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Covid-19 ou la dernière guerre mondiale

Malgré le tribut en vies humaines, dont on compte sur la divine providence sans trop d’illusions pour qu’il ne soit pas lourd, l’actuelle pandémie du coronavirus malheureusement imposera, et dont une part aurait sans doute pu être évitée, notre pays, la Tunisie, aura quand même gagné quand la population aura compris qu’elle aura besoin d’un Etat fort et non de partis fantoches.

Par Dr Mounir Hanablia *

Le coronavirus est une infection grave, les faits le confirment de plus en plus, même si la Chine, où on ne rapporte plus de nouveaux cas internes, semble avoir jugulé l’épidémie. Le président français Macron avait bien parlé de guerre, et en Europe et ailleurs, la vague de la pandémie continue de se propager en prenant toujours plus d’ampleur, particulièrement en Espagne qui a désormais dépassé la Chine en nombre total de morts, pour ne pas dire l’Iran, un pays soumis à un embargo international sévère.

Pourquoi le virus en Italie, un pays qui semble avoir dépassé le pire, s’est-il répandu d’une manière aussi foudroyante ? Pourquoi a-t-il été aussi mortel, particulièrement dans le nord de la botte, dans le cœur économique du pays, en Lombardie, alors qu’ailleurs dans le monde la mortalité y est nettement moindre, et ne dépasse pas 5%? En 1976 déjà la Lombardie avait été frappée par une catastrophe industrielle de grande ampleur, celle de Seveso, après qu’une fuite de Dioxine de l’usine Laroche fabriquant des herbicides eût occasionné un nuage toxique de plusieurs hectares. Bergame la ville la plus frappée par le virus est aussi l’une des plus industrialisées d’Italie, son champ d’activités couvre les métaux, le secteur chimique, le caoutchouc et le plastic, le textile, l’électromécanique, et les équipements.

L’industrialisation est l’un des points communs entre Bergame et Wuhan, l’épicentre de l’épidémie chinoise, un autre étant la situation géographique comparable sur un fleuve et loin de la mer. Quoiqu’il en soit, malgré ces similitudes, les Etats chinois et italien se sont révélés fort dissemblables dans leurs manières de gérer la même crise sanitaire.

Sans Etat, il n’y a point de lutte possible ni d’organisation

Evidemment, cette pandémie mondiale révèle une fois encore le rôle majeur joué par l’autorité politique pour faire face à des catastrophes de grande ampleur. Sans Etat, il n’y a point de lutte possible ni d’organisation, et à travers le monde il ne faut surtout pas compter sur la bonne volonté des populations ou sur le civisme citoyen pour faire face.

En Australie la population a ignoré la réglementation limitant le nombre de baigneurs sur un même site à moins de 500 personnes, et des plages ont donc été complètement fermées au public. En Allemagne, malgré l’interdiction des autorités, des soirées appelées Corona continuent d’être organisées, et face à cela, les autorités se préparent à appliquer les mêmes mesures qui ont déjà été prises en France, celles de faire respecter la loi par la police et les gendarmes.

En fait, dans les démocraties libérales occidentales, les autorités en refusant de recourir d’emblée aux mesures autoritaires semblent avoir perdu un temps précieux, dans un contexte où l’évolution exponentielle de la pandémie se chiffre quotidiennement en pertes supplémentaires significativement élevées en vies humaines.

Le cas américain risque de le confirmer tragiquement, malgré le recours de certains Etats comme la Californie à la limitation des activités aux seuls secteurs jugés essentiels, de l’économie. Mais aux Etats-Unis, le pays le plus puissant du monde, le Président Donald Trump, l’homme le plus puissant du monde, après avoir été un partisan du déni de la gravité de la maladie, puis du confinement face à l’inquiétude de ses compatriotes, considère maintenant qu’il n’ y a pas lieu de sacrifier l’économie en la mettant en veilleuse pendant plusieurs mois, face à une épidémie qui selon lui ferait beaucoup moins de victimes que la grippe, ou que les accidents de voiture. Un point de vue que, sans aucun doute, le peuple tunisien préoccupé principalement par son alimentation, partagerait sans réserve, mais dont seul l’avenir dira ou non la pertinence, puisque la maladie semble en Amérique prendre l’ampleur du raz de marée prédit par nombre de médecins, et que le gouvernement fédéral rechigne toujours à débloquer les crédits qui dans l’urgence pourraient permettre de faire face à une situation menaçant désormais d’échapper à tout contrôle.

