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Considérations désabusées sur le passé, le présent et l’avenir de l’huile d’olive tunisienne

Quel que soit l’état de la récolte d’olive, les futures fluctuations du marché mondial, dans un sens ou dans l’autre, n’auront aucun impact sur les prix de notre huile d’olive tunisienne qui se vendra bientôt en pharmacie.

Par Yassine Essid

Qu’y a-t-il de politique dans la bonne ou la mauvaise qualité de l’huile d’olive tunisienne ?
En principe rien. Le gouvernement a suffisamment à faire avec le redressement cahoteux du pays, les consensus politiques éphémères, la crise économique et financière profonde et l’insécurité permanente sans avoir à mettre le nez dans nos assiettes.

Ce qui pousse dans nos champs, et dans quelles conditions, jusqu’à la chaîne de production et de distribution, ne figurent pas à l’ordre du jour. De là à garantir une offre alimentaire plus juste, qui apporte des produits plus sains aux consommateurs ainsi qu’un accès égal à la nourriture, est un luxe que l’on ne peut pas s’offrir en temps de crise.

Suite à l’insertion croissante de l’agriculture dans l’économie marchande conformément à la tradition libérale, donnant lieu à une dynamique d’ensemble, pas toujours facile à maîtriser, incluant des activités allant des industries de l’amont agricole jusqu’au commerce de détail, les activités de production et de consommation de produits dits agroalimentaires se retrouvent aujourd’hui soumises à la triple tutelle des ministères de l’Agriculture autant que ceux du Commerce et de la Santé.

Le magazine français par qui le scandale arrive

Aussi, former et informer, instruire et guider, dénoncer les conduites qui nuisent à autrui, lutter contre les fraudes et les malfaçons, ne sont-ils pas du ressort des pouvoirs publics ?

Or dans les pays en voie de sous-développement, les préoccupations des gouvernements sont moins d’ordre qualitatif que quantitatif. De plus en plus, la sécurité sanitaire des denrées et les vertus spécifiques des produits alimentaires sont devenues des garanties auxquelles il est loisible de renoncer.

Le magazine ‘‘60 Millions de consommateurs’’, un mensuel devenu une véritable institution dans le paysage économique français, fondé en 1970 et édité par l’Institut national de la consommation (INC), a consacré son numéro d’avril 2018 à sept familles de produits d’épicerie largement importés : le riz, le café, le chocolat, le quinoa, le sucre de canne, l’huile d’olive et le miel. 74 aliments furent analysés pour savoir s’ils sont ou non contaminés par des pesticides.

Dans cette longue liste de denrées, les examens avaient révélés que l’huile d’olive tunisienne, commercialisée en France sous le label «bio», contient des résidus de pesticides et de plastifiants, notamment des phtalates, reconnus comme perturbateurs endocriniens.

Cette migration des plastifiants, qui touche surtout des huiles de Tunisie, peut provenir des contenants ou des joints de machines utilisés sur la chaîne de production. On a trouvé également du toluène et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) dans plusieurs échantillons.

Jusque-là rien de choquant et je suis persuadé que les pays producteurs de chocolat, reconnu comme étant porteur de répulsifs anti-moustiques, ne vont pas prendre la mouche au point de dénoncer une manœuvre néo-impérialiste et anti-libre-échangiste, destinée à favoriser les produits de la métropole aux dépens des produits étrangers.

Le ministère de l’Agriculture vient de nous rappeler au bon souvenir du discours totalitaire. En effet, sous les dictatures, habituées à tout dissimuler pour couvrir leurs impairs et à tout acheter pour faire taire, on dénonce et on s’éloigne de la preuve scientifique pour recourir à l’opinion, «qui est l’apparence des connaissances», comme le dit Platon.

Loin d’être un modèle de vigilance en matière de contrôle des produits alimentaires, encore moins soucieux de la préservation de la biodiversité et de la valorisation du patrimoine naturel, plus prompt à s’exonérer de toute obligation de vérifier la conformité du produit aux prescriptions en vigueur qu’à protéger la santé de la population, ce département a raté l’occasion de laisser les producteurs privés d’huile réagir en leur nom propre.

Préférant exercer une hypothétique tutelle, les fonctionnaires du ministère, particulièrement enclins à prendre ombrage à la moindre critique, ont publié un communiqué dans lequel ils dénoncent le verdict du mensuel français. Les analyses effectuées par le magazine sur nos précieux échantillons n’obéiraient, selon eux, à aucun critère significatif, objectif, mesurable, valorisable, vérifiable et vérifié, qui soit reconnu sur le plan international ou européen et du coup sont scientifiquement inadmissibles et moralement malintentionnés.

Ce résultat n’aurait donc aucun fondement en l’absence de critères de la limite minima de ces substances toxiques dont on reconnaît la capacité à migrer du plastique au corps humain.

Circulez, y’a rien à voir !

La pastille de distinction sur la bouteille

Il arrive cependant, et a contrario, que le doute s’immisce lorsque l’huile tunisienne fait l’objet d’une certaine reconnaissance internationale, parfois au-delà du vraisemblable, sous la forme d’une pluie de médailles, comme ce fut le cas au concours international de l’huile d’olive vierge extra, tenu à Los Angeles en 2018, avec un total de six médailles d’or.

Mais un macaron appliqué sur une étiquette, qui rapporte gros car jouant le rôle de guide auprès des consommateurs, n’est pas forcément gage de qualité. Tout le monde connaît cette marque historique tunisienne d’eau plate médaillée Or à Vienne et jamais mise à jour. Peu importe le mérite, si elle est allégée en sodium ou riche en calcium, l’essentiel n’est-il pas de faire figurer la pastille de distinction sur la bouteille?

