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Désaccords de Carthage : La Tunisie dans le manège des commissions

Comment peut-on demander à un chef de gouvernement de gouverner en lui imposant des ministres incompétents, en lui liant les mains et en le mettant en sursis ?

Par Tarak Arfaoui *

Comme l’a si bien dit Georges Clemenceau, célèbre homme politique français : «Quand on veut enterrer une décision, on crée une commission.» Et pour s’engluer encore davantage dans «onq ezzoujaja» (goulot de la bouteille) qui étrangle le pays, voilà que les honorables signataires du fameux Accord de Carthage décident de créer une commission pour évaluer les omissions coupables du gouvernement Youssef Chahed dans l’accomplissement de sa mission, et ce dans le but, du moins poursuivi par certains, de le pousser à la démission.

Un énième coup d’épée dans l’eau

Faut-il en rire ou en pleurer? Sept chefs de gouvernements en sept ans et le pays ne décolle toujours pas. Un record dont seule la Tunisie peut se vanter! Le pays est malade et on s’ingénue à lui prescrire toujours la même pharmacopée mais sous différents emballages. La dernière trouvaille de la commission d’évaluation de l’action gouvernementale est évidemment un énième coup d’épée dans l’eau sans aucune efficience.

Le gouvernement Chahed plébiscité il y a 2 ans par un suffrage largement majoritaire à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), est actuellement attaqué de toute part par tous ceux qui lui ont signifié leur soutien, attaqué même par ceux de son propre camp. C’est ce qu’on appelle le coup de pied de l’âne…

L’Accord de Carthage, résultat des cogitations du grand manitou de la politique en l’occurrence le président de la république Béji Caid Essebsi, basé sur le consensus et les concessions, était évidemment miné dès le départ et il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir l’échec de ce gouvernement malgré l’engagement total et la volonté évidente de son président.

Cet échec était largement prévisible aussi bien dans la forme que dans le fond vu la composition hétéroclite du gouvernement formé par les signataires de l’Accord de Carthage, certains aux antipodes politiques les uns des autres, d’autres ayant des intérêts diamétralement opposés et beaucoup n’ayant aucune envergure ni aucun backgroud pour diriger des ministères.

Un chef du gouvernement pieds et mains liées

Qu’aurait espéré M. Chahed de certains de ses ministres qui lui ont été imposés et dont l’inaction et l’incompétence se sont révélées au grand jour?

L’exemple caricatural est celui du ministre de la Santé, en l’occurrence l’islamiste Imed Hammami, ancien porte-parole d’Ennahdha, novice en politique qui n’a aucune idée des problèmes de la santé, parachute à la tête d’un méga ministère aux problèmes complexes et innombrables qui a vu défiler à sa tête une demi douzaine de ministres qui s’y sont cassé les dents.

D’autres ministres, sans les nommer, sont dans la même situation d’incompétence et d’inaction. Certains parmi eux sont des démissionnaires non démissionnés de leurs partis et jouent la comédie de l’unité gouvernementale.

L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), censée s’occuper des affaires purement syndicales, s’est transformée en véritable parti politique, objecteur hypocrite de conscience, soufflant le chaud et le froid et ayant le culot de réclamer la tête de certains ministres.

Dans cette atmosphère pourrie, comment pourrait-on espérer résoudre les multiples problèmes du pays et comment certains trouvent le culot de critiquer le chef du gouvernement qui, pieds et mains liées, encaisse tant bien que mal tous les coups bas de son entourage? Pour l’aider dans sa tâche, on n’a pas mieux trouvé que cette ingénieuse idée de commission d’évaluation et de pseudo énième feuille de routes qui, comme d’autres feuilles, tombera l’automne prochain.

Comment peut-on demander à un chef de gouvernement de gouverner en le mettant en sursis? Deux ans d’atermoiement, de demi-mesures et de passivité n’ont déjà pas suffi et ce n’est pas en 7 jours de cogitations que cette énième commission va trouver la solution miracle

Une commission d’enquête sur… les commissions d’enquête

Cette saga des commissions est une mauvaise parade à tous les gros problèmes du pays et dont la fin se terminera invariablement en queue de poisson.

On se souviendra de la commission mort-née pour enquêter sur les violences policières du 9 avril 2012, qui ne s’est jamais réunie, celle sur l’attaque du siège de l’UGTT par une horde d’islamistes, le 4 décembre 2012, qui n’a jamais vu le jour, comme celle enquêtant sur les graves événements de Siliana, qui a été étouffée et celle de l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis, escamotée comme la récente commission sur l’envoi des jihadistes en Syrie, et j’en passe…

Au point où on est et tant qu’on est en train de s’amuser, pourquoi ne pas créer une commission pour évaluer l’action du président Caid Essebsi ou une commission pour contrôler les travers des députés de l’ARP, une autre pour vérifier l’état de forme des arbitres du derby du dimanche et une dernière pour enquêter sur la chasse de l’outarde par les émirs du Golfe?

Enfin, la meilleure commission sera sans aucun doute celle qui enquêtera sur les travaux de toutes ces commissions!

* Médecin de libre pratique.

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