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Tunisie : Le Proche Orient, nouveau front de la campagne présidentielle

On peut craindre que, dans la course actuelle à l’investiture suprême, en Tunisie, des partis politiques, des candidats et des médias dénués de tout scrupule, fassent porter à tel candidat l’étiquette du sioniste, et à tel autre, le turban noir du résistant, au risque de trahir la confiance des électeurs et de ternir la crédibilité et la réputation de l’Etat tunisien.

Par Mounir Hanablia *

Peu de Tunisiens ont sans doute regardé l’allocution du chef du Hezbollah, dimanche 25 août 2019, à la télévision après les attaques de drones contre quelques unes des positions des forces de son parti à Beyrouth et à Damas.

Le plus étrange c’est que le lendemain la Radio culturelle relevant de l’Etablissement de la radio nationale en a diffusé des extraits, particulièrement ceux où il annonçait qu’il ferait tout ce qui est possible pour abattre désormais tout appareil de ce genre qui s’aventurerait au-dessus du territoire libanais.

Le même jour, à la même heure, une radio privée tunisienne, ML, évoquait l’interview accordée à la chaîne israélienne i24 par un Tunisien arabe, un certain Mondher Guefrach, se présentant comme un membre de la campagne électorale de Abdelkarim Zbidi, dans laquelle il annonçait qu’en cas de victoire aux élections présidentielles, la Tunisie normaliserait ses relations diplomatiques avec l’Etat juif. Evidemment le staff de campagne de M. Zbidi, en prenant connaissance de ces propos, a immédiatement démenti connaître l’individu en question ni l’avoir mandaté pour parler d’une quelconque manière en son nom.

Ces deux faits simultanés signifient plusieurs choses, dont la plus importante est le processus frénétique engagé de récupération politique de l’actualité, dans le cadre de la campagne électorale en cours, ainsi que l’a amplement démontré la tentative d’implication du ministre de la Défense par radio ML, dont le commentateur a certes pris soin de souligner son scepticisme concernant la véracité de l’information, après avoir fait état du démenti apporté par l’intéressé, mais en suggérant au passage tout de même que M. Zbidi ne maîtrisant pas l’art de la communication, il n’était pas surprenant que de telles tentatives pour lui nuire aient lieu.

La machine à propagande électorale mise en branle

Autrement dit, en admettant que le speaker en ait été le porte-parole, le message que l’on voulait diffuser auprès du public, c’est-à-dire le corps électoral tunisien, serait le suivant : M. Zbidi était certes une victime, mais avant tout celle de son incompétence. Et pour peu qu’on admettrait que le candidat ne soit pas celui des sionistes, ce dont certainement nombre de ses concurrents ne se feront pas faute de l’accuser après cette affaire, son incapacité à convaincre l’exclurait automatiquement de la course à la présidence dans un pays où le dernier président, Béji Caid Essebsi, avait pourtant laissé le souvenir d’une maîtrise parfaite de l’art de la rhétorique, fort nuancé certes par celui des promesses électorales non tenues.

Cependant, la machine à propagande électorale mise en branle, dont certains médias se font l’écho, ignore dans le cas précis une réalité, celle que M. Zbidi demeure le ministre de la Défense en exercice qui a, presque sans discontinuer, siégé à son poste depuis 2011, et qui, dans les difficiles conditions que le pays a traversées, s’est montré autant soucieux de s’acquitter de sa tâche avec efficacité, honneur et conscience, celle de protéger la sécurité et l’intégrité du pays, que de respecter l’esprit et la lettre de la Constitution et de légalité, en particulier en démissionnant de son poste de responsabilité politique.

La question qui se pose est donc bien évidemment de savoir dans quelle mesure une chaîne de radio privée a ainsi le droit de porter un jugement d’une manière aussi directe sur un candidat aux élections sans susciter de la part de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) une salutaire intervention, particulièrement après le rôle joué par la chaîne Nessma dans la montée au pinacle de son patron, également candidat à la présidentielle, Nabil Karoui. Mais prétendre que les chaînes et radios publiques ne soient pas en reste serait certes un euphémisme. Dans un monde arabe et musulman, où l’idée d’unité subit depuis 1917 une cascade ininterrompue de défaites politiques, militaires, et qui depuis 2001 est mis au ban de la civilisation, l’inconscient collectif cache sans doute toujours le rêve d’un leader charismatique maîtrisant le verbe qui, à l’instar du prophète Mohamed, le mènerait à la victoire, le discours fort du chef du Hezbollah annonçant la destruction de deux drones israéliens et promettant des représailles précises et significatives contre les actes d’agression de l’armée israélienne, n’est sans aucun doute pas passé inaperçu, malgré le clivage sunnite-chiite et le conflit entre l’Iran et l’Arabie Saoudite.

