Accueil » Tunisie : Cinq raisons pour lesquelles la présidentielle anticipée est un grand chambardement

Tunisie : Cinq raisons pour lesquelles la présidentielle anticipée est un grand chambardement

Béji Caïd Essebsi, le premier président tunisien démocratiquement élu, est décédé le 25 juillet 2019. Selon l’auteure, entre autres bouleversements, la mort de cet homme a réduit le temps de la campagne électorale. L’analyste estime également que des répercussions profondes en résulteront…

Par Sarah Yerkes*

Le jour où Béji Caïd Essebsi est décédé, le Président tunisien avait presqu’achevé son mandat quinquennal. Initialement, la date du scrutin présidentiel avait été fixée pour le 17 novembre 2019. Son départ prématuré a imposé au pays de tenir des élections plus tôt que prévu car, selon les dispositions de la nouvelle constitution tunisienne, l’intérim du chef de l’Etat provisoire ne doit pas excéder les 90 jours –soit le 23 octobre prochain.

Afin de respecter cette date-limite, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), en accord avec Mohamed Ennaceur, le président par intérim, a décidé d’avancer la tenue de la présidentielle de deux mois, soit pour le 15 septembre. Et ce changement du calendrier électoral a d’importantes incidences politiques et logistiques:

Afin de respecter cette date-limite, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), en accord avec Mohamed Ennaceur, le président par intérim, a décidé d’avancer la tenue de la présidentielle de deux mois, soit pour le 15 septembre. Et ce changement du calendrier électoral a d’importantes incidences politiques et logistiques:

1- Il inverse l’ordre des scrutins électoraux

Avant le décès de Béji Caïd Essebsi, l’élection présidentielle devait avoir lieu six semaines avant les législatives. Etant donné que plusieurs des formations politiques qui ont désigné des candidats à la présidence de la République prendront également part aux législatives, la tenue de la présidentielle en premier était intentionnelle. Avec plus de 220 partis, le paysage politique tunisien est surpeuplé et il suffit pour une formation politique d’obtenir 3% des votes exprimés pour garantir son entrée au parlement. Cela veut dire qu’aucun parti prenant part à ce scrutin des législatives n’obtiendra la majorité absolue –mêmes des formations aussi populaires qu’Ennahdha, Cœur de la Tunisie ou Tahya Tounes auraient du mal à dépasser les 25 à 30% des voix exprimées.

Par contre, avec ce scrutin présidentiel qui précède les législatives, les chances législatives du parti du vainqueur du 2ème tour de la présidentielle pourraient être sensiblement accrues –et, inversement, les formations des perdants de la présidentielle auront le plus grand mal à remonter la pente en un court laps de temps avant le scrutin législatif.

2- Il favorise les formations indépendantes

En faisant précéder le scrutin présidentiel, plusieurs partis s’engageront dans la course des législatives tout de suite après que leurs candidats à la présidentielle aient essuyé un échec. Au contraire, les listes indépendantes, qui constituent près de la moitié de celles concourant pour des sièges parlementaires, se lanceront dans la compétition législative avec une ardoise vierge.

3- Il engendre d’énormes défis logistiques

L’Isie se trouve désormais confrontée à l’obligation d’organiser une élection deux mois plus tôt que prévu. Cette instance a déjà fait face à d’autres défis logistiques par le passé et elle a été obligée de reporter à quatre reprises les élections municipales pendant deux ans et demi. Faire avancer les élections de deux mois exerce une pression considérable sur l’Isie pour assurer la bonne préparation du matériel électoral et des bureaux de vote et mettra également les observateurs internationaux et locaux à rude épreuve.

4- Il met à mal la révision de la loi électorale

Peu de temps avant le décès de Béji Caïd Essebsi, l’Assemblée des représentants du peuple avait adopté un ensemble de dispositions légales amendant les critères d’acceptation des candidatures à la présidentielle. Ces nouvelles conditions auraient pu empêcher certains des candidats en tête des intentions de vote – notamment le magnat des médias Nabil Karoui – de prendre part à la course présidentielle.

Béji Caïd Essebsi n’a pas ratifié ces amendements à la loi électorale et les nouvelles dispositions resteront donc lettre morte. Nombreux sont ceux qui souhaitent – encore aujourd’hui – mettre hors jeu de la compétition Nabil Karoui et d’autres outsiders politiques. Mais, les cinq semaines séparant la date butoir du dépôt des candidatures à la présidentielle et le nouveau rendez-vous fixé pour le premier tour de ce scrutin, ont laissé peu de temps pour la confection d’un cadre juridique solide qui permettrait un examen sérieux des candidatures à la magistrature suprême.

Chose plus alarmante, il sème la confusion parmi les électeurs
Le taux de participation électorale n’a cessé de décroître à l’occasion de chacun des scrutins post-révolution. Cette fois-ci, en inversant l’ordre des échéances électorales et en réduisant de moitié la durée de la campagne présidentielle, les électeurs tunisiens disposeront de peu temps pour découvrir les différences distinguant les candidats et pour se rendre compte de l’importance qu’il y a pour eux à prendre part au deuxième scrutin présidentiel démocratique de l’histoire de leur pays.

Article traduit de l’anglais par Marwan Chahla

* Sarah Yerkes est chercheure auprès du Carnegie Endowment for International Peace où elle dirige le projet Tunisia Monitor.

Source: Carnegie Endowment.

Article de la même auteure dans Kapitalis:

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!