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Finances : Le Liban dans le piège de la dette

Des Libanais manifestant devant la Banque centrale de Tunisie.

Le Liban se rêvait en Suisse du Proche-Orient. Il est à la veille de se déclarer en défaut de paiement et d’appeler le Fonds monétaire international (FMI) à son chevet. En quelques années, miné par les crises politiques à répétition dans un environnement géopolitique hostile, il est passé de pays en «soins intensifs» à un pays en «état d’agonie latente».

Par Hassen Zenati

Les dés en sont jetés. Lundi 9 mars 2020, les Libanais se sont réveillés, pour la première fois de leur histoire, dans un pays en défaut de paiement, incapable d’honorer une échéance de 1,2 milliards d’euros. C’est le Premier ministre, homme d’affaires et ancien ministre de l’Education, Hassan Diab, installé depuis le 21 janvier seulement à la tête du gouvernement, à l’issue d’une longue crise ministérielle, qui a eu le pénible devoir de le leur annoncer samedi 7 mars, sans créer nulle surprise dans le microcosme politique qui s’y préparait.

Une dette approchant 170% du PIB

Depuis plusieurs semaines, les négociations battaient leur plein entre plusieurs fonds spécialisés dans la dette décoté et la Banque centrale libanaise, pilier de l’économie nationale, conseillée par le FMI.

Croulant sous une dette de 92 milliards de dollars, soit environ 170 % de son PIB, l’un des ratios les plus élevés au monde après ceux du Japon et de la Grèce, le Liban «va restructurer sa dette conformément à l’intérêt national», a indiqué le chef du gouvernement rassurant. Il a souligné qu’il s’agit du «seul moyen pour stopper l’hémorragie», alors que «les réserves en devises du pays ont atteint un niveau inquiétant» – l’équivalent de quelques mois d’importation à peine. L’annonce s’est accompagnée d’une immédiate levée de boucliers de la part de ceux qui craignent la mise du pays «sous tutelle» des institutions financières internationales.

En réalité, le Liban vit la pire crise économique depuis la fin de la guerre civile (1975-1990). Elle a été générée par la récession, une pénurie de liquidités, la hausse des prix et un chômage persistant (20% au moins). Le taux de pauvreté a bondi à plus de 30% de la population, vivant avec moins de 4 dollars par jour, alors que les inégalités n’ont cessé de creuser entre le nord, riche, gravitant autour de la capitale, Beyrouth, et le sud, pauvre.

En novembre dernier, la Banque Mondiale (BM) avertissait que la moitié de la population pourrait bientôt vivre sous le seuil de pauvreté. Depuis plusieurs années, la croissance libanaise traîne autour de 2% en moyenne par an, alors qu’elle flirtait naguère avec les 8% Les investissements dans les deux principaux secteurs d’activité : le tourisme et le bâtiment sont quasiment en panne faute de crédits, alors que les transferts des émigrés (la moitié des Libanais vivent à l’étranger), autre source importante de devises, stagnent ou sont en recul.

Restrictions financières et bancaires drastiques

L’économie est asphyxiée depuis plusieurs mois par la dépréciation de la monnaie et les tensions politiques. Les réserves de change ont fondu comme neige au soleil. Craignant l’épuisement de leurs réserves, les banques ont imposé des restrictions drastiques ces derniers mois, plafonnant les retraits à 100 dollars par semaine et interdisant les transferts à l’étranger. La Livre libanaise (LL) arrimée au dollar depuis 1997, au taux fixe de 1.5 LL pour un dollar, a perdu 40% de sa valeur, s’échangeant ces derniers jours à 2.700 LL pour un dollar sur le marché noir. Après avoir vécu son âge d’or dans le sillage des économies du Golfe, dont il était la place financière principale dans la région, le Liban a été progressivement surclassé par ses voisins. Il a semble avoir désormais mangé son pain blanc.

Le pays doit faire face à deux autres échéances de remboursement prévues en avril et juin, pour un montant total de 1,3 milliard de dollars. Les discussions en cours avec les créanciers et les organisations financières internationale portent sur sa capacité à honorer les prochains remboursements.

Le Pays du Cèdre paye ainsi le prix fort d’un endettement massif à la sortie de la guerre civile, qui n’a pas été accompagné des réformes économiques indispensables au rétablissement des équilibres. Le résultat fatal est un accroissement du déficit budgétaire et de la dette publique, dans un contexte de crises politiques à répétition, qui ont nourri la crise économique en l’aggravant. De 2014 à 2016, le pays est resté deux ans sans président élu, se contentant de la reconduction du chef de l’Etat en place pour gérer les affaires courantes.

Un système institutionnel confessionnel devenu obsolète

Le système institutionnel libanais est confessionnel, s’appuyant sur 18 communautés religieuses de diverses obédiences. Il impose une répartition des fonctions à la tête de l’Etat réservant la présidence de la République à un chrétien maronite, la présidence du Gouvernement à un musulman sunnite et celle du Parlement à un musulman chiite. Ce partage des pouvoirs selon des règles confessionnelles a été décidé à l’indépendance en 1943, sur des bases démographiques qui n’ont plus rien à voir avec la situation actuelle. Alors que le nombre de chiites est monté en flèche, celui des chrétiens ne représente plus que le tiers de la population, pour deux tiers de musulmans, sunnites et chiites confondus.

Un mouvement de contestation d’ampleur agite le pays depuis octobre 2019. Les manifestants demandent la refonte du système politique, une lute ferme contre la corruption qui mine le pays, le renvoi des bureaucrates incompétents et le redressement des services publics. Ces derniers ont atteint le fond en effet. Les coupures d’eau et d’électricité sont de plus en plus fréquentes.

L’enlèvement des ordures est sporadique. Les réfugiés de la guerre de Syrie, soit 1,5 millions de personnes pour une population totale libanaise de 4,5 millions, pèsent lourdement sur le pays, qui manque singulièrement d’une nouvelle vision de croissance de substitution à sa place financière en déclin.

En 2018, la communauté internationale s’était engagée à apporter une aide financière de 11 milliards de dollars en contrepartie de réformes. La promesse est restée lettre morte et les réformes n’ont pas été engagées, alors que la poursuite de la guerre en Syrie rend la situation dans le pays de plus en plus précaire.

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