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Tunisie : Comment l’Etat peut-il contribuer à la relance de l’économie ?

La Tunisie est à la croisée des chemins ou à la fin d’un cycle. Empêtrée dans une transition démocratique qui a aggravé la crise socio-économique déclenchée par la révolution de janvier 2011, elle a besoin aujourd’hui d’une transition économique susceptible de relancer l’investissement, la croissance et l’emploi. Cela ne saurait se faire sans une réforme profonde de l’Etat, de son rôle et de ses méthodes de gouvernance. Et à cet effet, plusieurs pistes sont à explorer…

Synthèse réalisée par Amina Mkada

L’enquête menée par l’Institut arabe des chefs d’entreprises (Iace) pour le compte des Journées de l’Entreprise tenues des 6-7 décembre 2019 à Sousse, a passé au crible l’Etat tunisien non seulement dans son rôle, mais aussi dans ses prérogatives, son fonctionnement, ses méthodes de travail et ses choix, et propose les recommandations appropriées sur les plan de l’organisation politique, de la politique industrielle, des choix socio-économiques, et de l’utilisation des nouvelles technologie pour impulser le développement inclusif et durable.

Crise politique : pour un Etat efficace

Le constat fait part d’une faiblesse de l’Etat tunisien en raison du manque de solidité des fondamentaux macroéconomiques, de la lenteur du processus de mise en place des institutions publiques, et d’une transition démocratique qui se cherche encore depuis environ 10 ans, embourbée dans les dédales de la politique et des dérives sécuritaires.

Le clivage de la «majorité méfiante/minorité confiante» des dernières élections risque de se transformer en une vague de désobéissance civile, si le décideur ne construit pas des institutions inclusives et ne fait pas respecter la loi, avertissent les auteurs de l’étude.

Recommandations : intégrer des variables qui conditionnent l’efficacité de l’action publique de l’Etat, principalement la réactivité, la crédibilité, le calcul stratégique, la redevabilité, et la bonne gouvernance; et créer un environnement des affaires incitatif pour l’investisseur local et attractif pour l’investisseur étranger. Il faut donc pallier les défaillances du système politique, améliorer la gouvernance et l’efficience institutionnelle, et rétablir un Etat fort.   

Choix de politique industrielle et rôle de l’Etat

Dans les pays en développement comme la Tunisie, l’engagement dans une nouvelle politique industrielle est censé permettre de répondre à l’impératif de sortir de la pauvreté pour certains, et de sortir de l’engrenage de la trappe au développement pour d’autres.

Entre-temps, le creusement des inégalités sociales et les pressions exercées par l’activité industrielle sur les ressources rares, ont imposé de nouvelles orientations à ce type de choix.

Recommandations : 1 – promouvoir des logiques d’offre différentes (produire pour louer ; gestion circulaire des processus productifs) qui répondent davantage aux exigences d’une demande de plus en plus sensibilisée aux problématiques sociales et environnementales ; 2 – se recentrer sur de nouveaux paradigmes technico-institutionnels, et prendre en considération les impératifs de durabilité et d’inclusion dans les choix industriels futurs ; 3 – adopter une politique industrielle appuyée sur une bonne analyse des chaines de valeur, sur la conception de plans de production permettant d’identifier les gaps technologiques à combler, et sur un cadre technico-institutionnel capable d’assurer la mise en œuvre de ces plans ; 4 – prévoir des mesures d’accompagnement réactives et anticipatives pouvant faciliter les restructurations dans le secteur industriel non ciblé et à l’avenir incertain. La politique industrielle doit d’abord d’être lisible et  compréhensible auprès de tous les acteurs économiques concernés, et doit engager une mobilisation collective autour d’états généraux de l’industrie ; 5 – face à l’incertitude «contextuelle» dans le monde, mettre en place des mécanismes tels que la garantie d’une part minimale de la commande publique, l’établissement d’un plan de route des investissements publics-privés, ou adopter des standards technologiques.

Crise sociale : Quel modèle d’inclusion adopter ?

La Tunisie fait face aujourd’hui à des défis d’emplois, de pauvreté et d’exclusion variés et de nature complexe. Ce constat requiert d’aller au-delà des traditionnelles politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, et cibler plutôt tous les freins à l’emploi, l’ensemble des groupes vulnérables et exclus, et tous les secteurs de l’économie.

Recommandations :  1 – développer des programmes de transfert conditionnel de revenus pour lutter contre l’abandon scolaire et la pauvreté, et éliminer les subventions des produits alimentaires pour alléger le déficit de la caisse de compensation, sous 2 conditions : les familles bénéficiaires veillent à maintenir leurs enfants (6-16 ans) à l’école pour limiter l’abandon scolaire, et les parents bénéficiaires s’engagent à offrir 2~3 jours ou 3 heures/jour de travail bénévole pour contribuer à améliorer les services publics (municipalités, écoles primaires, collèges, lycées, administration, etc.) ; 2 – le gouvernement s’engage à une universalisation progressive des garanties sociales par un ciblage efficace des pauvres, et éliminer en contrepartie progressivement les subventions des prix des produits alimentaires. De même, pour limiter les difficultés liées à la mise en œuvre du ciblage par le transfert monétaire, la piste liée à la consommation d’électricité est suggérée comme critère principal : les pauvres consommant peu d’électricité seront recensés par la STEG et seront éligibles pour recevoir le transfert ; 3 – adopter des politiques publiques (monétaire,  budgétaire, commerciale, éducative et industrielle) qui convergent toutes vers la croissance inclusive et à l’emploi, et qui deviendront une question  nationale soutenue par la société civile et l’ensemble des acteurs économiques ; 4 – Passer d’une politique d’assistanat vers une politique de participation et de responsabilisation citoyennes. Pour ce faire, il faut agir à 3 niveaux : le financement du secteur, la mesure de sa performance, et l’étude de son interférence avec d’autres secteurs.  

