Il y a 7 ans, disparaissait Tahar Hammami, poète d’avant-garde et intellectuel engagé des années 1960-1990, dont l’œuvre mérite d’être rééditée et relue.
Par Tahar Bekri *
Le poète Tahar Hammami, disparu le 2 mai 2009, était peu coutumier des tapages artificiels, une voix discrète et exigeante de la littérature tunisienne. Dans un hommage rendu à Aboulkacem Chebbi, lors du Festival du cinéma tunisien à Paris, je citais son ouvrage ‘‘Comment considérer Chebbi innovateur’’**, qu’il a publié en 1976 et qui traite de la modernité littéraire tunisienne. Débat toujours d’actualité. Le souci de son écriture était de se référer à un réel et à un imaginaire surtout populaires. Aussi, quand il prit, dans les années soixante-dix, l’animation avec le poète Habib Zannad du courant poétique «Fi ghayr al amoudi wal hurr» (poésie autre que métrique et libre), marqua-t-il ses poèmes de paroles et expressions de gens de condition modeste et simple, appuyée d’une ironie audacieuse.
Difficultés et rêves de l’homme de la rue
Là où des poètes tunisiens gagnés par le nationalisme arabe, en ces années-là, jugeant toute référence au dialecte tunisien ou à un concept national, comme «al-açala» (l’authenticité) suspecte, Tahar Hammami ramenait le débat à l’identité tunisienne populaire, à sa spécificité, à la richesse de son parler, de sa vivacité. Son ambition était de publier une création poétique qui exprimât les frustrations, les difficultés et les rêves de l’homme de la rue.
A l’instar de l’œuvre de Salah Garmadi, la sienne devenait un vrai laboratoire linguistique, audacieux, riche en trouvailles où calembours, jeux de mots, métaphores insolites, dérisions, moqueries, foisonnent, non sans provoquer l’irritation des classicistes et les adversaires de ce courant jugé trop local ou fautif à l’égard de l’unité arabe.
Là où l’avant-garde narrative et théâtrale développait son champ expérimental avec Ezzedine Madani, Samir Ayadi et bien d’autres, Tahar Hammami et Habib Zannad les accompagnaient dans le domaine de la poésie.
L’œuvre littéraire n’est ni une tour d’ivoire ni une épée d’académicien, semblait dire Tahar Hammami. Elle est labour fécond du champ social et politique.
Marginalité, pauvreté outrancière, laissés-pour compte, chômage déguisé, contrastes et scènes parfois surréalistes dans la société tunisienne lui inspirent une écriture presque orale. Une telle vue permettait au poète d’oser ce titre ‘‘Le soleil est apparu comme un pain’’, paru en 1973.
Essayiste rationaliste et progressiste, il l’était par ses travaux universitaires, consacrés à Ibn Al Muqaffa’ (‘‘Un homme dont la tête a un esprit’’, 1992) ou à Aboul’ala Al Maârri (‘‘Le non-voyant qui voyait avec son esprit’’, 1993). Jusqu’à son dernier ouvrage (‘‘Viril, même mulet’’, 2009) où il mettait en question et condamnait sans ambiguïté le machisme de la société arabo-musulmane.
Pour une Tunisie libérée de ses travers
Tahar Hammami, intellectuel engagé, liait la réflexion théorique à la création poétique afin d’aider à l’émergence d’une Tunisie émancipée, libérée de ses travers, où la littérature participe de l’essor collectif. Mais il serait injuste de limiter ses préoccupations à la société tunisienne. Les événements douloureux et tragiques qui marquent la réalité arabe et musulmane, la question palestinienne en tête, ne le laissaient jamais insensible.
Beaucoup de ses recueils et de ses poèmes disaient son indignation ou sa colère : ‘‘Un été de braise’’, 1984 ; ‘‘Le feu sous l’aisselle’’, 1994 ; ‘‘Je vois les palmiers marcher’’, 1986 ; ‘‘Calmez-vous blessures’’, 2004.
Voix d’une littérature qui s’inspire du quotidien, non sans être marquée par des prises de position idéologiques, l’humour la portait amplement. J’ai eu l’occasion de lui traduire ‘‘Un amour à la manière guerrière’’, poème paru dans la revue Europe consacrée à la littérature de Tunisie (n° 702, 1987).
Au moment où la parole littéraire post-révolutionnaire assiste en Tunisie à une réelle profusion de textes libérés de toute censure, il ne serait pas inutile de revisiter l’œuvre de ceux et celles qui ont défié courageusement par leur plume l’épée de Damoclès, des décennies durant.
* Poète et écrivain tunisien résident en France.
**Tous les titres des ouvrages cités sont en arabe, c’est nous qui traduisons.
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