La Corée du Sud est à pourtant le deuxième exemple de pays ayant réussi à faire refluer l’épidémie, mais sans pour autant recourir aux méthodes radicales chinoises; les Sud-Coréens ont eu recours au dépistage massif au sein de la population, ce qui nécessite évidemment des moyens considérables, mais à l’arrivée, les personnes infectées ont toutes été détectées, isolées et traitées. Il est bien sûr évidemment trop tôt pour affirmer qu’il n’y aura pas de nouvelles recrudescences dans ces pays là. Mais quoi qu’il en soit, même si c’est le cas, la maladie ne se manifestera que sous forme de cas sporadiques, ces pays sont déjà sur le qui vive, bien outillés, forts de l’expérience acquise, et en aucun cas l’épidémie ne pourra de nouveau acquérir la virulence qui était la sienne à son tout début. Et d’ici une à deux années, de nouveaux médicaments pour lutter contre l’infection seront selon toute vraisemblance sur le marché, en attendant la fabrication éventuelle de nouveaux vaccins.

Le problème va en revanche se poser pour les pays économiquement sinistrés, et où les Etats sont désormais dénués la plupart du temps de la volonté politique pour imposer des mesures impopulaires mais nécessaires non pas au bien-être de la population, mais simplement, à sa survie.

Réveillé brutalement, l’Etat tunisien sombre dans la gabegie

L’Etat Tunisien, pendant plus de dix ans, avait été anesthésié par la politique politicienne des partis, et il semble enfin sortir de la léthargie profonde, dans laquelle l’avaient plongé depuis plus d’un an les campagnes électorales puis les élections, en prenant conscience de l’étendue de ses prérogatives et de ses responsabilités au moins à l’échelle du discours. La réalité elle a de quoi laisser dubitatif.

Un certain nombre de concitoyens arrivés la nuit, touristes rapatriés de Turquie après la fermeture des liaisons aériennes avec ce pays, ou débarquant d’Italie par le vol hebdomadaire, ont protesté contre la décision de les transférer pour une mise en quarantaine surveillée mais ont dû se résoudre à obtempérer après que la police les eut encerclés à la sortie de l’aéroport. Une vidéo avait montré une passagère profitant des palabres pour monter dans une voiture venue l’attendre malgré le couvre-feu. Embarqués sur des bus réservés à cet effet, ces voyageurs auraient été transportés selon un témoin vers un hôtel de Gammarth dont la direction, protestant de son ignorance, aurait refusé de les recevoir; ils auraient alors été emmenés vers le port de la Goulette, pour y être hébergés, mais les autorités portuaires les auraient également refoulés pour les mêmes raisons, et finalement, les bus seraient revenus à leur point de départ, l’aéroport de Tunis-Carthage, et les passagers priés de rentrer chez eux par leurs propres moyens.

D’autres témoignages font état de voyageurs à qui les contrôles sanitaires auraient été épargnés et à qui le libre passage aurait été accordé. Il faut rendre à cet effet hommage au travail réalisé par la police des frontières ainsi qu’au cadre médical et paramédical placé en première ligne peu protégé et chargé de dépister les maladies auprès de voyageurs souvent peu coopératifs, sinon vindicatifs, et de se soumettre au nom du respect de la hiérarchie, à des interventions intempestives.

Le ministère de la Santé a accusé les voyageurs d’avoir refusé de se soumettre aux mesures d’urgence sanitaire. Mais en dépit d’un précédent discours de fermeté tenu par le chef du gouvernement, les Tunisiens dans la rue ne semblent toujours pas soucieux d’accepter les mesures prises pour contrecarrer la propagation de l’épidémie, comme le confinement, l’interdiction des attroupements, et le couvre-feu, ce qui a amené le président à ordonner le déploiement de l’armée. Et désormais la police, non protégée, distribue coups de pieds, et coups de poings, aux récalcitrants, dont quelques centaines, arrêtés, encourent désormais les foudres de la justice.

