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Lina Ben M’henni s’interroge : «Qu’est devenu notre rêve révolutionnaire?»

Le journal émirati « The National.ae » a publié hier, jeudi 15 août 2015, un article de Lina Ben Mhenni, où la blogueuse tunisienne se «demande ce qu’est devenu notre rêve révolutionnaire, alors que les Tunisiens s’apprêtent à se rendre aux urnes?». Ci-après une traduction de l’essentiel de cet article.

Par Lina Ben Mhenni

Des paroles apaisantes et des promesses illusoires, mais aussi du gaz lacrymogène:

Aujourd’hui, quand des troubles sociaux ou la colère éclatent dans des régions défavorisées, des villes et des villages négligés, la situation est généralement apaisée par des paroles tranquillisantes et des promesses illusoires, mais aussi par du gaz lacrymogène quand cela échoue, comme nous l’avons vu lors des manifestations contre les mesures d’austérité en janvier dernier à la Cité Ettadhamen, un quartier de Tunis en déclin.

Il serait faux de penser qu’une paix fragile ne peut être rompue à tout moment:

Les revendications de la Révolution, qui étaient principalement sociales et économiques, sont loin d’avoir été satisfaites, voire traitées avec sérieux, et les dissensions au sein de la sphère politique sont loin d’être représentatives de la divergence des opinions dans la société. Aussi, une certaine paix précaire a prévalu, mais il serait erroné de penser qu’une paix fragile ne peut pas être rompue à tout moment.

Les revendications de la Révolution loin d’avoir été satisfaites, ni traitées avec sérieux :

Bien que beaucoup ait été fait en matière de libertés collectives et individuelles et de lancement d’initiatives en faveur de la société civile, la corruption, la contrebande, le chômage et une économie défaillante demeurent des problèmes clés, de même que les réformes indispensables des secteurs de l’éducation et de la santé.

L’impunité en héritage:

La Tunisie a franchi de nombreuses étapes importantes sur la voie de la transition vers un processus démocratique, notamment l’adoption de la nouvelle constitution, dans le respect des normes internationales: la séparation des pouvoirs et la régularité des élections. Cependant, ses lois n’ont pas encore été révisées ni mises à jour. L’héritage de l’impunité persiste.

Elections et «tourisme parlementaire» :

C’est dans ce contexte que les élections présidentielle et législatives auront lieu en Tunisie. Le marchandage et le troc ont conduit les Tunisiens à traiter les élections de «tourisme parlementaire», les politiciens abandonnant les partis et les loyautés en échange d’une promesse, d’un service ou même, d’une hypothétique fortune.

Caid Essebsi, un familier des acrobaties diplomatiques et politiques :

Caid Essebsi a créé le parti laïc, Nidaa Tounes, pour rassembler les forces modernistes et défier Ennahdha à l’Assemblée, ce qu’il a fait en remportant le plus grand nombre de sièges aux élections de 2014. Familier des acrobaties diplomatiques et politiques, le président décédé ne s’est pas abstenu de conclure des accords – que certains auraient qualifiés de compromettants – avec les mêmes forces qu’il avait combattues vaillamment.

Essebsi avait prévu de se présenter aux élections présidentielles cette année :

Malgré l’affaiblissement de son parti, le défunt président avait prévu de se présenter aux élections présidentielles de cette année. Nidaa Tounes allait proposer à la place Nabil Karoui, un homme d’affaires controversé et propriétaire de la chaîne privée Nessma TV (il optera finalement pour Abdelkrim Zbidi, ministre de la Défense démissionnaire, Ndlr).

Certains ont vu dans le nombre énorme de candidats à la présidentielle la preuve qu’un engagement en faveur de la démocratie est sur la bonne voie. D’autres y voient un facteur de déstabilisation montrant un manque de respect pour les institutions de l’État.

Beaucoup de candidats indépendants et Mourou connu pour ses volte-faces:

Parmi les candidats, on remarque beaucoup se disant indépendants. Le nombre des candidats montre qu’il existe une lutte acharnée entre les représentants du système en place, et les institutions de l’État. Abdelfattah Mourou soulève notamment la question de savoir pourquoi Ennahdha a maintenant décidé de présenter un candidat, en particulier connu pour ses volte-faces.

Il est absurde que parmi les candidats il y ait seulement 2 femmes, peu de jeunes et de représentants régionaux :

Autre pomme de discorde: pour un pays moderniste, qui a connu une révolution principalement initiée par des jeunes, il est absurde que seules 2 femmes se portent candidates, et que peu de jeunes se présentent aux élections législatives.

Pour un pays dont la révolution a consisté à mettre fin aux inégalités, la représentation des régions de l’intérieur reste faible.

Manque d’unité dans la sphère politique, Nabil Karoui comme outsider:

ll y a aussi un manque d’unité dans la sphère politique. La gauche présente 3 candidats à l’élection présidentielle et le centre est représenté par Nabil Karoui, un outsider. Alors, à quoi pouvons-nous nous attendre le 15 septembre?

Que se passera-t-il si Ennahdha remporte les 2 élections?

Il convient de se demander ce qui va se passer si Ennahdha remporte les 2 élections: si M. Mourou devient président, le chef du Parti, Rached Ghannouchi, remporte un siège aux élections législatives, et si ce parti obtient la majorité au parlement, qu’est ce que cela signifierait pour le processus démocratique? Il est possible que les opposants à Ennahdha se jettent dans la masse pour œuvrer ensemble à la défaite de Ghannouchi dans son fief de Tunis 1.

Une question ultime demeure: qu’est-il advenu de notre rêve révolutionnaire?

L’économie du pays stagne. Le chômage est pire qu’en 2010. Les femmes ont toujours besoin d’une voix dans les couloirs du pouvoir. Même si l’élection aboutit à un rapport de force équilibré, la question ultime demeure: qu’est-il advenu de notre rêve révolutionnaire?

Traduit de l’anglais par Amina Mkada

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