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Le débat télévisé des candidats à présidence : l’économique comme enjeu électoral crucial!

Les auteurs ont suivi et décortiqué les propos des 8 premiers candidats à la présidentielle du 15 septembre 2019, lors du débat télévisé d’hier soir, samedi 8 septembre 2019, et surtout leurs approches des défis économiques auxquels fait face la Tunisie. Leurs appréciations sont très mitigées.

Par Moktar Lamari, Samir Trabelsi et Najah Attig *

Peuvent-ils gouverner en méconnaissance des enjeux et défis économiques? Et au regard de leur compétence en économique, comment se classent-ils dans la liste des candidats en lice ? Les réponses à ces deux questions éclaireront les électeurs dans le choix de leur futur président, notamment pour faire sortir la Tunisie de son marasme économique.
C’est à ces deux questions cruciales que tenterait de répondre une série de quatre chroniques, une après chacun des trois débats organisés à cette fin pour les 26 candidats en lice pour les élections présidentielles, dont le premier tour est organisé le 15 septembre 2019. La quatrième chronique présenterait, à la veille des élections, le classement qu’on fait des candidats au regard de leurs compétences et potentiels au regard des enjeux et défis économiques de la Tunisie d’aujourd’hui.

Cette première chronique traite du premier débat des présidentiables organisé hier soir, samedi 7 septembre 2019. Ils étaient neuf sur le plancher médiatique : Moncef Marzouki (71 ans), Abdelfatah Mourou (71 ans), Mehdi Jomaa (57 ans), Neji Jalloul (61 ans), Mohamed Abbou (52 ans), Abir Moussi (44 ans), Omar Mansour (61 ans), Abid Briki (53 ans), Nabil Karoui (56 ans), emprisonné et donc absent. Ils sont 4 juristes (avocats), deux enseignants, un médecin, un ingénieur et un entrepreneur (candidat absent).

Éléments de méthodologie !

Mais avant d’aller au vif du sujet, quelques précisions méthodologiques s’imposent. La première concerne l’importance vitale des enjeux économiques pour l’étape à venir et les défis à relever par la transition démocratique de la Tunisie post-2011.

Après huit ans de perte dans le pouvoir d’achat, d’appauvrissement humiliant, et sans relance économique, la démocratie tunisienne risque gros! Le prochain président doit mettre l’économie au cœur de ses prérogatives : sûreté nationale, politique étrangère, application de la constitution et premier garant de prospérité et de la gouvernance du pays.

Ensuite, en tant que spécialistes de l’économie publique, des finances et de la gouvernance, les auteurs de ces chroniques ont adopté une démarche d’analyse de contenu du débat (ayant duré 120 min) et une appréciation multicritères fondée sur 5 dimensions caractérisant les propos et promesses des candidats : pertinence (réponse aux besoins et exigences du contexte), lisibilité (clarté et transparence), efficience (capacité de payer de l’État et des bénéfices sociaux anticipés), faisabilité (instruments, échéance, implantation), impacts (prévisions et anticipations) et gouvernance (coordination, cohérence, leadership).

Chacune des dimensions évaluatives est notée par chacun des auteurs du texte, plus faible (0) au plus fort (3). On adopte ici des grilles de mesure nord-américaines de l’analyse de contenu (échelle Likert). Au total, chacun des candidats est noté sur une grille allant de 0 (le plus faible score) à 15 (le plus fort score).

Un regard croisé et sommatif

Le débat en formule question-réponse (limité en temps) entre un journaliste et un candidat ne permet pas les échanges inter-candidats. Ici, et sans conteste, ceux ayant exercé le pouvoir au sommet de l’État ont fait mieux que les autres.

Mourou, Marzouki et Jomaa se sont distingués par leur aisance et leur capacité de faire référence aux enjeux économiques qui pénalisent l’économie tunisienne aujourd’hui.

Mourou s’est exprimé, vêtue d’une jebba rose, dans un discours en arabe littéraire un peu contrastant avec celui des autres sur le plateau, mais évitant d’aller dans le détail et le fond des choses. Par exemple, quand il parle de sa vision de la modernisation de l’administration publique ou de conquête économique de l’Afrique. Incapable de fonder son propos sur des évidences statistiques, le seul chiffre qu’il a utilisé était faux : il annonce que le nombre de Tunisiens résidant en France est de 1,2 million, contre un chiffre vérifié ne dépassant pas les 800.000. En bon avocat, il a évité de parler un seul instant du bilan de son parti Ennahdha, au pouvoir depuis 2012, et dont les impacts économiques sont simplement déplorables. Rien sur l’égalité homme-femme, et encore moins sur le comment relancer l’économique dans les régions marginalisées.

