17 Mai 2018 | 17:43 A LA UNE, ECONOMIE, Tunisie
Schéma du réseau hydrique proposé par Dr Jalloul Sghari.
Dix milliards de m3 d’eau de pluie sont jetés chaque année à la mer, s’alarme Jalloul Sghari, docteur en économie de la Sorbonne et maître de conférence à l’université Paris Descartes, dans une étude à paraître et intitulée «Plan d’urgence économique et sociale pour la Tunisie postrévolutionnaire».
Par Hassen Mzoughi
Comment récupérer cette richesse pour booster l’agriculture, absorber le chômage et créer de la plus value économique ?
Jalloul Sghari a un plan. La Tunisie est en situation d’urgence économique et sociale qui alimente une situation sociale explosive. En l’absence d’une vision globale, la réforme de l’économie passe inéluctablement par des programmes spécifiques dont principalement une mobilisation efficace de l’eau.
La Tunisie pourra devenir un pays riche en eau, assurer son autosuffisance alimentaire, exporter les céréales et autres produits agricoles, réduire sensiblement la pauvreté, voire importer de la main d’œuvre, insiste ce passionné de croissance économique.
Chaque année, la Tunisie dispose d’une masse totale de précipitations de 36 milliards de m3, dont 14 milliards de m3 d’eau bleue vont dans les rivières, lacs, sebkhas, et infiltrée dans les nappes souterraines. Le reste, appelé eau verte, est absorbée par les végétaux (forêts…).
Le captage et la mobilisation de cette eau bleue ne dépasse pas 4 milliards m3.
Résultat choquant : 10 milliards de m3 sont jetés en mer chaque année. Jalloul Sghari affirme qu’il y a moyen de sauver cette richesse. Elle peut être stockée et transformée en eau verte par l’irrigation. Et c’est réalisable.
Le problème en Tunisie n’est pas le manque d’eau mais la mobilisation de cette richesse et sa répartition entre les différentes régions. La Tunisie n’est pas pauvre en eau mais en situation de pénurie économique en eau. Il faut démystifier la réalité rendue plus complexe par la démagogie politique, l’obscurantisme (manque d’eau=punition de dieu), et par le retard pris par les gouvernements successifs à relancer l’économie après 2011.
Il faut de l’audace, de l’imagination et de la volonté politique pour briser le cercle vicieux, réclame-t-il. La problématique de l’eau a été bien gérée par les musulmans en Espagne, les Chinois, les Hollandais dès le 16e siècle, et tout récemment par les Espagnols, les Italiens et les Portugais. Pourquoi ne pas s’inspirer du génie de l’humanité et adopter une solution tunisienne. Sans gros frais, précise le spécialiste tunisien.
Ce n’est pas le château d’eau du nord-ouest qui suffit à résoudre le problème. Les barrages coûtent trop cher en entretien et la priorité y est accordée plus à la sécurité des édifices qu’à la sauvegarde de l’eau. Quelque 10 milliards d’eau ont été lâchés par les barrages comme trop plein entre 2000 et 2006 !!
Pour sauver le maximum d’eau possible, notre expert propose l’édification d’un système de canaux axe nord-sud connecté au fleuve Medjerda comme point de départ. Ce réseau de canaux (principalement des cours d’eau artificiels) sera relié aux zones humides existantes d’une superficie de 11 millions de km2 (lacs, sebkhas…) pour en faire des réservoirs de stockage de l’eau d’irrigation, à même de lutter par ailleurs contre les crues, l’érosion, la sécheresse et la salinisation du sol.
La sauvegarde de l’eau participe aussi de la recharge des nappes souterraines, augmente le ratio actuel de 430 m3/hab/an à 1300 m3/hab/an pour dépasser le seuil de l’autosuffisance (1000 m3/hab/an) et favorise la répartition de cette richesse hydrique entre les régions, notamment le sud, région couvrant 62% du territoire mais dépendant à 88% des seules eaux souterraines de moins en moins renouvelables! Il est surprenant de constater que les zones côtières sont desservies en eau et la Tunisie profonde ne l’est pas malgré sa richesse en eau !
Cette infrastructure a une durée de vie infinie, nécessite très peu d’entretien et surtout d’un coût dérisoire à l’Etat. Elle offre notamment une sortie par le haut de la crise du chômage, du sous emploi et de la sous production agricole.
