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Quelle Loi de Finance dans un pays gangrené par la corruption ?

Au lieu de malmener les bons contribuables, pourquoi ne pas collecter les milliards de dinars d’impôts impayés, de droits de douane non honorés et de crédits bancaires non remboursés ?

Par Moncef Kamoun*

A l’approche de chaque fin d’année, le gouvernement prépare deux projets de Loi de Finances et de Budget de l’État qui sont, finalement, adoptés par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), et mis à exécution.

Les budgets des 6 dernières années, d’un montant global d’environ 176 milliards de dinars tunisiens, ont été votés et exécutés. Mais, où est passé tout cet argent? Qu’est-ce que nos gouvernants successifs ont-ils pu en faire ? L’ont-ils bien utilisé? Si c’est le cas, pourquoi ne sommes-nous pas encore sortis de la crise où nous a plongé la révolution de 2011? L’utilisation de ces précieuses ressources a-t-elle amélioré la vie des Tunisiens ou créé les conditions favorables à un mieux-être de la population? La réponse est négative.

Des budgets dépensés sans grand impact

Les Tunisiens qui se débattent depuis 2012 dans des difficultés et à des souffrances interminables, voient, à chaque marathon budgétaire, l’espoir se réveiller dans leurs cœurs. Mais les Lois de Finances se suivent et se ressemblent, se résumant souvent à la mise en place d’un ensemble de nouvelles taxes et impositions qui détériorent les conditions de vie des couches populaires.

Les dizaines de milliards dépensés n’ont pas permis d’atteindre un taux de croissance à même de relancer l’économie, d’améliorer la vie du citoyen, de lutter contre le chômage, qui touche 627.000 personnes (15,3% des 4 millions de citoyens actifs), et d’instaurer, ce faisant, un environnement propice à l’activité économique, aujourd’hui plus qu’indispensable.

Les dirigeants politiques, qui sont plus habiles à conquérir le pouvoir et à jouir de ses avantages qu’à traiter efficacement les plaies des populations, n’ont jamais su, malgré les dizaines de milliards dépensés, créer les conditions favorables à l’investissement.

Le budget est le principal levier pour la mise en œuvre de la vision et de la politique de l’Etat, mais seules les bonnes idées peuvent améliorer la vie des populations. Or, en Tunisie, le budget est en grande partie absorbé par les dépenses de fonctionnement d’une administration pléthorique et vorace, au détriment de l’investissement et de la création de valeur.

De 8,5 milliards de dinars en 2010, la masse salariale a explosé en passer 14,3 milliards de dinars en 2016. Le ratio par rapport au PIB s’est accru de 10% (soit 50% des recettes de l’Etat) à 13,5% en 2015, puis 14,5% en 2016, avec une forte chance d’atteindre les 15% cette année.

Un pays sous influence mafieuse

Six ans après la chute de Ben Ali, la corruption est loin de faiblir. Au contraire, elle s’est développée au point de devenir une pratique banale et une mentalité difficile à éradiquer.

Les vingt trois années du règne de Ben Ali rappellent l’histoire du sage qui conseilla à l’empereur chinois: «Si vous voulez détruire un pays, inutile de lui faire une guerre sanglante qui pourrait durer des décennies et coûter cher en vies humaines. Il suffit de détruire son système d’éducation et d’y généraliser la corruption. Ensuite, il faut attendre vingt ans et vous aurez un pays constitué d’ignorants et dirigé par des voleurs. Il vous sera très facile de les vaincre.»

C’est presque déjà le cas, aujourd’hui, en Tunisie. La corruption ronge tous les secteurs de l’économie; elle s’est banalisée à tous les niveaux de la société et, après avoir été l’apanage de Ben Ali et de son clan, elle s’est, en quelque sorte, démocratisée.

La corruption est, en effet, solidement ancrée dans les mentalités des Tunisiens qui peuvent se trouver, selon les circonstances, tantôt dans la position du corrupteur, tantôt dans celle du corrompu. Et on dit souvent qu’il faut être corrompu pour survivre dans ce système. Sommes-nous donc tous des corrompus ?

Quand, en tant qu’architectes, nous dessinons deux plans pour un même projet, l’un fictif pour l’obtention du permis de construire, l’autre réel, mais contrevenant aux normes et illégalement exécuté, ne sommes-nous pas des corrompus?

Quand nous travaillons illégalement la nuit sur un chantier, ne sommes-nous pas des corrompus ?

Quand nous acceptons de l’argent en contrepartie de nos voix aux élections, ne sommes-nous pas des corrompus?

Le vrai grand problème se trouve donc aujourd’hui en chacun d’entre nous, car nous sommes tous, à divers degrés, des corrompus potentiels et le pire, c’est que nous pensons que c’est la seule façon pour faire avancer nos affaires.

En d’autres termes, nous sommes tous complices, passifs ou actifs, d’un système que nous acceptons comme une fatalité, la ligne de démarcation entre les gens honnêtes et les sales corrompus étant, en vérité, difficile à tracer. De là à penser que le point de non-retour dans la corruption a été atteint par le peuple tunisien…

Il nous incombe donc à tous de trouver les moyens de combattre les pratiques mafieuses. Et d’engager immédiatement une action populaire d’envergure contre la corruption sous toutes ses formes, étant entendu que le gouvernement seul n’y arrivera, si tant est qu’il y met toute la volonté et tous les moyens requis.

Collectez les impayés avant appliquez l’austérité

Au vu des avants projets qui circulent sur les réseaux sociaux, la Loi de Finances 2018 va aggraver le calvaire des contributeurs et accabler davantage les catégories faibles, les sociétés et les professions libres, en prévoyant de nouvelles impositions et taxations qui augmentent la pression fiscale.

Pourtant, tout le monde sait que l’économie parallèle représente, aujourd’hui, l’équivalent de 52% de notre PNB. Cela veut dire que l’activité des mafieux et des contrebandiers fait perdre au pays annuellement quelque 50 à 60 milliards de dinars. Cela veut dire aussi qu’avec une campagne réussie de lutte contre la corruption, on aurait, à terme, un bon retour sur investissement. Mais si on ne fait rien et qu’on laisse la situation pourrir davantage, cela finirait très mal. Et pour tout le monde.

Depuis des années, il était convenu de récupérer les créances impayées, de sanctionner les défaillants et d’intégrer le secteur économique non soumis au système fiscal et ce en vue d’assurer graduellement une évolution vers l’équité fiscale promise. Mais a-t-on réellement avancé sur cette loi?

On sait, pourtant, que si on arrivait à réduire la corruption et la mauvaise gouvernance, on gagnerait quatre points de croissance et on sortirait de la crise économique qui nous étouffe depuis près de 7 ans, une solution que les sept gouvernements post révolution semblent avoir perdu de vue.

Aussi, et avant d’appliquer les solutions d’austérité dont souffriraient les couches vulnérables, pourquoi ne pas commencer par collecter les milliards de dinars d’impôts impayés, de droits de douane non honorés et de crédits bancaires non remboursés?

* MK Architecte.

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