L’étiquette du sioniste et le turban noir du résistant

On ne peut certes pas reprocher à un patriote quel qu’il soit, sauf évidemment en Tunisie, quand il se nomme Abdelkarim Zbidi, de défendre son pays contre des agressions extérieures, particulièrement quand celles-ci sont sanglantes et s’accompagnent de destructions, et on ne peut pas reprocher aux médias du pays en question de s’en faire l’écho ni de glorifier la résistance, quand la sécurité de ce pays est en cause.

Certes, ceci dit, on ne peut déjà que s’étonner qu’une station radio publique, dédiée à la Culture, se transforme en une chaîne véhiculant des informations et des discussions politiques d’actualité. Il y a en principe d’autres chaînes pour cela, autant publiques que privées, qui diffusent régulièrement des bulletins d’informations, mais où les déclarations diffusées sont celles de personnalités nationales, ministres, syndicalistes, députés, responsables administratifs, simples citoyens, et se rapportant à des préoccupations du moment.

En reprenant donc les passages guerriers du discours de M. Nasrallah, un homme à la tête d’une organisation capable de maîtriser quelques unes des technologies modernes les plus complexes au point de se défendre contre les agressions d’un pays beaucoup plus puissant, et de briser ainsi l’image raciste de l’Arabo-musulman trop borné ou paresseux pour avoir droit à la liberté et la dignité, la radio publique consacrée à la culture et sans doute sous la houlette du ministère des Technologies de l’information et de l’Economie numérique ( MTIEN ), a néanmoins fait une sérieuse entorse à sa mission, même si en le faisant, elle a fait vibrer quelque peu la fibre patriotique arabe momifiée dans nos cœurs depuis des décennies, ce dont tous ceux qui ont vécu la grande vague du nationalisme arabe à l’époque de feu le président Nasser lui sauraient gré pour avoir ainsi fait resurgir des souvenirs liés à leurs jeunesses.

On peut supputer que cette initiative obéisse à des considérations opportunistes internes, probablement électorales, d’origine islamiste et se drapant de l’aura de la résistance à l’impérialisme et au sionisme, ou du patriotisme, et dont l’Etat, c’est-à-dire ses dirigeants, en tant que patron des médias publiques, s’attribuerait en dernier lieu le mérite.

Il n’en demeure pas moins , qu’en se faisant la tribune des propos d’un parti politique étranger, acteur d’un conflit complexe de dimension planétaire, et considéré par plusieurs pays comme un parti terroriste, la radio publique normalement consacrée à la Culture, s’est faite l’écho d’une prise de position irresponsable engageant l’Etat tunisien sur la scène mondiale, et pas de la meilleure manière, alors que l’indépendance nationale est de plus en plus aliénée par une dette extérieure croissante, dont le rééchelonnement nécessite la bienveillance des créditeurs .

Ceci rappelle bien évidemment l’époque de l’attaque de l’ambassade américaine à Tunis, en septembre 2012, où le parti Ennahdha alors au pouvoir, avait adopté une attitude schizophrène, celle de cultiver la bienveillance des Etats-Unis, tout en prenant bien soin de ménager ceux en qui il voyait des alliés naturels dans son grand projet de changer la société, les jihadistes de Ansar Charia. Ceci rappelle quelque peu la politique adoptée par M. Chahed, celle de tolérer – pour asseoir sa majorité parlementaire – des chaînes officiellement coraniques mais qui ne se privent pas prendre des prises de position politiques plusieurs fois par jour, ou de résister aux décisions de la Haica ou de la justice. On peut sans risque de se tromper prétendre également que les médias publics soient noyautés par des éléments pas toujours bien intentionnés, mais que l’on tolère, naturellement, au nom de considérations politiques.

Finalement, si dans la course à l’investiture suprême, M. Zbidi finisse par porter l’étiquette du sioniste, qui en tant que ministre de la Défense nous avait tout de même protégés avec quelle efficacité du terrorisme intérieur ou extérieur, et M. Chahed, le turban noir du résistant, on ne le vaudra qu’à des partis politiques et des candidats dénués de tout scrupule, trahissant la confiance des électeurs et ternissant la crédibilité et la réputation de l’Etat tunisien.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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