Moncef Marzouki, très crispé et un peu confus a mis de l’avant son arrogance habituelle. Il a aussi annoncé son engagement dans la lutte aux «quatre sources de l’hémorragie de l’économie tunisienne : corruption, évasion fiscale, contrebande, et endettement». Mais, Marzouki est resté prisonnier du passé, voulant à chaque fois défendre son passage à Carthage comme président intérimaire, mais très décevant sur les plans économiques. Sa volonté de défendre son bilan, et son «œuvre passée», lui a joué un mauvais tour. Mais, il est resté sans proposition économique tangible et chiffrée. Il ne cache pas ses préférences pour le juridisme à tout va, et la résolution des problématiques par le changement des lois, ne disant rien sur la capacité de l’État d’appliquer ses lois et juridictions pensées par les élites et irréalistes dans leur mise en œuvre.

Mehdi Jomaa, à l’aise dans son discours et d’un air bon-enfant, s’est exprimé de manière explicite sur l’importance de la négociation et de l’expérience en gouvernance. Mais, malgré son passage durant plus de 12 mois en tant que chef du gouvernement, il n’a pas sorti un seul chiffre, ou argument démontrant sa capacité à relancer l’économie et redonner la confiance aux victimes de la crise post-2011. Le seul chiffre qu’il a sorti est celui de la durée de son expatriation en France, pendant de 25 ans. Un atout à ses yeux !

Après ce peloton de tête, suit juste après Néji Jalloul, avec de nombreux arguments et chiffres économiques pertinents et porteurs pour l’avenir de la Tunisie. Jalloul a, malgré ses bourdes répétées en communication, montré sa fibre d’anthropologue et d’historien qui tient compte de la globalisation et de la géopolitique dans la détermination de l’avenir de la Tunisie. Il a donné l’impression d’un intellectuel, «rigolo», verbeux, mais très peu outillé en gouvernance.

Abir Moussi, Mohamed Abbou et Abid Brik, ont été quasiment été à côté de la plaque (économique)! Abbou s’est cloîtré dans une vision étriquée, maculée par un juridisme primaire. Il a exclu toute responsabilité économique au prochain président. Il s’est fait exclure de facto de la course présidentielle, dans un contexte marqué par une crise économique qui préoccupe tous les électeurs et tous les acteurs économiques.

Moussi, s’est cantonnée dans des généralités verbeuses, montrant une immaturité ahurissante sur les dossiers économiques. Son inexpérience et méconnaissance des dossiers ont plafonné quand elle a dû répondre aux questionnements et défis de l’émigration clandestine des jeunes tunisiens en direction de l’Europe. Naïvement, elle préconise la sensibilisation pour arrêter l’émigration clandestine, et fait le déni de l’économique dans cet Exodus grandissant. Ne connaissant pas l’administration publique et les défis de la gouvernance, Moussi a montré ses incompétences face aux défis économiques de la Tunisie.

Briki, a surfé sur les promesses et les principes, et malgré son passage au gouvernement comme ministre de la Réforme de la fonction publique, il n’a rien ajouté aux enjeux économiques pour justifier qu’il est doté d’une fibre d’homme d’État, digne de confiance pour piloter le pays et sortir le pays de sa crise économique.

Ensemble Moussi, Briki et Abbou ont dévoilé leur penchant pour la langue de bois, la rhétorique verbeuse et la petite politique politicienne.

Vient ensuite le présidentiable Mansour, qui a été lamentable! Sans arguments, sans bon sens, il n’arrivait pas à articuler ses idées, ni à meubler les minutes qui lui sont dédiées par des idées ou des projets. Sans propositions, et très mal préparé, ce présidentiable fait honte à la transition démocratique en Tunisie et aux processus de sélection des hauts fonctionnaires (ayant été juge, gouverneur et même ministre de la Justice) et des candidats aux présidentielles.

Un premier classement

Les développements présentés précédemment nous permettent de noter les performances des candidats, comme dévoilées lors de ce débat à huit (au lieu de neuf), et de les classer en fonction des critères retenus. Le classement obtenu pour les huit candidats présents lors de ce débat est comme suit :

1- Abdelfattah Mourou
2- Moncef Marzouki
3- Mehdi Jomaa
4- Neji Jalloul
5- Mohamed Abbou
6- Abir Moussi
7- Abid Briki
8- Omar Mansour

Pour des raisons d’équité envers les 26 candidats en lice, on présentera le détail des critères et notations dans le cadre de notre dernière chronique, quand tous les candidats ont présenté leurs projets et points de vue sur les enjeux et défis économiques.

* Universitaires au Canada.

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