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Djerba-Musique : Le guitariste Denoth conquiert le Fort

Le concert du guitariste suisse Christoph Denoth au fort espagnol Ghazi Mustapha de Djerba restera un grand moment de partage rehaussé par la magie de la musique.

Par Hamma Hanachi

Jusqu’à ce jour du 17 août 2017, aucun son d’instrument de musique de quelque forme qu’il soit n’a résonné dans l’enceinte du Fort espagnol Ghazi Mustapha de Djerba.

Ce monument situé au centre de Houmt Souk à Djerba été édifié, au 13e siècle, par Roger de Loria, amiral d’Aragon et de Sicile. Il fut conquis plus tard (1557) par Dragut Pacha.

Dans l’intimité de la pierre

L’Association Aloès, les amis de Hamadi Chérif, en partenariat avec l’Alliance française de Djerba, armé d’amour pour la culture, a pris ce fort sans engager de bataille navale aux vagues déchaînées. Elle a transformé l’espace, le temps d’un émouvant récital, en scène féerique. Le guitariste classique Christoph Denoth a fait le reste: il a imprégné les pierres ocre de musiques entraînantes aux accents espagnols.

Denoth sur les traces des grands compositeurs ibériques.

Entrée gratuite, pas plus que 140 invités, une dizaine d’étudiants en musique, section guitare, un public trié sur le volet qui n’a cessé d’exprimer son admiration pour la mise en situation du site.

De partout, on entend des exclamations d’étonnement et de ravissement, jamais ce fort ne fut aussi charmant. Des bougies et flambeaux posés au creux des pierres embrasent les murailles, sans exubérance; leur faible lumière vise à renforcer l’effet brun et ocre de la pierre ancienne, boissons et bouquets de jasmin offert, sièges confortables, etc. On se serait cru à El Jem où s’est produit Denoth quelques jours plus tôt (le 12 août), le tout en plus intime, un public attentif, un kilim sur la scène.

Une courte allocution du président d’Aloès, une présentation de l’Alliance française de Djerba par son président Mustapha Bourguiba et un touchant discours d’Edith Zaëch, vice-présidente d’Aloès en hommage à feu Hamadi Chérif. Où l’on apprend que cette initiative au-delà de sa portée touristique est un exemple à suivre pour promouvoir et exploiter intelligemment les sites historique, car «la pierre, elle, ne ment pas». Les pistes sont nombreuses pour mettre en valeur cet espace unique dans l’île.

Un public trié sur le volet.

Les sons triomphants

Place à Chritoph Denoth qui, de noir vêtu, requinqué par son succès d’El Jem, entre en scène tout sourire. Ambiance.

L’artiste, ami d’Aloès, a choisi un programme adapté au charme du site.

Une marche lente et lancinante sur les traces des grands compositeurs ibériques ou ceux, latinos, qui ont interprété des airs espagnols, le titre révèle l’esprit du récital : ‘‘Serenata au Fort’’.

Une pièce de Fernando Sor (1778-18839), une variation de ‘‘L’Ecossaise’’ en introduction, qui sera suivie par 5 ‘‘Préludes’’ de Heitor Villa-Lobos (1887-1959), des pièces en forme d’hommage du compositeur brésilien qui, en musique, a pris des chemins hors-piste. Prolixe, il a découvert les chants des paysans dont il s’est inspiré, le sertao et l’ethno-musique; l’homme se méfiait des normes : «Un pied dans l’académie et êtes déformé», disait-il.

La musique résonne pour la première fois dans l’enceinte du Fort espagnol Ghazi Mustapha de Djerba.

Denoth revisite les pièces leur donnant une sève qui monte en rythmes, son jeu est musclé; il tape la mesure avec son pied, les yeux fermés… Un tonnerre d’applaudissements avant l’intermède.

Cap sur l’Espagne en compagnie de Manuel de Falla (18876-1946). Denoth entame l’hommage du compositeur à Debussy. Soucieux de rendre les détails et la subtilité des accords. Epris et respectueux du modèle, il exécute ce ‘‘Tombeau de Debussy’’ avec émotion, imprégné par le silence de la salle sans être dérangé par bruit des bruits autour.

‘‘Voyage en Séville’’ (Sevillana), une fantaisie de Joaquim Turina (1888-1949), l’atmosphère est d’époque, le public mord, écoute avec attention des airs facilement identifiables comme la ‘‘Serenada espagnola’’ et ‘‘Leyanda’’ (Asturias) d’Albeniz que le guitariste dédie à Edith Zaech, cheville ouvrière de la préparation du récital.

A la demande insistante d’un amateur, Denoth termine son récital et interprète l’adagio du ‘‘Concerto d’Aranjuez’’, l’un des morceaux les plus joués, amoureusement conduit. «Ici, nous dira Denoth, on n’est pas dans l’entertainment». En effet, il donne à ce morceau son humanité, une plainte lancinante qui fend le cœur.

De gauche à droite : Hamma Hanachi, 2 hotesses de l’ONTT, Skander Ben Ali, consul honoraire de France à Medenine, et Amel Hachani, commissaire de l’ONTT à Djerba-Zarzis..

Du fort retentissent les sons aussi triomphants que la beauté de la pierre, ensorcelante, mélancolie, temps perdu et jamais retrouvé, mouvements d’ivresse, qui annoncent la vacuité de l’existence.

Il est plus de 22h, on leva l’ancre. La preuve en aura été donnée, le fort est accueillant, ses pierres se livrent à celui qui leur donne la valeur. On attend avec curiosité le prochain conquérant.

 

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