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Livre : Michaëlle Gagnet brise le silence autour de la misère sexuelle au Maghreb

A l’occasion de la parution de son livre ‘‘L’amour interdit : Sexe et tabous au Maghreb’’, la journaliste, réalisatrice et auteure française Michaëlle Gagnet est venue à la rencontre du public tunisien dans le cadre de trois conférences-débats pour présenter ce recueil de témoignages sur la clandestinité des relations amoureuses en Tunisie, en Algérie et au Maroc.

Par Fawz Ben Ali

On se rappelle encore de son enquête choc «Amour et sexe au Maghreb» diffusée en janvier 2019 sur M6 où Michaëlle Gagnet mettait à nu la difficulté, voire l’impossibilité de vivre librement son amour et sa sexualité au Maghreb, où la religion et les traditions pèsent encore beaucoup.

L’art de vivre en cachette

Un documentaire qui a par la suite inspiré ce livre récemment publié aux éditions L’Archipel, porté aussi par cette même envie de briser le silence.
‘‘L’amour interdit : Sexe et tabous au Maghreb’’ est préfacé par la journaliste et écrivaine franco-marocaine Leïla Slimani (Prix Goncourt 2016) ayant elle-même publié plus tôt ‘‘Sexe et mensonges : La vie sexuelle au Maroc’’ (2017) où elle déconstruit le mythe de la société pure et dénonce la dépossession des femmes de leurs corps.

Michaëlle Gagnet a été présente le lundi 10 février 2020 à l’Institut français de Tunisie (IFT), puis le mercredi 12 à Sousse; elle poursuivra sa série de rencontres ce samedi 15 à la librairie Fahrenheit 451 à Carthage, pour nous présenter ce livre construit autour d’une série de portraits et de témoignages qu’elle a pu collecter dans trois pays du Maghreb, dont la Tunisie. On y trouve 26 chroniques, mais aussi deux entretiens avec l’avocate et femme politique Bochra Belhadj Hamida, ainsi que l’écrivaine et universitaire Olfa Youssef.

Dans ‘‘L’amour interdit’’, Michaëlle Gagnet donne la parole à des femmes et des hommes de tous les âges, de tous les milieux sociaux et de toutes les orientations sexuelles; partageant tous la même sensation d’étouffement sinon d’insécurité dans des sociétés où les libertés individuelles et notamment sexuelles sont loin d’être garanties.

On y découvre des histoires de détresse sur l’art de vivre en cachette pour échapper au jugement moral, voire à la prison. «Au Maghreb, l’amour prend souvent l’allure d’un sport de combat», constate l’auteure et réalisatrice de cette enquête. En racontant ces histoires intimes, elle raconte aussi un pays, une culture et une époque.

Michaëlle Gagnet (à droite) en dialogue avec Hedia Abdelkefi et Monia Lach’heb.

À travers ces témoignages sur l’aliénation de l’individu et la clandestinité amoureuse, elle met la lumière sur le poids de la religions, des traditions, du patriarcat, mais aussi des lois liberticides que l’on continue d’appliquer, même dans le pays le plus éclairée du Maghreb et du monde arabo-musulman, à savoir la Tunisie, ce pays que Michaëlle Gagnet connait bien, puisqu’elle y a vécu pendant trois ans, et où elle a pu constater l’ampleur de cette vision malsaine de la sexualité perpétuée par un trio d’oppresseur : la famille, la société et l’Etat.

Les jeunes mènent une double vie

Aussi bien dans le reportage télévisé que dans le livre, on découvre des histoires de concubinage, de relations homosexuelles secrètes, d’opérations d’hyménoplastie … preuves que beaucoup de jeunes sont forcés de mener une double vie entre le joug des bonnes mœurs et le désir de s’émanciper. Un couple de franco-algérien et de tunisienne a même été arrêté et a risqué la prison en Tunisie en 2017 pour un baiser échangé dans une voiture.

Le test anal, pratique contraire à la dignité du corps et au respect de l’intimité, continue d’être pratiqué en Tunisie pour déterminer si un homme aurait eu des relations sexuelles avec un autre homme.

Le citoyen ne dispose donc pas de son corps dans les sociétés maghrébines, encore moins une femme, considérée encore aujourd’hui comme une éternelle mineure. Michaëlle Gagnet explique – témoignages à l’appui – que l’opération d’hyménoplastie se fait encore très fréquemment même en Tunisie; beaucoup de femmes sont poussées à épouser des hommes qu’elles connaissent à peine par peur d’être traitées de «vieilles filles».

Le mariage est le seul cadre légal pour vivre sa sexualité ; mais le mariage coûte extrêmement cher dans ces pays où la crise économique bat son plein. L’âge du mariage recule et la misère sexuelle dans laquelle vit la plupart des jeunes alimente leur frustration et les mène à des violences envers les femmes, allant du harcèlement verbal jusqu’au viol.

Un long et épineux chemin est encore à faire en termes de libertés individuelles autant au niveau des lois que des mentalités, mais le documentaire et le livre de Michaëlle Gagnet, l’enquête de Leïla Slimani ou encore le mouvement «Ena Zeda» dénonçant le harcèlement sexuel, représentent un grand pas vers l’émancipation, car il faut toujours commencer par briser le silence.

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