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Les leçons de l’expérience démocratique tunisienne

Tribune publiée par le chef du gouvernement tunisien sur le site de l’UPI, la veille de sa visite officielle à Washington, Etats-Unis.

Par Youssef Chahed

L’expérience démocratique naissante de la Tunisie enseigne aux défenseurs de l’idée démocratique dans la région du Moyen-Orient et d’Afrique du nord plusieurs leçons utiles – certaines d’entre celles-ci sont encourageantes et d’autres le sont moins.

La leçon encourageante que l’on peut tirer de l’expérience tunisienne est qu’elle démontre que la démocratie est un objectif atteignable dans un pays arabe. Et si un petit pays de la taille de la Tunisie, avec des ressources naturelles aussi limitées, peut réussir ce pari, alors d’autres pays le peuvent aussi.

Que les choses soient claires, cependant: la jeune démocratie tunisienne s’est construite sur son propre héritage de réformes et de pragmatisme qui remonte au 19e siècle. Par plus d’un aspect, la démocratie en Tunisie est en droite ligne avec l’évolution naturelle de notre société. Il ne s’agit aucunement de quelque chose qui a été imposé de l’extérieur.

Garder les pieds sur terre

L’autre enseignement moins réjouissant de l’expérience que la Tunisie a vécue durant ces six dernières années est que les bâtisseurs de la démocratie doivent toujours garder les pieds sur terre. Lorsque j’ai été désigné pour former un gouvernement d’union nationale, il y a près d’un an, je ne pouvais pas promettre et je n’ai pas fait de promesses en l’air. Les défis auxquels notre pays est confronté n’ont pas de solutions immédiates et faciles. L’avenir de la démocratie, tel que je perçois les choses, dépend moins de grands idéaux et de promesses inatteignables que de la capacité de faire face à un large éventail de défis qui peuvent menacer d’inverser le processus démocratique.

La démocratie ne s’édifie pas en vase clos. Cette construction nécessite de la croissance économique, de la stabilité et de la sécurité. Elle exige également de donner raison aux espoirs et aux attentes, et de constamment donner la preuve au peuple que la démocratie reste la meilleure voie pour répondre à ses espérances.

Je savais que la paix sociale ne pouvait être un objectif irréalisable tant que le chômage se situe à un taux supérieur à 15% – une situation qui donnait l’impression que les gouvernements précédents étaient restés insensibles aux revendications légitimes de notre jeunesse sans-emploi qui a mené la révolution de 2011. Mais il y a également cette dure réalité que la création d’emplois dépend étroitement de la croissance de l’économie; et durant les six dernières années, la croissance en Tunisie a été d’une moyenne annuelle d’à peine 1%.

Les dépenses de l’Etat et l’accroissement du fonctionnariat public ne sont pas la solution. Le déficit budgétaire du pays, qui se situe à près de 6% du PIB, ne pourrait pas être enduré plus longtemps.

Outre l’instabilité sociale, la démocratie en Tunisie était menacée par l’insécurité, conséquence directe des soubresauts dans la région – notamment en Libye voisine – et des menaces mondiales du terrorisme et du phénomène de la radicalisation. Les attentats djihadistes de 2015 ont porté un coup dur à notre industrie du tourisme, secteur vital de notre économie et nous ont contraints à accorder de précieuses ressources à la consolidation de nos programmes sécuritaires.

Les signes du redressement

A l’image des défis auxquels nous sommes confrontés, nos efforts ont dû être, eux aussi, multiples. Nous avions eu à bien enraciner notre jeune démocratie, tout en combattant le terrorisme, en relançant notre machine économique et en établissant l’Etat de droit et des institutions. Pour l’heure, il est encore tôt de crier victoire sur tous ces fronts. Cependant, il n’est prématuré de dire que nous avons réalisé d’importants progrès.
Nous avons repris l’initiative en matière de lutte contre le terrorisme. Grâce à la vigilance et à la détermination de nos forces de l’ordre et leur collaboration plus étroite avec les partenaires internationaux de notre pays, y compris les Etats-Unis, nos forces de sécurité ont gagné en efficacité, en empêchant et déjouant toute attaque majeure contre notre pays.

Nous commençons à voir les signes meilleurs de la reprise de la croissance économique. L’activité du tourisme, à l’instar de plusieurs autres secteurs, reprend. Afin d’accélérer le rythme de la croissance économique et de créer plus d’opportunités d’emploi, nous avons proposé un ensemble de réformes ayant pour objectif d’établir un environnement propice aux affaires, un environnement aussi bien attractif pour les investisseurs tunisiens qu’étrangers.

Nous avons déclaré une guerre sans merci contre la corruption, qui est non seulement une condition première à l’établissement du principe de l’égalité des chances parmi les citoyens de notre pays, mais également un principe essentiel sur lequel se fonde la confiance en nos institutions démocratiques, le renforcement de la confiance du monde des affaires et la consolidation de la croissance économique. Le degré de soutien populaire très prononcé que nous avons reçu pour ces efforts nous a rassurés que nous sommes bien sur la bonne voie.

Alors qu’elle poursuit son expérience démocratique, la Tunisie s’est fixée l’objectif de devenir un moteur économique et une force pour la paix et la stabilité en Méditerranée et en Afrique. Nous souhaitons pouvoir toujours compter sur le soutien fort de nos partenaires stratégiques aux Etats-Unis. Nos deux pays étaient des alliés et des partenaires durant la Guerre froide, lorsque la Tunisie avait avec fierté choisi le camp du chef de file du monde libre. Aujourd’hui, la Tunisie a choisi le camp de la démocratie. Pour l’Amérique et toutes les autres nations qui ont un intérêt dans la réussite de l’expérience démocratique tunisienne, parier sur la Tunisie c’est faire le choix d’être du bon côté de l’Histoire.

Tribune traduite de l’anglais par Marwan Chahla

 

 

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