a eu l’assassinat de Chokri Belaid et nous sommes entrés dans une phase encore plus difficile.

[…] Question : votre propre parti, dont vous êtes le secrétaire général, vous a désavoué. Est-il exact que vous ne l’avez pas consulté?

Réponse : «C’est vrai je ne l’ai pas consulté. La situation est difficile et urgente; il y a eu danger de violence. Je vais consulter sur quoi? C’est moi le responsable du gouvernement. Je ne peux pas attendre.  

«[…] Que ceux qui ont commis cet assassinat ne sont pas des amateurs. C’est tout un appareil qui est derrière, avec une stratégie. Il s’agit bien d’un assassinat politique qui dépasse la personne de Chokri Belaid. Il est la victime, mais la cible ce n’est pas lui, c’est la Tunisie tout entière. Il faut s’attendre à des résultats très graves».

Isabelle Mandreau (8) ne poussera pas l’audace jusqu’à mettre mal à l’aise ses amis islamistes. Elle n’indisposera donc pas plus Hamadi Jebali en lui posant cette question  «Quels sont cet appareil et cette stratégie qui se trouveraient derrière ça?»

Dommage ! La propagandiste, chargée de la communication de Abdelhakim Belhaj, a raté une occasion d’être simplement… journaliste.

De retour de Strasbourg, Moncef Marzouki se terre à Carthage. Le lendemain, il apprend qu’il est déclaré persona non grata par la famille de Belaid aux funérailles qui auront lieu vendredi 8 février. Il appelle Basma Khalfaoui pour lui proposer un marché indigne de quelqu’un qui occupe la haute fonction de magistrat suprême : sa participation aux funérailles contre une protection rapprochée pour elle et pour ses enfants. Basma Belaid, soutenue par la famille de son époux rejette catégoriquement l’offre qui ressemble à un chantage présidentiel.

Après la consécration douteuse de Strasbourg, volée aux députés européens à coup de bluff, voici la gifle magistralement administrée par les Tunisien-e-s à Tunis. Marzouki déclarera plus tard avec le cynisme et l’inconstance qui ont toujours caractérisé sa personne que «les Tunisiens ont encaissé le choc de l’assassinat de Belaïd» ! Lui a encaissé, sûrement, et plutôt bien, ce choc, mais pas les Tunisiens qui  ressentent encore douloureusement la mort d’un homme de coeur et de conscience, d’un vrai leader politique qui aurait sans doute été beaucoup plus utile à son pays que tous ces opportunistes qui encombrent aujourd’hui la scène politique nationale.

A  suivre…

Notes :

1- Les précisions fournies par Me Ali Khalthoum sur l’arme du crime se trouvent confirmées ici par le témoignage capital de Nadia Daoud. Pour plus de détails Cf. Kapitalis : ‘‘Assassinat de Belaid : qui cherche à noyer la vérité’’.
2- Consulter la vidéo du témoignage de Nadia Daoued daté du 6 février 2013.
3- Moez Bey, journaliste d’investigation au journal en ligne ‘‘Akher Khabar’’, qui suit de très près l’enquête sur l’assassinat de Belaid, nous apprend que la société d’ambulance Is’âf Ennasr s’est installée dans le périmètre du domicile de Belaid très peu de temps avant l’assassinat et a déménagé quelques semaines après l’assassinat!?
4- Le même journaliste se demande, à juste titre, qui a décidé que le blessé soit transféré à la clinique Ennasr, et non pas à une autre moins éloignée – située à 300 mètres – du domicile du dirigeant de gauche? Il confirme, à ce propos, qu’en plus des ambulanciers au nombre de deux, deux accompagnateurs ont pris place dans le véhicule dont personne ne connaît l’identité.
5- Version originale du discours de Marzouki au Parlement européen de Strasbourg.
6- En tapant le mot clé «discours de Moncef Marzouki», le lecteur patient trouvera la version toilettée du même passage;
7- L’enthousiasme débordant dont Cohen-Bendit a fait montre à l’écoute du discours de Marzouki, on le voyait en effet applaudir à tout rompre comme un enfant, à chaque passage, a été quelque peu tempéré par la tournure prise ultérieurement par les événements. En proie au doute il écrivait: «[…] ces questions suscitées par la mort de Belaïd et le discours de Marzouki sont immenses. On sait comment débutent les révolutions, mais on ignore toujours comment faire pour qu’elles réussissent. Le renversement de Ben Ali avait pris de court les mouvements islamistes du pays. Mais leur ressaisissement a été prompt; remportant là des élections légitimes, établissant ici des milices souvent violentes, sans qu’on sache qui de la démocratie ou de l’extrémisme parvenait à noyauter l’autre. Le pari de certains laïcs de s’allier avec les islamistes modérés – un pari dénoncé par une partie importante de la société tunisienne – s’avéra effectivement risqué. Fut-ce une erreur?  […]» (Daniel Cohen-Bendit, rubrique «Chronique d’un cosmopolite», in ‘‘Le Nouvel Observateur’’, février 2013).
8- De qui Marzouki se moque-t-il? Il n’y a eu peut-être pas des slogans au début mais des attentas oui, dont il est en partie responsable en raison de son laxisme, pour ne pas dire sa complicité directe, dans la lutte contre le jihadisme et surtout son alignement politique sur les intérêts de l’axe turco-qatarie-saoudien. A-t-il oublié que c’est sous sa présidence que l’organisation jihadiste Ansar Charia, alors affiliée à Al-Qaïda, avait attaqué, le 14 septembre 2012, l’ambassade américaine et l’école américaine attenante à Tunis. A-t-il oublié qu’il avait reçu – à sa demande – les cheikhs radicaux du salafisme-jihadiste ? Etait-il naïf au point de croire que les députés européens qui l’écoutaient avaient oublié l’incendie de l’ambassade d’Israël au Caire le 10 septembre 2011, l’attaque du consulat américain à Benghazi et l’assassinat du consul Christopher Stevens, le 11 septembre 2012.
9- Isabelle Mandraud est l’auteure de l’ouvrage hagiographique sur Abdelhakim Belhaj chef des milices ‘‘Fajr Libya intitulé: Du Djihad aux urnes, le parcours singulier d’Abdelhakim Belhadj’’, Ed ; Stock, Paris 2013.

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