Conçues pour guider l’acheteur, ce qui se cache derrière ces médailles, pour lesquels les producteurs payent afin d’y participer, reste assez opaque. Il suffit cependant de creuser un peu pour constater que la plupart des concours sont menés par des organismes privés avec des jurys composés de consommateurs, de professionnels, ou d’un mélange des deux. Une chose est sûre : il existe un problème de rentabilité du concours et, même si l’huile est médiocre, il y a un risque qu’elle reçoive malgré tout une médaille, grassement payée.

Aussi, l’intervention de ces manifestations, que sont les concours internationaux, ne peut se substituer aux organismes certificateurs, qui imposent complètement leurs contraintes aux acteurs, jouant un rôle actif dans le passage d’un régime domestique vers un régime industriel et dont les contrôles sont fiables en tant que tiers expert extérieurs au marché.

Au même titre que les diplômes, on peut craindre que le caractère contraignant de la réglementation et le coût des contrôles favorisent les pratiques marginales de petits producteurs rebutés par la certification officielle. La tentation demeurant forte, en effet, de se prévaloir indûment de l’agriculture biologique pour vendre plus cher ses produits. Ce fut probablement le cas pour les marques dénoncées par ‘‘60 millions de consommateurs’’. Malgré l’ineptie des réflexions du ministre de l’Agriculture, Samir Taieb, pourtant responsable d’un département stratégique pour la survie du pays, qui ne sait pas combien il y a de mètres carrés dans un hectare, ne s’est jamais distingué par son intelligence politique, sa hauteur de vue ou la profondeur de sa pensée, l’huile d’olive demeure l’essence même de la cuisine tunisienne, et un ingrédient indispensable du régime méditerranéen. En déclarant que l’huile d’olive ne relevait pas de notre culture culinaire, il ne fait que perpétuer une politique à l’épreuve de la régulation du marché.

Réduire la consommation intérieure d’huile d’olive

Revenons un peu en arrière. Des huiles végétales sont introduites en Tunisie au début des années 1960 pour produire de l’huile de mélange dans une société qui jusqu’alors consommait uniquement de la graisse animale et de l’huile d’olive produite localement. Après une phase initiale d’accoutumance, ce type d’huile a pu gagner des parts de marché en Tunisie du fait que les prix à la production de l’huile d’olive ont grimpé et les prix de l’huile de mélange ont été maintenus à des niveaux nettement plus bas.

Ainsi, la Tunisie, un des plus grands producteurs d’huile d’olive au monde, s’était mise à subventionner sa consommation locale d’huile de grains (soja et colza) désormais importée afin de réduire la consommation intérieure d’huile d’olive, dégager ainsi d’importants excédents exportables et promouvoir l’afflux de devises.

Hier, comme aujourd’hui d’ailleurs, les appels réitérés faits au public pour l’encourager à consommer davantage d’huiles végétales devaient fluctuer au gré des caprices du marché international. En effet, à partir du milieu des années 70, aux restrictions imposées par la CEE entravant les exportations tunisiennes d’huile d’olive, s’est associé le renchérissement des prix à l’importation d’huiles de graines. Le résultat fut alors un excédent énorme d’huile d’olive aggravé par une succession de campagnes exceptionnelles et une population qui a fini par s’habituer, entre-temps, au goût d’une huile végétale au prix abordable.

On se mit alors à encourager la consommation d’huile d’olive. Mais une décennie plus tard, suite à une discordance entre prévision et production réalisée au niveau mondial et à la reprise des exportations, cette incitation à la consommation d’huile d’olive fut abandonnée, son cours ayant retrouvé et même dépassé ses plus hauts sommets passés.

Pour vaincre encore une fois la réticence du public et encourager, pour la seconde fois, la consommation d’huiles végétales, sans pour autant discréditer définitivement l’huile d’olive, on invoqua comme argument le préjugé, fort répandu d’ailleurs, que les ménagères tunisiennes s’en servaient pour la cuisson de tous les plats alors qu’il ne fallait jamais cuire l’huile d’olive.

Plus tard, suite aux difficultés d’écoulement sur les marchés extérieurs, on vu se manifester de nouveau une volonté d’inciter la population à renouer avec les habitudes du passé, en la poussant à inverser le sens de la substitution. Une campagne publicitaire a été lancée pour vanter, cette fois, les multiples vertus de l’huile d’olive, du reste incontestables, et les prix à la production ont été ramenés en 1998-99 à un niveau nettement plus bas comparativement aux campagnes précédentes.

L’huile d’olive de plus en plus chère

À grand renfort d’arguments médicaux et diététiques on s’est mis à louer la saveur de l’huile d’olive, citant ses caractéristiques chimiques et physiques supposée la différencier nettement des autres huiles végétales et des graisses d’origine animale.

Pour l’avenir, bonne récolte ou pas, le Tunisien est irréversiblement condamné à payer son huile d’olive de plus en plus chère. En 2014, les exportateurs tunisiens avaient largement profité de la baisse de production espagnole d’huile d’olive qui a chuté de moitié, de l’italienne de 35%, et la grecque de 57%, encourageant d’autant les exportations en éliminant toute baisse des prix sur le marché tunisien. Tout nous porte à croire que les futures fluctuations du marché mondial, dans un sens ou dans l’autre, n’auront aucun impact sur les prix de notre huile d’olive qui se vendra bientôt en pharmacie.

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