Accueil » L’accord entre la Turquie et la Libye concerne aussi la Tunisie

L’accord entre la Turquie et la Libye concerne aussi la Tunisie

On ne peut vraiment pas dire, comme le président de la République Kaïs Saïed, que le traité signé entre le président (dominateur) Erdogan et le chef de gouvernement (contesté) Sarraj sur la délimitation des frontières maritimes entre la Libye et la Turquie ne concerne que leurs deux pays. Explications…

Par Hichem Skik *

Lors de la conférence de presse tenue au Palais de Carthage à la fin de la visite surprise du président turc Recep Tayyip Erdogan à Tunis, le président de la République, Kaïs Saïed, a déclaré que l’accord de délimitation des frontières maritimes signé entre la Libye et la Turquie ne concerne que ces deux pays signataires.

À mon avis, cela est vrai au sens juridique stricto sensu. Mais on doit se rappeler que nous avons eu un différend frontalier grave avec la Libye à propos du plateau continental qui n’a été résolu que par le recours aux instances internationales. Ce différend avait été alors tranché en notre défaveur, et c’est par un geste politique en faveur de son «ami» Ben Ali que Kaddafi a décidé que des puits de pétrole offshore seront exploités en commun par les deux pays. Un accord en ce sens, bipartite donc et différent du jugement de la Cour internationale, avait été signé entre nos deux pays à Djerba.

En quoi le traité turco-libyen nous concerne-t-il ?

Dans un tel contexte (jugement international sur le plateau continental en faveur de la Libye, mais arrangement ultérieur entre les deux pays), dire que notre pays n’est pas du tout concerné par l’accord turco-libyen n’est que partiellement vrai : en réalité, tout accord libyen sur son plateau continental nous concerne, même indirectement et même si l’accord turco-libyen concerne une zone de la Méditerranée orientale située loin des eaux territoriales tunisiennes.

Il me semble indispensable donc que, pour sauvegarder nos intérêts dans l’avenir, notre pays demande, avant que ce dernier traité ne devienne définitif, qu’il y soit spécifié explicitement que cela ne remet en aucune façon en cause le traité tuniso-libyen de Djerba sur l’exploitation commune des puits de pétrole situés dans les eaux territoriales partagées par les deux pays.

Répercussions du conflit libyen sur la Tunisie et l’Algérie

Sur le plan libyen, l’intervention directe d’un nouvel acteur étranger aux côtés du signataire de l’accord, Fayey Sarraj, l’un des protagonistes de la guerre larvée que différentes fractions de livrent depuis 2011, ne fera qu’aggraver la situation et augmenter les risques de répercussions du conflit sur toute la région en particulier sur les pays voisins, et en premier lieu la Tunisie et l’Algérie.

Ces répercussions peuvent prendre la forme de l’afflux d’un nombre considérable de réfugiés, comme en 2011. Il s’agira majoritairement de civils : hommes, femmes, enfants, vieilles personnes, auxquels il faudra, naturellement, porter secours et assistance dans les meilleures conditions possibles.

Mais il ne faut absolument pas exclure la possibilité que se mêlent à ces familles sinistrées des personnes dangereuses pour notre sécurité: des terroristes, membres de diverses milices armées… Et surtout, la présence armée turque sur le terrain (qui semble imminente, le parlement turque étant sur le point de l’autoriser) risque de créer une situation inédite, grosse de dangers.

Les risques d’une présence militaire turque à nos frontières

Actuellement, il arrive, déjà, que nos forces armées se trouvent, aux frontières terrestres, face-à-face avec des groupes armés libyens en poursuivant d’autres; les choses se passent généralement bien entre les deux parties, qui se connaissent et se respectent. Mais que se passera-t- il si des troupes tunisiennes se trouvaient nez-à-nez avec des troupes… turques ?!

De même, nous avons des frontières maritimes avec la Libye. Il est parfois arrivé que s’y produisent de petits incidents tuniso-libyens, consistant au non respect par de paisibles pêcheurs dans les eaux territoriales. Mais si, demain, les pêcheurs tunisiens se trouvaient face à face avec… la marine turque?!

Quoi qu’il en soit, l’exacerbation de la guerre chez nos voisins, une présence militaire turque à nos frontières terrestres et maritimes… tout cela ne peut qu’impacter négativement la situation dans notre pays… qui n’en a vraiment pas besoin, surtout en ces moments particulièrement compliqués que nous vivons.

Il semble, donc, évident, qu’aussi bien sur le volet délimitation des frontières que sur le volet militaire, on ne peut vraiment pas dire, comme le président de la République, que le traité signé entre le président (dominateur) Erdogan et le chef de gouvernement (contesté) Sarraj ne concerne que leurs deux pays! Certes, c’est le peuple libyen qui en paiera le prix fort, mais en ce qui nous concerne, plutôt que de les ignorer, notre pays devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour atténuer, sinon écarter, les dangers réels qui risquent de menacer gravement sa sécurité.

* Universitaire et militant politique.

Article du même auteur dans Kapitalis :

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!