«La Tunisie ne demande pas l’aumône, comme vous semblez le sous-entendre, mais attend un juste retour des choses, dû au travail et à l’abnégation des siens dont je suis, moi, René, le seul ministre juif du monde arabe», a écrit le ministre tunisien du Tourisme, René Trabelsi, en réponse au député franco-israélien, Meyer Habib, qui appelé au boycott touristique de la Tunisie.
L’homme politique Meyer Habib, directeur général du groupe Vendôme, avait publié un post sur son compte Facebook, mercredi dernier, pour appeler au boycott de la Tunisie, tout en la comparant à l’Iran : «La Tunisie s’enfonce dans la haine obsessionnelle et suit les traces de l’Iran», avait-il notamment écrit, en réaction à l’enquête ouverte sur la participation d’un joueur franco-israélien à un tournoi international de tennis à Tunis.
Ce statut très critiqué a finalement été supprimé par le député, proche de la droite conservatrice israélienne, élu à la 8e circonscription des Français établis hors de France depuis 2013.
Hier soir, dimanche 9 février 2020, le député Tahya Tounes, Hussein Jenayah, a dénoncé les propos du député français, et rappelé que la Tunisie est un pays de tolérance et de paix, en rappelant que le «ministre de tourisme tunisien est juif et représente de fort belle manière et avec beaucoup de fierté son pays et sa religion là où il passe à l’intérieur du pays comme à l’étranger».
Ce matin, c’est René Trabelsi lui-même, qui a adressé une lettre ouverte à Meyer Habib, à ce propos, «non pas par crainte que les appels à boycotter la Tunisie ne soient entendus, mais pour remettre les choses dans leur cadre, qui est malheureusement mis à mal en ces temps de populisme cocardier», a écrit le ministre tunisien.
Voici l’intégralité de la réponse du ministre tunisien :
«Cher monsieur Habib Meyer, vous devez le savoir autant que moi, votre prénom est très courant en Tunisie, où il est surtout aimé et glorifié car rappelant le souvenir du grand patriote Habib Bourguiba, homme de paix et de compromis, comme vous le rappelez dans votre post, mais qui n’hésitait pas aussi à réagir fermement quand la souveraineté de son pays est menacée… Ce Habib-là obtint l’indépendance de son pays mais aussi la condamnation de tout acte attentant à la Tunisie, tout homme de paix et de dialogue qu’il était.
Cher monsieur Habib, je vous réponds aujourd’hui, non pas par crainte que vos appels à boycotter la Tunisie ne soient entendus, quoique je connaisse parfaitement votre poids non négligeable sur l’échiquier politique… Je vous réponds monsieur Habib, juste pour remettre les choses dans leur contexte qui est malheureusement mis à mal en ces temps de populisme cocardier.
Je ne vous réponds donc pas par crainte tant ma confiance est aveugle dans l’attachement inconditionnel de nos coreligionnaires, « Tunes et autres » à la Tunisie et à la Ghriba, cette destination millénaire de pèlerinage qui charrie tous les ans les émotions, les souvenirs mais aussi les espoirs dans des lendemains de paix de nos coreligionnaires.
Cher Monsieur Habib, en tant que politique chevronné, vous devez savoir mieux que moi que les positions politiques ne sont que du conjoncturel… Le pérenne c’est l’amitié entre nos peuples, amitié douloureuse aussi tant foisonnent les malentendus en ces temps durs ou les récits nationaux s’étriquent d’un côté comme de l’autre… Le pérenne, c’est ma tunisianité comme la vôtre et contre laquelle vous vous insurgez, à cœur défendant, je le sais…
Le Droit est une ascèse comme l’a si bien dit Robert Badinter, qui fut un éclairé dénonciateur de tout antisémitisme… Les rapports internationaux qui ne devraient être régis que par ce Droit-là mais qui ne le sont malheureusement pas ou si peu, créent ce sentiment d’injustice chez une jeunesse prompte alors à jeter son dévolu sur la première utopie qui lui fait miroiter une dignité, une vengeance ou une reconnaissance.
Ainsi est-il du jihadisme et du terrorisme que vous dénoncez… Le sentiment d’injustice les a nourris mais la misère et la crise économique, que vous utilisez « inamicalement » pour vous moquer de la Tunisie, n’y sont pas étrangers…
Appeler à boycotter la Tunisie en tant que destination serait d’ajouter à ses malheurs en faisant le lit de l’extrémisme et ignorer le travail titanesque de ses dévoués serviteurs patriotes pour la sortir de l’ornière… La Tunisie ne demande pas l’aumône, comme vous semblez le sous-entendre mais attend un juste retour des choses, dû au travail et à l’abnégation des siens dont je suis, moi, René, le seul ministre juif du monde arabe.
L’année dernière nous avons atteint le chiffre de 9 millions de touristes et nous savons que nous ferons mieux tant notre engagement à nous en sortir est intact et sans faille et tant nous comptons aussi sur nos alliés et amis qui n’ont pas pu toujours nous aider comme on l’escomptait tant les intérêts sont aujourd’hui fluctuants dans un monde qui change irrémédiablement…
Certains pays qui mettent l’accent sur les problèmes sécuritaires tunisiens, pour dénigrer la destination touristique, ont bien nourri le jihadisme, par exemple, en Syrie ou au mieux laissé faire pour de frustes et immédiats calculs politiques… Nous payons, en Tunisie, le prix des batailles que les « grands » de ce monde se livrent… Ceci est injuste mais ceci est… et je ne pense pas qu’il convienne de nous stigmatiser plus que nous ne l’avons indûment été.
La solution ne sera jamais dans l’invective mais dans l’ascèse dans ce qu’elle comporte d’élévation sur les scories du politique, du slogan viscéral et des tristes temps. Se complaire dans cette fange du circonstanciel, indigne d’un éminent membre du groupe d’amitié tuniso-française tel que vous, ne fera que sustenter la bête immonde car cette bête immonde, que vous ne cessez de décrier, est partout monsieur Habib, partout où on appelle à la haine, à la vengeance, à la punition collective et à la diabolisation.
Vive la Tunisie !».
Y. N.
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