Le droit de la Tunisienne, musulmane ou non, d’épouser un non-musulman ne doit théoriquement pas faire de doute dans l’État de droit que veut devenir la Tunisie.
Par Farhat Othman *
Un appel émanant de la société civile appelle au droit du mariage de la Tunisienne avec un non-musulman sans l’obligation actuelle pour le futur époux de confession non musulmane de devoir présenter un certificat de conversion à l’islam délivré par le mufti.
L’appel ne fait que se référer à un droit imprescriptible de la femme en Tunisie — musulmane ou non — contestant légitimement la pratique actuelle dudit certificat qui est non seulement illégale du point de vue du droit, national comme international, mais illégitime même du point de vue de la religion musulmane.
Un folklorique certificat de conversion
D’abord, il est aberrant qu’un pays affichant sa prétention de vouloir être un État de droit continue d’interdire le libre mariage de la Tunisienne avec qui elle veut. Ce qui viole déjà la constitution et le droit inférieur, la jurisprudence de la Cour de cassation ayant déclaré nulle la circulaire sur laquelle se base cette antique pratique privant la Tunisienne de l’un de ses droits fondamentaux.
Il est bien temps d’abolir une circulaire illégale qui, de plus, impose quasiment de force — ce qui constitue une violence morale déjà interdite par l’islam — le culte musulman au futur époux de la Tunisienne ayant (ou non) une autre confession, par ce folklorique certificat de conversion délivré par le mufti. Comme si un tel document pouvait attester de la foi !
Au reste, si l’État ne se décidait pas à mettre fin à une telle aberration juridique par l’abrogation de cette circulaire illégale, il engagerait un jour sa responsabilité devant les instances internationales pour non-respect de ses obligations induites par les conventions internationales régulièrement ratifiées.
L’exigence de certificat de conversion est illégitime aussi, étant réservée au supposé non-musulman. L’islam serait-il devenu une nationalité? Tout Tunisien est-il forcément musulman? Hérite-t-on de la foi de ses parents en islam sans autre preuve d’islamité véritablement constatée?
De fait, la pratique actuelle est une pure hypocrisie qu’il faut bannir au plus vite, car elle réduit l’islam à une simple ostentation, vidant la conversion de tout sens quand elle est d’abord un élan de l’âme pour une foi se voulant scientifique, étant déjà rationaliste.
On nage bien en plein délire
Par ailleurs, le fait de supposer d’office musulman tout Tunisien — ce qui est déjà faux et contraire à la constitution du pays — garantit-il forcément le respect des valeurs de l’islam? Ne trouve-t-on pas nombre de non-musulmans bien plus pieux que des Tunisiens prétendus musulmans en traduisant plus nettement les valeurs cardinales de l’islam? Pourquoi alors ne pas exiger un certificat de piété musulmane de l’époux tunisien?
De plus, la profession de foi qu’on demande au supposé converti suffit-elle à prouver son respect de la foi quand on sait que les Tunisiens, musulmans d’office, ne sont même pas pratiquants dans leur majorité? Ainsi, on nage bien en plein délire !
Ce délire est aggravé par le fait que l’islam n’a jamais encouragé l’ostentation, se voulant affaire d’intime conviction, bien loin du moindre affichage qui relève souvent de la tromperie. De quoi donc atteste le mufti avec son certificat sinon d’une prétendue conversion que même un escroc pourrait arriver à obtenir?
Puis, de quel droit le mufti délivre-t-il ce certificat, devenu une quasi-obligation, et qui prétend attester d’une foi relevant de la souveraine appréciation de Dieu? Or, le Coran a interdit, et ce même au prophète, de se substituer au Seigneur pour juger de ce qui relève de l’intimité du cœur que ne connaît que lui, seul juge de la foi des gens.
Le 6 juin 2016, qui coïncide avec le 1er jour de ramadan, le Mufti de la République, le Cheikh Otmane Battikh, procède à la conversion à l’islam de 11 personnes de nationalité étrangère.
Et depuis quand la conversion à l’islam est-elle affaire d’attestation théorique? Celle-ci n’est-elle pas une pratique étrangère importée du judaïsme, érigée en dogme pour protéger le mythe du peuple élu à travers l’exclusion le goy du mariage avec la juive et protéger la lignée juive?
C’est de cela qu’il s’agit avec le certificat de conversion à l’islam délivré par le mufti : pratique étrangère à l’islam vrai. De quelle religion relève donc la Tunisie, juive ? Certes, on argue du fait que le mariage avec une non-musulmane serait interdit dans le Coran par le verset 221 de la sourate La vache. Ce qui est une extension illégitime d’un texte dont la portée est exclusivement contingente à son époque.
En effet, il n’est aucun précepte éternel à tirer de ce verset limité à l’époque du prophète et à peine à celle ayant précédé la consolidation de l’État de l’islam. En effet, ce qui compte en islam, ce sont ses visées qui, elles sont éternelles; or, elles mettent l’accent sur l’égalité entre les sexes, d’une part, et sur la primauté de la foi dont seul Dieu est comptable.
Il faut le rappeler : l’interdiction aujourd’hui en cours en Tunisie tient moins au texte du Coran qu’à l’exégèse humaine. Et, en islam, celle-ci doit constamment évoluer pour éviter que l’islam ne se sclérose. D’où l’impératif de l’ijtihad. Aussi, dire que l’islam interdit le mariage de la musulmane avec un non-musulman, c’est violer l’esprit de l’islam dans ses visées.
Tout se passe, au final, comme avec l’ablation de la main du voleur, dont l’effectivité est liée à son époque. Applique-t-on le texte enjoignant de couper la main au voleur ? Doit-on l’appliquer dans le futur ?
Un certificat nul et non avenu
Il est faux de dire, comme le font les services du mufti, que seul le certificat de conversion fait foi et qu’un mariage célébré hors de Tunisie n’est enregistré qu’au vu du certificat. Déjà, en Tunisie, on a assisté et on assiste parfois à des mariages sans ledit certificat quand l’officier de l’état civil a le courage de se référer à la jurisprudence de la Cour de cassation considérant nulle la circulaire interdisant le mariage de la musulmane sans autres formalités que celles prévues au Code du statut personnel (CSP).
À l’étranger, les services d’État civil des consulats sont tenus de transcrire les mariages célébrés dans le pays d’accréditation, et ils le font sans le fameux certificat. Car sinon, ils engagent la responsabilité de l’État tunisien. Ce qui confirme qu’il est temps d’annuler le certificat qui n’est qu’une survivance de la dictature dans sa technique d’instrumentalisation de la religion à ses fins de contrôle social et politique. Aujourd’hui, si l’on tient à son maintien, ce n’est pas par respect de l’islam, mais dans un souci de contrôle idéologique, celui des consciences dans le cadre de menées islamistes visant à transformer la Tunisie en une théocratie qui ne dit pas son nom.
* Ancien diplomate, auteur de ‘‘L’Exception Tunisie’’ (éd. Arabesques, Tunis 2017).
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