La réalisation de ce projet n’implique pas, souligne l’expert tunisien, de gros investissements. Il ne peut rien coûter à l’Etat. L’armée des ouvriers dits des «hadhayers» dont le nombre a explosé après le 14 janvier 2011 (250%) peut compenser l’effort budgétaire indispensable à ce projet. Le budget consenti pour les ouvriers des «hadhayers» (en gros venant de Sidi Bouzid Kasserine et du nord-ouest) est passé de 82 millions de dinars tunisien (MDT) en 2010 à 260 MDT en 2014. Ce budget sera autrement mieux utilisé pour cette main d’œuvre qui sera mutée à l’édification des infrastructures hydriques et routières.
La mobilisation de l’eau, combinée à l’amélioration de l’infrastructure routière, portuaire, ferroviaire, des télécommunications…, permettra la modernisation de l’agriculture, le désenclavement du monde rural et la création de nouvelles zones de production et de croissance. «Très complémentaires, les deux infrastructures peuvent générer des services productifs», ajoute l’expert.
Une plus grande mobilisation de l’eau pluviale fait jouer à l’agriculture irriguée un rôle moteur. D’autant que la Tunisie dispose d’une superficie agricole totale représentant 62% de la superficie totale du pays. Or 9% des terres sont irriguées, ce qui veut dire que 91% ne le sont pas.
Le développement de l’irrigation crée de l’emploi immédiat. Les 10 milliards de m3 d’eau supplémentaires, «permettraient de créer 639.000 postes d’emploi directs dans le secteur irrigué, sans compter les emplois indirects dont 234.000 nouveaux postes d’emplois ruraux non agricoles», précise Jalloul Sgahri. Une main d’ouvre économiquement efficace, pas des gens oisifs comme les «hadhayers».
«La moitié de cette eau pourrait assurer l’autosuffisance alimentaire, réduire les coûts à l’importation du blé notamment, réguler la caisse de compensation. L’autre moitié de l’eau récupérée peut être utilisée pour augmenter les terres cultivées, assurer une production céréalière supplémentaire destinée à l’exportation, et donc réduire le déficit commercial», ajoute Dr Jalloul Sghari.
L’amélioration de l’infrastructure routière permet de supprimer les barrières entre les régions, donc faciliter l’accès aux marchés agricoles, inciter à l’investissement dans des régions de production autres que les zones «classiques» de la moitié est du pays. Ainsi le cercle vicieux de la marginalisation socio économique peut être brisé avec l’eau et une infrastructure routière adéquate.
On ne peut pas demander au pays de réussir sa transition avec des slogans politiques (liberté, dignité etc.). Des investissements intensifs dans les infrastructures hydriques et routières sont une solution structurelle pour absorber le chômage, intégrer le monde rural dans les circuits économiques, réduire les inégalités, combattre la pauvreté, apaiser les tensions sociales, voire lutter contre la contrebande et le terrorisme.
La Tunisie dispose d’une grosse richesse en terres agricoles qui offre un potentiel important. Elle est l’un des pays les plus riches en terres fertiles en Afrique. La superficie agricole totale représente 62% de la superficie du pays. À cela s’ajoute 1,6 millions d’ha de forêts, maquis et steppes et environ 4,7 millions d’ha de terres incultes dont une bonne partie de zones humides et terres désertiques. Or seulement 9% des terres agricoles sont irriguées.
La filière céréales qui fait travailler la moitié de la main d’œuvre agricole et occupe le tiers de la superficie utile en 2013 (1,3 million d’ha), devrait être visée par la mobilisation de l’eau supplémentaire. Or la moitié de cette eau que la nouvelle structure hydrique capterait, suffirait à assurer l’auto suffisance alimentaire en céréales, et la création de 300.000 emplois directs. L’autre moitié de l’eau mobilisée devrait permettre une production céréalière (blé tendre notamment) supplémentaire pour l’exportation. Le choix de cette production réduirait la lourde facture à l’importation des céréales (valeurs des importations passant de 599 MDT en 2006, à 1.438 MDT en 2008), l’inflation importée, les charges de la Caisse générale de compensation et surtout le poids du chômage, source de plusieurs «dérapages» politico-dogmatiques, exploités par des arrivistes pour prendre le pouvoir.
La dialectique de la ruralité, de la pauvreté, de la marginalisation, de l’explosion sociale et politique, nourrit le fatalisme cher aux gourous islamistes, le rejet social, le désespoir et l’extrémisme dans toutes ses dimensions.
Il est anormal que la Tunisie n’utilise que le tiers de sa richesse hydrique. Résultat choquant qui interpelle les autorités à tripler les ressources du pays en eau.