Crise technologique … ou transformation numérique de l’Etat

En Tunisie où les défis du numérique sont nombreux, il faut non seulement rattraper un retard important dans ce domaine, mais aussi faire face aux risques de déstructuration de l’Etat et de menace de sa souveraineté engendrés par ce secteur.

Par ailleurs, le numérique a facilité la  mondialisation des entreprises et a surtout facilité les prestations de services transfrontaliers, l’installation de filiales un peu partout dans le monde, favorisant ainsi un nouveau type de fraudes ou de fuites fiscales, alors que la fiscalité est la principale source de revenu des Etats.

Sur un autre plan, une véritable révolution est apparue avec les crypto-monnaies qui, contrairement aux paiements électroniques, ne nécessitent pas le recours à un serveur de paiement ni au paiement par carte, ce qui permet de réaliser des opérations plus simplement sans avoir à payer de frais exorbitants à un intermédiaire. Avec ces crypto-monnaies, l’émission  de monnaies ne fait plus partie du rôle régalien des Etats et peut se faire par toute personne ou structure.

Par ailleurs, certains pays envisagent de recourir aux technologies blockchain ou à d’autres technologies numériques pour introduire une monnaie électronique, ayant la même parité que la monnaie classique émise par une banque centrale sous forme de billets et de pièces. La Tunisie à travers la BCT, fait partie des pays qui envisagent une telle émission de monnaie.

Recommandations : 1 – bien encadrer l’hébergement de données, plus particulièrement les données sensibles ainsi que les données personnelles, et sensibiliser les tunisiens à ce type d’enjeux ; 2 – bien encadrer la fiscalité du numérique afin d’endiguer et limiter les risques de l’optimisation fiscale et de fuites fiscales ; 3 – accélérer la mise en œuvre du dinar CBDC (monnaie numérique de banque centrale) et de la convertibilité du dinar. Si l’adoption du dinar CBDC était accélérée et accompagnée de la convertibilité du dinar, le DT aurait de fortes chances d’être reconnu comme monnaie internationale d’échange en raison de son antériorité au niveau régional ; 4 – accélérer et mieux coordonner la numérisation de l’Etat par la mise en place d’un haut-commissariat pour la numérisation des services administratifs ;  5 – accélérer l’adoption de la loi tunisienne de protection des données personnelles dans sa nouvelle version, équivalente au Règlement général de protection des données personnelles (RGPD) ; 6 – généraliser l’usage du numérique dans tous les domaines d’activité, publics et privés, en mettant le citoyen au cœur de l’activité de l’administration électronique ;  7 – pour la numérisation des  services administratifs, mettre en place une identité numérique de chaque citoyen, que ce soit pour la santé ou le ciblage des subventions ; 8 – se préparer à l’évolution des métiers, repenser la formation et l’éducation, et préparer les enfants à vivre dans un monde qui n’existe pas, pour préparer les élèves à des carrières difficilement imaginables aujourd’hui, à des métiers qui n’existent pas encore, et à résoudre des problèmes qui n’ont pas encore été identifiés, en utilisant des technologies qui n’ont pas encore été inventées ; 9 – généraliser la culture numérique sans exception dans les services en ligne de tous types, les paiements électroniques et mobiles. La Tunisie doit encourager ses ressortissants à innover, lancer  leurs propres start-ups mais aussi à penser et investir dans la transformation numérique de leurs entreprises ; 10 – limiter la fuite des compétences qui créent de la valeur ajoutée, prendre des mesures pour moraliser la vie publique afin de réduire la corruption, et améliorer l’appropriation de la chose publique par des ressources humaines qualifiées ; 11 – renforcer la conscience sociale des dangers de la corruption et valoriser l’éthique, l’intégrité et la rectitude chez les enfants et les jeunes, pour construire un sentiment d’appartenance, une culture de citoyenneté et de sauvegarde des deniers publics, une culture hostile à la corruption ; 12 – Renforcer l’éthique/les valeurs du service public et les valeurs représentant la réussite d’une nation, pour faire prévaloir la notion/la valeur de la citoyenneté et le dévouement pour l’intérêt général ; 13 – moraliser la vie publique et créer un mur d’intégrité afin de lutter contre l’égoïsme, l’indifférence et la corruption, favoriser les bonnes conduites politiques ; 14 – Renforcer l’appartenance à l’institution, l’ancrage du patriotisme, et rationaliser les formes de représentation professionnelles et syndicales.

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