Accueil » La Colibe et la peine de mort : Une position paradoxale et mitigée

La Colibe et la peine de mort : Une position paradoxale et mitigée

La Tunisie est classée dans la catégorie des pays abolitionnistes en pratique. 

La récente et terrible affaire de Goubellat qui a défrayé la chronique et soulevé l’émotion de l’opinion publique est une occasion pour revoir l’avis de la commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) sur la peine de mort et de présenter les principaux arguments pour et contre cette peine.

Par Karim Abdessalem *

La Colibe a fait des propositions de lois censées nous mettre au diapason des pays modernes et démocratiques en ce qui concerne les libertés individuelles et l’égalité. Parmi ces recommandations, celles qui sont en rapport avec la peine de mort sont pour le moins contradictoires.

Des propositions moralement inacceptables

Dans son rapport, la commission rappelle d’abord que la peine de mort figurait encore dans nos lois et qu’elle pouvait être prononcée pour des crimes sans homicide; que la sentence continuait à être prononcée par les tribunaux mais qu’aucune exécution n’avait eu lieu depuis 1993; qu’en 2016, la Tunisie avait voté à l’assemblé des Nations unies pour un moratoire sur l’application de la peine de mort (suspension) en prélude à son abolition; et enfin, que la nouvelle constitution autorisait bien l’application de la peine capitale mais que son texte n’était pas incompatible avec son abolition.

La commission formule ensuite deux propositions pour des textes de loi supposés être respectueux des droits humains à la vie et conformes à l’esprit de la Constitution.

La première proposition de loi vise la suppression purement et simplement de la peine capitale. L’abolition serait alors l’aboutissement d’une évolution logique faisant suite au moratoire et notre pays rejoindrait ainsi la grande majorité de pays abolitionniste.

Quant à la deuxième proposition, elle vise à limiter le nombre d’infractions punissables de peine capitale et à la réserver aux crimes particulièrement graves entraînant la mort.

Ces deux propositions de la Colibe sont certes juridiquement défendables, mais moralement inacceptables car elles affirment une chose et son contraire. On ne peut pas recommander en même temps et la peine de mort et son abolition. Il faut choisir parmi les deux camps qui s’affrontent sur la question du châtiment capital, soit on est pour soit on est contre.

Les arguments des abolitionnistes

Ceux qui sont contre la peine de mort considèrent que le droit à la vie est un bien fondamental pour tous les êtres humains et qu’il est inacceptable de l’enlever intentionnellement pour quelque raison que ce soit, et à plus forte raison par les commandements de la loi. La justice ne doit en aucun cas se comporter aussi cruellement et inhumainement que le criminel.

Ils estiment que la peine de mort n’est que la pratique la plus sévère d’un ensemble de châtiments corporels qui remonte à des temps anciens qui n’a plus rien à voir avec les principes de respect des droits humains et la rationalité moderne d’aujourd’hui.

Cette forme de réciprocité entre le crime et la peine ou loi de Talion «œil pour œil, dent pour dent» n’est plus d’actualité. Ils soulignent d’ailleurs, que la tendance mondiale est à l’abandon de cette sentence et que seuls quatre pays sont responsables de 87% des exécutions à savoir la Chine, l’Iran, l’Arabie saoudite et l’Irak (Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies).

Les abolitionnistes s’interrogent aussi sur la notion de responsabilité de la personne incriminée. Face à une situation donnée, tout individu mentalement capable a la faculté d’exercer un contrôle sur son comportement et de déterminer la manière dont il doit agir. En décidant de se comporter de façon fautive ou de façon «normale», il est seul responsable de ses actes. Mais la question qui se pose est de savoir si la décision prise découle réellement et exclusivement de la volonté libre du sujet ou si, au contraire, le processus décisionnel n’est pas le produit d’interférences du milieu socioculturel et éducationnel. Car l’homme est issu d’un environnement qui joue un rôle dans ses déviances, sa responsabilité n’est jamais absolue. Pour preuve, le taux de criminalité dépend du degré d’instruction, du niveau intellectuel et de l’équilibre psychoaffectif de la population.

Ce dernier argument vient étayer le point de vue des abolitionnistes selon lequel la peine de mort constitue un aveu d’échec d’une société incapable de s’attaquer aux racines du crime. Le criminel ne devrait donc pas être exécuté mais instruit, rééduqué et soigné.

Les arguments des défenseurs de la peine de mort

Dans l’autre camp, les défenseurs de la peine de mort souhaitent une justice sévère et dissuasive capable de protéger la société face aux criminels les plus dangereux. Les criminels, par leur caractère, par une fatalité biologique ou parce qu’ils sont intrinsèquement dangereux, ne peuvent jamais être corrigés et, par conséquent, leur élimination physique est le plus sûr moyen pour se protéger contre le risque de récidive et pour dissuader les autres de commettre des crimes semblables.

Si la peine de mort devait être remplacée par des réclusions de longue durée, rien ne garantit, qu’une fois sortis, les condamnés ne commettront pas à nouveaux leurs forfaits. Mieux vaut supprimer totalement cette probabilité, même si elle est infime. C’est ainsi que la sentence de mort permet de soulager l’opinion publique qui s’identifie naturellement aux victimes.

La suppression de la peine de mort pose le véritable problème de la peine de substitution qui pour les crimes les plus graves correspond en général à une réclusion à perpétuité. En plus de son coût pour le contribuable, celle-ci contribue, dans les pays comme le notre, à aggraver le problème de surpopulation de l’espace carcéral.
Pour les tenants de cette position, la prison à vie est tout aussi inadmissible que la peine capitale parce qu’elle condamne à vivre sans aucun espoir de liberté et fait perdre au criminel le peu d’humanité qui lui reste. Ils font d’ailleurs remarquer que la prison à perpétuité inquiète les personnels pénitentiaires, car ils craignent d’avoir à garder des condamnés voués à devenir des monstres.

Ces arguments en faveur ou contre la peine de mort invitent à choisir son camp. Le rapport de la Colibe qui est censé comporter des propositions de lois visant à faire correspondre l’arsenal juridique tunisien aux exigences d’égalité et de libertés individuelles aurait été plus cohérent en recommandant l’abolition de la peine capitale ou du moins le prolongement du moratoire.

* Médecin et activiste de la société civile.

Articles du même auteur dans Kapitalis : 

Municipales 2018 : Nous sommes tous concernés par le cancer

Tunisie : La corrélation démocratie-développement va-t-elle de soi ?

La fin de vie et l’acharnement thérapeutique

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!