La capacité du nouveau système de drainage dépendrait de sa densité. Mais son impact stratégique serait d’une importance capitale. Outre son apport économique et social, il serait indiqué de transformer le canal qui longerait la frontière tuniso-algérienne en un vrai fleuve d’une centaine de mètres de larges et de 10 à 20 mètres de profondeur. À lui seul il pourrait drainer des milliards de m3 d’eau vers les zones déshéritées du Centre et du Sud mais serait un barrage contre le terrorisme et la contrebande, indique l’économiste tunisien.
Le blocage d’ordre politico économique ne peut plus durer… Les autorités doivent être convaincues de leur mission de créer des infrastructures favorisant des retours sur investissements.
La transition politique est fragile et inachevée. Mais quand l’économie stagne, cela devient urgent de trouver son propre chemin selon ses spécificités et ses ressources naturelles et humaines. Se résoudre à la politique du moindre effort genre «taqachof» (austérité) ou liquider des entreprises publiques est dangereux.
Au contraire, le rôle de l’Etat c’est d’atteindre les régions pauvres qui ne disposent pas d’infrastructures capables d’attirer les investisseurs, pour les sortir de leur isolement historique, de consolider justement la transition politique par un effort de relance économique porteur. L’une ne réussira pas sans l’autre.
L’eau en Tunisie : Découplage entre croissance et surconsommation
Tunisie sous stress hydrique: Ce n’est pourtant pas l’eau qui manque (1/2)
Tunisie sous stress hydrique: Ce n’est pourtant pas l’eau qui manque (2/2)
Bel article, voilà ce qu’il faut pour le pays. À désigner rapidement ministre de l’agriculture ou des équipements et le laisser réaliser ce projet. L’eau est une richesse extraordinaire.
et combien me mètre cubes perdues pour laver sa voiture en Tunisie ?
Article tres interessant. Esperons que les dirigeants y pretent attention et réfléchissent sur la portée de ce projet
Parle à mon cu ma tête est malade. Des idées de génie dans un navire qui coule. Dommage ca sera un miracle si quelqu’un vous écoute.
Voilà des propositions constructives qui nous font sortir des critiques systématiques et stériles de ces dernières années. Je souhaite toutefois à l’auteur du projet beaucoup de courage quand il devra se mettre en rapport avec les autorités concernées pour sa réalisation et sa mise en pratique. Il faudra alors compter avec le principe d’inertie bien présent dans les rouages de l’administration, et qui décourage tous les enthousiasmes.
Une agriculture moderne est une priorité absolue pour sortir les régions de l’intérieur de leur isolement et de la pauvreté qui les caractérise et fixer les populations.
D’ailleurs la Banque mondiale a affirmé que l’agriculture est une priorité pour combattre la pauvreté en Afrique.
Après 60 ans d’indépendance d’une part ces régions n’ont reçu aucune retombée du tourisme ,d’autre part leur industrialisation reste très difficile pour différentes raisons.
Rappelons que ces régions contribuent à peine à 20% au PIB.
Voila ce qu’a dit le président Bourguiba le 22 Janvier 1959:
« Nous devons élever le niveau de ce peuple et lutter contre le chômage,la misère et le retard économique.Nous devons y parvenir coûte que coûte …C’est une question de vie ou de mort pour le régime.S’il ne réussit pas dans ce domaine ,c’est son existence même qui sera en jeu »
Espérons qu’il n’est pas trop tard avec les fractures idéologiques,économiques et sociales que connait le pays.
Comme Kapitalis m’interdit de recopier l’article ; je n’aurai pas le temps de bien l’étudier et de vérifier la qualité et la fiabilité des propositions faites.
Merci d’attirer l’attention sur cette inexplicable interdiction de Kapitalis ! Qui en expliquera jamais les raisons???
Bonsoir Mr Kamel Ben Salem
Qu’est ce qui vous empêche de copier manuellement cet article remarquable?
Qu’est ce qui vous empêche de l’étudier?
Si vous n’avez pas de temps à consacrer pour votre pays on voudrait bien savoir qu’est ce qui vous occupe.
Est ce que vous pourriez répondre à ces 3 questions ou bien vous n’avez pas le temps.
