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Avec Donald Trump, rien ne changera au Moyen-Orient

Donald Trump n’est pas bien différent de ses prédécesseurs. Il est même allé plus loin, en engageant une action militaire contre un État souverain, la Syrie, sans l’autorisation de l’Onu.

Par Nejib Ayachi *

Jusqu’à tout récemment, le grand public, les journalistes, diplomates, analystes et autres experts, aux États-Unis et de par le monde, se demandaient quelles seraient, dans les faits, les orientations en matière de politique étrangère de l’imprévisible dilettante Donald Trump.

Certains dans le monde arabe se sont même laissés séduire par les déclarations du candidat Trump durant la campagne des présidentielles, prônant un isolationnisme non-interventionniste, en particulier au Moyen-Orient («laisser les Syriens résoudre leur problèmes entre eux», avait-il déclaré), et néanmoins va-t-en guerre s’agissant de Daech (Etat islamique) qu’il a promis de détruire.

Ils ont aussi apprécié les critiques qu’il a émis envers son prédécesseur Barack Obama qui aurait favorisé les islamistes et même les plus radicaux parmi eux dans la région, de même que l’Iran chiite et ses partisans dans les pays arabes.

Dans la ligne de ses prédécesseurs et au-delà

En réalité, Donald Trump n’est pas bien différent de ses prédécesseurs et de sa principale adversaire aux récentes élections présidentielles, la démocrate Hillary Clinton, considérée comme une interventionniste militariste.
Trump est même allé plus loin. Il n’a pas hésité à violer le droit international qui exige l’autorisation de l’Onu avant d’engager une action militaire contre un État souverain (la Syrie). En outre, il n’a même pas respecté les termes de la constitution américaine concernant l’usage de la force militaire, stipulant qu’à moins que les Etats-Unis d’Amérique ou leurs intérêts vitaux soient attaqués (ce qui est loin d’être le cas), le Président doit obtenir l’autorisation du Congrès avant de faire usage de la force contre un pays étranger.

En fait, le bombardement décrété par le président américain de l’aérodrome militaire, le 6 avril 2017, constitue la première attaque militaire américaine directe contre une cible officielle syrienne.

Il faut préciser ici que malgré les déclarations non-interventionnistes du candidat Trump durant la campagne présidentielle, le nombre d’attaques militaires a augmenté depuis qu’il a pris ses fonctions, et ont été menées au Yémen, en Irak et en Somalie.

D’autre part, on remarquera que la centaine de rebelles et civils syriens, dont 16 femmes et 23 enfants, tués par les armes chimiques prétendument utilisées par les forces armées syriennes contre des forces rebelles le 4 avril 2017, constitue un chiffre nettement inférieur à celui du nombre de civils (un millier) victimes des frappes aériennes américaines en Syrie autorisées par Donald Trump, en un seul mois (mars 2017).

En réalité, le sort des civils syriens, prétexte utilisé pour intervenir en Syrie, est la dernière des préoccupations de Donald Trump. N’a t-il pas aussi interdit aux réfugiés syriens d’entrer aux États-Unis, et durant la campagne électorale présidentielle appelé à renvoyer ceux d’entre eux qui avaient déjà été admis aux Etats-Unis?

Un dilettante imprévisible?

Beaucoup de commentateurs avaient exprimé des craintes de voir un dilettante imprévisible et sans expérience politique, sans véritable vision, sans parler de stratégie globale, comme Donald Trump, prendre les rênes de la première puissance mondiale.

Le candidat Trump avait envoyé des signaux contradictoires durant la campagne électorale pour la présidence de la république, prêchant d’une part un certain isolationnisme tout en condamnant la politique moyen-orientale de son prédécesseur Barack Obama et de sa concurrente aux présidentielles, Hillary Clinton, mais affirmant d’autre part sans ambages la nécessité de restaurer la grandeur américaine («Make America great again»), intérieurement et sur la scène mondiale.

«Make America great again» au niveau global signifie restaurer sa suprématie, mise à mal par la politique étrangère trop molle et trop hésitante de ses prédécesseurs à la présidence de la république (notamment démocrates), a-t-il souvent déclaré.

Cette mollesse aurait donc permis, toujours selon Donald Trump, l’émergence de Daech au Moyen-Orient; et, combinée à une indifférence flagrante vis-à-vis des intérêts américains, y compris commerciaux, celle de la Chine et de la Russie en tant que puissances globales en concurrence avec les Etats-Unis.

Trump a également fortement critiqué Obama pour ne pas avoir donné suite aux menaces qu’il avait proféré à l’encontre d’Assad sans y donner suite, si ce dernier venait à utiliser des armes chimiques contre ses ennemis, faisant ainsi apparaître les Etats-Unis comme faibles et incapables de se faire respecter.

Trump est certes un dilettante en matière de politique internationale, mais on peut dire qu’il possède un agenda, déterminé dans ses grandes lignes en opposition à celui de ses prédécesseurs (Obama, en particulier), ainsi qu’à quelques nuances près, celui des establishments républicain et démocrate, qu’il qualifie de «globalist» peu soucieux des intérêts véritables de cette Amérique blanche rurale et périurbaine, qu’il prétend représenter. Comme expliqué plus loin, cet agenda s’inscrit, dans ses grandes lignes, dans une idéologie spécifique.

