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Bloc-notes : Démocratie islamique en Tunisie, mode d’emploi

Le costume cravate suffit-il à l’islam politique pour devenir démocratique et civil ?

Il ne suffit pas de parler de démocratie islamique en restant au niveau des clichés; il faut en discourir concrètement, à moins d’en faire juste une vue de l’esprit. En voici donc le discours de la méthode.

Par Farhat Othman *

Le parti islamiste croit qu’il suffit de prétendre vouloir en Tunisie être une démocratie islamique pour que cela soit suffisant à le rendre démocratiquement crédible; c’est juste faire entendre aux Occidentaux ce qu’ils veulent entendre nonobstant sa vacuité, car ce qui compte pour eux reste le service de leurs intérêts auquel veille au grain le parti islamiste. C’est l’essence même de l’alliance capitalislamiste sauvage qui a amené les pestiférés d’hier au pouvoir en Tunisie. Faut-il, à défaut de la quarantaine, que logiquement impose la bonne pratique sanitaire et qu’ils auraient dû subir, qu’ils fassent concrètement la preuve de leur bonne santé démocratique. Cela ne peut l’être qu’avec des actes dont nous détaillons les plus symboliques, auxquels Ennahdha est toujours opposé. Qu’on les mette donc en œuvre et de suite si le parti est sincère dans ses prétentions à la démocratie !

Fausse démocratie islamique d’Ennahdha

Voyons d’abord ce qu’entend le président du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, par son slogan de démocratie islamique qu’il appelle à propager dans le monde arabe afin d’en faire «un partenaire» pour les «systèmes de gouvernement libéraux et démocrates».

Il part du principe que «toutes les personnes sont égales devant Dieu et que l’État a besoin de tous ses enfants, abstraction faite de leur sexe, situation sociale ou religion.» Et après ? Que son parti Ennahdha se veut être «un parti civil». Qu’est-ce à dire ? La réponse de M. Ghannouchi est bien claire : «faire émerger une alternative politique qui respecte les valeurs de l’islam et rejette l’extrémisme.». Car, affirme-t-il sans oser en donner concrètement la preuve, «le message de l’islam est un message de paix qui contribue au changement démocratique dans notre pays».

On le voit bien, la paix ne concerne nullement le jihad, par exemple, qui est pourtant la première tare reprochée à l’islam, mais juste l’opération électorale dont on sait à quel point elle ne résume pas la démocratie, puisque le nazisme, par exemple, est arrivé par les urnes.

Ce qui intéresse M. Ghannouchi est donc le pouvoir. Une fois affirmé, sans le démontrer, le supposé caractère civil de son parti, il tient à rappeler que ses «valeurs sont puisées de l’islam». Aussi réduit-il la définition de la démocratie islamique à laquelle il prétend à «un rôle d’encadrement de ceux qui ne veulent pas omettre les valeurs religieuses de l’espace public et ce pour qu’ils ne tombent pas dans le piège des discours extrémistes».

Voilà ce que serait la démocratie islamique en Tunisie. C’est bien mince et sans valeur crédible. Ainsi, quand il se prend au jeu de valoriser le statut de la femme, il ne dit mot de la question sensible de l’égalité dans l’héritage, se limitant d’appeler à amener les femmes à occuper des positions de leadership sur la scène politique au nom du besoin de l’État de toutes ses compétences, indépendamment du genre, de la situation socio-économique et de la religion.

Méthodique démocratie islamique

En esquissant ici, pour contrer le discours mensonger de M. Ghannouchi, le discours de la méthode de la démocratie islamique en mesure d’être instaurée en Tunisie, nous rappellerons d’abord les quatre préceptes prévus par Descartes, celui qui fut le premier à donner ses lettres de noblesse à la méthode et son discours, résumés et adaptés à notre sujet. Ainsi, le parti islamiste en Tunisie sera-t-il inspiré de s’en inspirer lui qui prétend y agir tout en trompant sur la nature du produit.

Pour Descartes, il importe d’abord de ne recevoir aucune croyance pour vraie qu’elle ne soit connue évidemment être telle. Cela s’applique à l’islam qui n’est une foi de justice et d’égalité que par des lois en la matière, comme l’égalité successorale et l’abolition de l’homophobie.

Ensuite, il conseille de diviser les difficultés en autant de parcelles qu’il se peut; ce qui, pour le discours extrémiste, suppose d’aller aux causes de base, comme de décréter que le jihad est désormais illicite et que la religion ne doit pas sortir du cadre strict de la vie privée, n’étant pas faite pour la vie publique.

En troisième lieu, il conseille de conduire par ordre ses pensées en allant par degrés du simple au composé. Ce qui suppose de le faire par des lois, seule arme pour imposer le vivre-ensemble et faire évoluer la saine compréhension des valeurs de l’islam comme étant un corpus de droits et de libertés, tels ceux déjà évoqués ou encore le droit à commercer en toute liberté l’alcool, y compris vendredi et durant ramadan, sans parler de sa libre consommation; ou encore le droit au sexe, même hors mariage, du moment que les personnes sont majeures et consentantes.

Enfin, il juge nécessaire de faire des dénombrements et des généralisations n’omettant rien, ce qui suppose que l’on ose sortir la religion de la tradition qui s’est créée autour des quatre rites en revenant au seul texte faisant foi en islam, le texte du Coran, et de rouvrir la porte de l’interprétation à faire selon ses visées et avec l’éclairage, au vu de ces mêmes visées, des seules deux recensions majeures et authentiques.