Pas du tout d’accord pour les raisons suivantes:
– Toute l’eau qui atteint la mer n’est pas perdue. Elle est nécessaire à l’écosystème marin,
– Le transfert de l’eau de l’ouest de la Tunisie nécessite le pompage à traver une crête de 1000 m environ, soit l’équivalent du dessalement en terme de consommation d’énergie,
– Le projet proposé ne peux en aucun can être rélisé par de la main d’oeuvre. Pour véhiculer les volumes proposés, il faut installer des canaux géants qui ne peuvent être manipulés que par des engins adaptés, généralement non disponibles en Tunisie, donc qu’il faut acheter ou louer.
– Le bassin de la Medjerda ne pourrait plus satisfaire les besoins des habitants et agriculteurs de ce bassin après 2020 (environ).
– La majorité des excés d’eau sont observés en période de crue (inondations). Lors de ces épisodes l’eau est violante, chargée et brutale. Le taux de mobilisation ne sera que minime.
Revenant aux solutions réalistes:
– Les Technologies de la plomberie intérieure peuvent réduire de 50% la consommation domestique (qui pose le plus de problèmes),
– La sensibilisation des usagers peux réduire entre 10 et 15% la consommation,
– Les pertes dans les réseaux en moyenne 70% en eau potable et peuvent atteindre 50% en irrigation! C’est à ce niveau qu’on peux creuser pour récupérer au moins 60 Millions m3/an en eau potable.
– La gouvernance !!!!!!!! Qui s’occupe du secteur? Quelles qualités du vrais « managers » dans le secteurs de l’eau. Si on arrive à cerner cette question, tout sera arrangé.
Avec ses torts, comme avec ses vertus, cet article offre le grand avantage d’attirer l’attention sur cette déperdition d’une ressource vitale qui, plutôt que de servir à l’écosystème marin, devrait bénéficier à l’agriculture qui nourrit des millions de Tunisiens : el ma elli mechi lessedra… n’est-ce pas ! Cet article, donc, les propositions de M. Jalloul Sghari, les critiques et contre-propositions de M. Issam Nouiri, toute cette cogitation bénéfique devrait servir de bas pour une réflexion nationale sur la façon de minimiser, sinon d’empêcher, le gaspillage de l’eau, si précieuse ! Subsidiairement, rappelons la proposition avancée récemment d’obliger tout demandeur d’autorisation de bâtir une maison individuelle à inclure dans son plan une citerne pour recueillir les eaux pluviales, comme on le faisait dans un passé assez récent à Sfax, et dont je continue à bénéficier de la bénédiction qu’il procure !
Tout à fait d’accord avec l’analyse de M. Issam Nouiri,
Autres arguments :
1-Quel est le coût du projet et la durée d’amortissement des investissements (aucun chiffrage dans l’article).
2-Les projets similaires (Par exemple, le fameux projet de Kadhafi, le fleuve artificiel) ont-ils réussit ?
3-Quel est l’impact sur l’environnement (on peut voir aussi le cas du détournement du fleuve Colorado) ?
En deux mots : Il faut s’adapter aux conditions naturelles de chaque région, et optimiser l’exploitation de ses ressources naturelles.
en Turquie vous seriez écouté mais en tunisie j ai des doutes inchallah
Pas tout à fait d’accord!! ds las années 70 un plan directeur des eaux a été établi et certaines de ses recommandations ont été retenues:création de barrages collinaires (de montagne),de barrages :voir carte ds ce lien :(www.semide.tn/contextedeleao/carte.htm) et du canal des eaux du Nord vers Cap Bon (par les chinois) projet de canal vers le Sahel etc…et des sondages profonds faits par la Sonede …tout ça grace aussi à la politique(bonne ou mauvaise !) mise en place.Ne pas oublier que ds bcp de villages isolés la population est raccordée à l’eau potable ce qui n’est pas le cas en Algérie par ex ou même à Alger il y a des restrictions par moments.
Espérer récupèrer tt ce qui tombe du ciel est illusoire ! pourquoi ne pas aussi bloquer l’exutoire de tout les fleuves ,rivières ???car ce sont ces cours d’eau qui récupèrent la pluie ,,et pourquoi ne pas récupérer l’eau thermale des sources (Korbous …)
Il devrait remplacer post-révolutionnaire par post-soulèvement provoqué !
effectivement que le problème d’eau va en s’aggravant il faut des mesures pour limite ça d’ailleur ça aurais du etre fait depuis longtemps des projets de ce type doivent etre une priorité des gouvernements ou meme de l’Etat
car ça deviens urgent très urgent la guerre pour l’eau n’est pas loins si nous ferons rien dans quelque décennie nous achèterons de l’eau au pays du nord