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L’évolution de la relation entre Sami Fehri et Nabil Karoui : Concurrence, coups bas et intérêts personnels

Au lendemain de l’arrestation – en détention préventive de 5 jours – de Sami Fehri, patron de la chaîne de télévision privée, El Hiwar Ettounsi, dans le cadre de l’affaire de corruption financière qui concerne la société Eight Prod, un statut Facebook, paru il y a 4 jours, de Salim Ben Hamidane, ancien ministre des Domaines de l’État et des Affaires foncières (décembre 2011 – janvier 2014), a refait surface dans les réseaux sociaux. Un statut où il parle du rôle d’un certain… Nabil Karoui, dans une autre affaire impliquant Sami Fehri.

Par Cherif Ben Younès

Le statut en question révèle une information pour le moins anecdotique, liée à l’autre affaire en cours où M. Fehri est soupçonné de corruption financière, à savoir celle de la société de production Cactus Prod qu’il détenait en partenariat avec Belhassen Trabelsi, le beau-frère de l’ancien président de la République, Zine El Abidine Ben Ali.

Une affaire qui concerne des dépassements commis sous l’ancien régime et qui ont causé de grosses pertes financières (on parle de dizaines de millions de dinars tunisiens) à l’Etablissement de la télévision tunisienne (ETT).

Nabil Karoui aurait dénoncé «la corruption» de Sami Fehri en 2012

M. Ben Hamidane a, en effet, indiqué dans son statut que c’est Nabil Karoui, patron de la chaîne de télévision concurrente, Nessma, et actuel président du parti Qalb Tounes, qui l’avait contacté, en 2012, pour «lui parler longuement de la corruption de Sami Fehri et de la collusion de l’administratrice judiciaire», avant de lui remettre «un dossier contenant des documents [liés à l’affaire Cactus Prod] qui ont été, immédiatement, transférés à la justice

Il faut dire qu’à l’époque, la relation entre Sami Fehri et Nabil Karoui était conflictuelle, essentiellement du fait de la concurrence médiatique entre leurs deux chaînes respectives, qui se disputaient à elles seules le leadership, en termes d’audience en Tunisie. Et donc d’attraction des recettes publicitaires. Il paraît bien que, dans leur «guerre», même les coups bas étaient permis…

On a tendance à penser qu’il s’agissait d’un vrai coup bas, de la part de M. Karoui, qui avait motivé la dénonciation de son confrère, et non pas d’une prise de conscience ni d’une question de principe, pour deux raisons…

D’abord, parce que le patron de Nessma est lui-même sérieusement soupçonné de corruption financière et qu’il a été, à son tour, poursuivi par la justice, quelques années plus tard, suite à une plainte déposée par l’organisation I Watch. D’ailleurs, aujourd’hui, tout comme Sami Fehri, ses avoirs sont gelés et il est interdit de voyager.

Les destins scellés des adversaires d’hier font d’eux, aujourd’hui, des coapins !

Ensuite, parce que la nature de la relation actuelle entre les deux hommes est diamétralement opposée à celle qui les liait il y a 7 ans. Sami Fehri a, d’ailleurs, quasiment participé à la campagne électorale de Qalb Tounes et de son leader, M. Karoui, lors des élections législatives et présidentielle qui ont eu lieu cette année, via sa chaîne de télévision, dont pratiquement tous les chroniqueurs, ainsi que la présentatrice de l’émission politique quotidienne, « Tounes El Yaoum », s’étaient mobilisés pour glorifier l’image du patron de Nessma durant près d’un mois.

Oui, Sami Fehri, qui ne rate aucune occasion pour se plaindre des poursuites juridiques à son encontre et qui n’hésite pas à leur donner une dimension politique, conspirationniste, a lui-même presque tout fait, il y a tout juste quelques semaines, pour aider celui qui l’a originellement dénoncé – du moins selon les propos de Salim Ben Hamidane – à prendre le pouvoir.

Et pour cause, le fait que les destins des deux hommes étaient désormais scellés et leurs intérêts personnels n’étaient plus les mêmes ! Leur priorité du moment n’était plus la concurrence médiatique, mais la façon de se sortir des poursuites judiciaires pour l’un et l’obtention du pouvoir pour l’autre… notamment pour se sortir des poursuites judiciaires. Et ils ont probablement fini par comprendre qu’ils avaient intérêt à collaborer ensemble, plutôt que de se faire, mutuellement, la guerre.

Parce que si Nabil Karoui avait gagné le deuxième tour de l’élection présidentielle, il aurait systématiquement eu l’immunité présidentielle et échappé ainsi aux poursuites juridiques à son encontre, durant 5 ans… une période suffisante pour tenter de soudoyer la justice, en vue de se défaire définitivement de ces poursuites et, afin de remercier son désormais nouveau copain, de laisser pourrir l’affaire Cactus Prod.

Et l’Etat tunisien dans tout ça ?

Par ailleurs, la révélation de Salim Ben Hamidane nous incite à se poser des questions sur le rôle de l’Etat dans tout ça. Est-ce qu’il aurait fallu que ce soit un concurrent qui dénonce son confrère, dans le cadre d’un méprisable règlement de comptes, pour que des présumées informations pertinentes, liées à un crime de corruption financière de cette envergure, soient transmises à la justice ? Quelle aurait été l’issue de cette affaire si les deux hommes étaient déjà en bons termes à l’époque ? Et à quoi servent toutes ces institutions chargées de lutter contre la corruption ou assurer les contrôles nécessaires des transactions économiques et des activités médiatiques et qui coûtent les yeux de la tête aux contribuables en termes de salaires, de voitures de fonction, de bons d’essence et de défraiements divers ?

On en citera, pour souligner leur inutilité ou leur complicité, passive ou active, avec les lobbys et les réseaux d’influence : la justice, la Cour des comptes, la Commission d’analyses financières relevant de la Banque centrale de Tunisie, l’Instance nationale de lutte contre la corruption ou encore la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle. Si M. Karoui n’avait pas balancé son frère ennemi M. Fehri à M. Ben Hamidane et si ce dernier n’avait pas remis le dossier à la justice, l’affaire où est poursuivi aujourd’hui le patron d’El-Hiwar Ettounsi aurait-elle jamais été ébruitée ??

Cette question mérite d’être sérieusement posée pour souligner l’inefficacité de nombreuses institutions en charge de la lutte contre la corruption et étudier les moyens de les doter des moyens nécessaires pour réussir dans leur mission.

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