Cela suppose également de sortir la foi de la sphère publique pour la consigner à sa sphère privée où personne n’a le droit d’entrer, ce qui permet le jugement général, n’omettant rien sur le caractère paisible et juste de l’islam, puisque rien de public ne se fera en son nom, et ce qui s’en réclame ne concerne que la personne et qui le fait tout juste pour sa vie privée. Et ce quel que soit le sens qu’elle lui donne dans le cadre de l’effort d’interprétation qu’autorise l’islam au point de rétribuer l’erreur du moment qu’elle est de bonne foi. C’est ainsi, au reste, que l’on renoue avec la nature scientifique et rationaliste de l’islam.

Comme pour Descartes, cette méthode aboutit à une morale qui, si elle est le produit d’un doute généralisé, n’est pas moins sûre relativement à un point : le fait que penser étant être. Principe fondamental de la métaphysique cartésienne, je pense donc je suis sera, pour notre Démocratie Islamique : j’ai la foi, donc j’ai des lois. La manifestation démocratique des valeurs de l’islam n’est pas tel que nous le montrent nos livres de théologie, issus de contextes non démocratiques, mais tel que notre entendement démocratique et pluraliste le conçoit et le consigne hic et nunc et dans des lois véritablement humanistes.

Aussi, si Ennahdha ne veut pas juste singer, en Tunisie, ce que fut la Démocratie Chrétienne dans le plus proche pays de la Tunisie qu’est l’Italie, ce parti qui a été créé en 1942 et qui a frayé avec la mafia, n’ayant pas été épargné par les scandales, il doit veiller à être enraciné dans le réel tunisien, mais d’une manière dynamique, au diapason du génie du pays et de sa foi tolérante et libertaire dans sa nature véritable et non celle que le parti caricature encore.

Une démocratie islamique de suite !

Partant de ce qui précède, nous disons qu’une démocratie islamique n’est possible en Tunisie que si elle commence, sans plus tarder, par débarrasser le pays de sa législation scélérate actuelle qui est l’héritage de la dictature, un régime supposé aboli, et du protectorat qui a imposé sa foi chrétienne liberticide au nom de l’islam. Nombre de pans de cette législation ont été annulés par la constitution du pays; ce qui veut dire que les juges tunisiens appliquent des lois nulles de nullité absolue, notamment celles traitant des droits et libertés individuelles.

En la matière, la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) vient de rendre son rapport comprenant un Code clef en main des libertés individuelles et des libertés; que le parti islamiste soit donc le premier à agir pour le voter au plus vite. Il ne tient qu’à lui de le faire étant le parti le plus nombreux au parlement et celui qui est censé être opposé aux propositions ambitieuses contenues dans ce projet. Ainsi, c’est donc en l’adoubant sans réserve et en agissant pour le faire voter rapidement en l’état que le parti islamiste apportera une preuve éclatante de sa sincérité.

Il est vrai, à part l’égalité dans l’héritage, la Colibe n’a pas justifié d’un point de vue religieux ses propositions incontournables en démocratie, ce qui risque de faire hésiter le parti Ennahdha de défendre son projet de Code de peur de heurter ses adhérents les plus intégristes. Mais à vaincre sans périls, comme dit le poète, on triomphe sans gloire. C’est le challenge que doit relever le parti de M. Ghannouchi dans sa prétention à incarner une véritable

Démocratie islamique dans le monde arabe et islamique.

De plus, sa tâche sera d’apporter les preuves que n’a pas jugé bon d’apporter la Colibe sur la possibilité en islam d’abolir l’homophobie ou la peine de mort, de libéraliser totalement le commerce et la consommation d’alcool ou encore de reconnaître le droit de ne pas jeûner publiquement durant ramadan, car c’est la piété qui doit se faire discrète en islam, non le contraire. Or, ces preuves existent désormais. Il suffit de les reprendre. Ce faisant, Ennahdha apportera une preuve magistrale dans sa volonté d’être une démocratie islamique, et ce, en étant le premier partisan dudit Code des droits et des libertés, non seulement par la parole, mais surtout par les actes.

À défaut, s’il estime devoir être bourguibien et vouloir pratiquer sa politique des petits pas en procédant petit à petit pour préparer ses adeptes, ce qu’on pourrait comprendre si cela ne relève pas de l’arnaque, de la mauvaise foi. Pour cela, il importera qu’il agisse vite et bien, en ciblant les sujets particulièrement sensibles dans l’imaginaire populaire et qui peuvent avoir de l’effet utile sur leur inconscient, en y pulvérisant les freins dogmatiques.

Ce sera le cas en osant réaliser de suite l’égalité successorale, l’abolition de l’homophobie et la levée de toutes les interdictions frappant l’alcool. Outre les projets de loi en l’objet proposés par la société civile, dont deux ont été déposés sur le bureau des initiatives législatives du parti Ennahdha, relatifs aux deux premières questions, cela peut se faire également en procédant de manière encore plus rapide et simple en annulant les circulaires déjà illégales en application sur la vente d’alcool et sur le test anal. Cela suppose juste une action de la part du chef du gouvernement qui doit sa place, de plus en plus, au précieux soutien du parti islamique auquel donc il ne refuserait pas une telle action s’il osait la lui demander. La fera-t-il ? Ce serait bien l’ultime façon pour se montrer sincère en parlant de Démocratie Islamique et démontrer en mériter l’incarnation. Sinon, Ennahdha ne sera plus crédible!

* Ancien diplomate, écrivain.

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