L’establishment et les républicains traditionnels

Trump a donc décidé d’agir et de bombarder la base aérienne syrienne d’où seraient partis les avions qui ont lâché des bombes chimiques sur des civils, pour ne pas donner l’image d’être aussi «mou» et hésitant qu’Obama, incapable d’utiliser la force pour faire respecter les intérêts et l’omnipotence des Etats-Unis. Il apparaît ainsi comme un vrai «dur» ! Ce qui ne peut que plaire à sa base, et donne aussi des gages à ces responsables républicains influents et tenants d’une ligne dure et interventionniste, du type John McCain et compagnie qui ne le tienne pas en grande estime, mais dont il a besoin pour obtenir le soutien du congrès en cas de besoin.

En outre, il faire taire ses opposants, toujours au sein de son parti républicain, qui l’accusent de s’être acoquiné avec les Russes, qui l’auraient aidé à gagner les élections grâce à un piratage informatique dont ils se seraient rendus coupables. Relevons que nombre de républicains traditionnels sont encore figés dans un état d’esprit digne de la guerre froide s’agissant de la Russie, dont l’objectif au Moyen-Orient serait, ni plus ni moins, de supplanter les Etats-Unis en tant que puissance hégémonique; ce que bien-sur ils ne peuvent accepter.

Et, ce qui ne peut que plaire aux faucons républicains très attentifs au maintien d’une certaine hégémonie américaine en Asie, il en profite pour envoyer un signal fort à la Corée du Nord qui continue à défier les Etats-Unis en poursuivant son programme nucléaire, malgré les avertissements et menaces américains.

L’extrême droite

Il faut rappeler que sur nombre de sujets, Donald Trump se situe très à droite. Son principal conseiller et éminence grise, Steve Bannon, est un militant de longue date de la droite radicale américaine, qui a déclaré être un admirateur de Marine Le Pen et inspiré par des idéologues français nationalistes d’extrême droite, comme Charles Maurras et Jean Raspail. Pour Bannon, il faut restaurer la toute-puissance de l’Occident chrétien et l’Amérique doit s’atteler à cette tâche. Il faut noter ici, que les électeurs d’extrême droite constituent le cœur de l’électorat de Donald Trump.

Le clan pro-Israël

Outre le fait que le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ait déclaré au lendemain de sa victoire aux présidentielles de Donald Trump, que celui-ci est un des plus grands amis d’Israël, le cercle restreint des proches conseillers du président américain comprend des individus très proches de l’Etat hébreu, notamment son beau-fils, Jared Kushner. Lui, dont les parents ont même accueilli chez eux Benjamin Netanyahu lors de ses séjours aux Etats-Unis il y a quelques années.

Inutile de souligner ici que la chute du régime de Bachar Al-Assad est fortement souhaitée par le gouvernement, ainsi que de larges segments de la classe politique et du public israéliens. Ils ont à présent des relais puissants et influents au sein même de la maison blanche.

Généralement, l’extrême droite fascisante tant en Europe qu’aux Etats Unis est plutôt antisémite, et les incidents antijuifs se sont multipliés aux Etats-Unis depuis l’élection de Donald Trump (et même avant, durant la campagne électorale). Cependant, l’extrême droite semble avoir «évolué»: elle reste (relativement) antisémite dans ses croyances et son idéologie, mais, en même temps, paradoxalement, pro-Israël, s’agissant de la politique étrangère des Etats-Unis au Moyen-Orient. Et, même s’il y a des dissensions entre les clans de Bannon et celui de Kushner, comme l’a rapporté la presse américaine, ils peuvent s’entendre sur un certain nombre d’objectifs, notamment s’agissant de la préservation de la sécurité et de la prééminence d’Israël dans la région du Moyen-Orient.

Les alliés arabes

Au cours du mois dernier, Trump a rencontré les alliés arabes traditionnels des Etats-Unis au Moyen-Orient : le prince héritier Mohammed Bin Salman d’Arabie saoudite, le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi et le roi Abdallah de Jordanie. Ils ont tous exprimé des critiques et même de l’irritation envers ce qu’ils ont considéré comme une inclination favorable à l’Iran de la part de l’administration Obama, et leur espoir que la nouvelle administration américaine considère désormais ce pays comme une force nuisible dans la région.

Changement d’orientation?

Cependant même si l’ensemble des facteurs précités ont contribué à la décision de Donald Trump de bombarder la base militaire syrienne le 4 avril dernier, peut-on en conclure que le président américain va se convertir en interventionniste, et tourner le dos à la Russie en remettant en question son approche consistant à coopérer avec elle pour résoudre le conflit Syrien et combattre Daech?

Il semblerait que ce ne soit pas le cas. Certains rapports indiquent que la Russie a été alertée préalablement au bombardement, limitant ainsi le risque d’escalade. D’autre part, le secrétaire d’État Rex Tillerson n’a-t-il pas déclaré que les bombardements américains de la base aérienne syrienne ne suggèrent aucunement un changement dans la stratégie globale des Etats-Unis et donc de ses relations avec la Russie?

Une intervention militaire américaine en Syrie pour faire tomber le gouvernement du président Assad et le remplacer, comme le souhaite plusieurs acteurs impliqués dans le drame syrien, ne semble pas être envisagée, comme l’a indiqué le secrétaire d’État Rex Tillerson. Outre qu’elle ne ferait qu’aggraver et compliquer la situation, avec plus de morts, de réfugiés et de terroristes, elle nécessiterait l’utilisation de moyens militaires importants, y compris le déploiement de troupes au sol, qui seraient mieux utilisés contre Daech, le véritable ennemi déclaré des Etats-Unis, d’après Donald Trump.

* Universitaire, Washington DC.

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