La première et principale ligne de protection a échoué

Néanmoins il est désormais clair que la première et principale ligne de protection, celle des mesures préventives, a échoué, face au comportement irresponsable de la population, ce qui inévitablement va engager la deuxième ligne, celle des hôpitaux publics, dans la bataille, beaucoup plus massivement que prévu, d’une manière à laquelle elle n’est nullement préparée.

Les récents événements survenus au sein de l’hôpital de Sfax confirment à cet effet l’état d’impréparation des hôpitaux publics, non seulement sur le plan matériel, mais aussi organisationnel. Il y a bien eu une campagne de collecte de fonds à laquelle ont participé des personnalités en vue dans tous les domaines d’activité, mais en Tunisie le secteur de la santé publique a été sacrifié depuis plus de 25 ans sur l’autel de schémas de croissance d’essence néolibérale privilégiant la création d’établissements de médecine privée, et attendre du gouvernement son rétablissement dans une situation hypercritique relèverait de la chimère.

Les archives des hôpitaux, inopportunément détruites en 2016, ne sont plus là pour révéler de quelle manière ce sacrifice imposé au pays a été mené. La conséquence c’est que, aujourd’hui, on ne puisse plus faire face à une demande sanitaire d’évolution exponentielle, qui risque de devenir dramatique si la maladie acquière le profil épidémiologique italien. Nous nous retrouverions dans un schéma à l’Iranienne, avec des hôpitaux surchargés où le personnel travaille sans moyens de protection adéquats, où les médecins et les infirmiers paieraient un lourd tribut, autant à la maladie qu’à des choix politiques contestables, et où les morts seraient enterrés anonymement dans des fosses communes.

La survie du pays et de la population exige désormais un Etat fort

La succession rapprochée d’infections graves H1N1, H5N1, H5N7, Ebola, Mers Covid, en provenance de pays qui pour être riches n’en sont pas moins en situation de désastre écologique, devrait pourtant nous faire prendre conscience en Tunisie que la santé publique ne puisse plus être considérée comme un outil obsolète dont la seule utilité serait de donner l’impression aux plus démunis de bénéficier d’une prise en charge plus symbolique que réelle, et que l’activité libérale de la médecine ne résoudra pas les problèmes sanitaires publics.

Sans devoir remettre en cause la liberté d’expression, il est clair que la survie du pays et de la population exige désormais un Etat fort, qui agisse, ainsi que l’a reconnu le chef du gouvernement, et les palabres et les manœuvres politiciennes des députés et des partis politiques ne peuvent plus en constituer le substitut.

Les mesures annoncées, celles ayant trait au financement des arrêts de travail, au report du règlement des impôts et du remboursement des crédits bancaires, aux contributions financières volontaires au nom de la solidarité nationale, sont certes un pas dans la bonne direction.

Malgré le tribut en vies humaines, dont on compte sur la divine providence sans trop d’illusions pour qu’il ne soit pas lourd, que l’actuelle pandémie malheureusement imposera, et dont une part aurait sans doute pu être évitée, le pays aura quand même gagné quand la population aura compris qu’elle aura besoin d’un gouvernement, et non pas d’une gouvernance, ainsi que l’en ont durant toutes ces années persuadé les faux prophètes et les charlatans. Et si tant est que cette pandémie mondiale eût démontré l’unicité du destin du genre humain, cette solidarité ne perdurerait en tous cas que jusqu’à la commercialisation du remède préventif ou curatif; c’est dire combien la survie humaine est corrélée aux moyens et la responsabilité de sa sauvegarde incombe donc avant tout aux pays les plus puissants.

L’anticipation des souches virales est un enjeu majeur de la recherche
Il est à cet égard dramatique que dans l’actuelle situation d’urgence sanitaire mondiale, le peuple iranien soumis à un cruel embargo continue de mener un combat solitaire et désespéré du résultat duquel inévitablement la population mondiale finira par assumer le coût humain, du moins jusqu’à l’apparition de remèdes efficaces. Le précédent embargo imposé à l’Irak et les milliers d’enfants morts qui en avaient résulté n’avaient pas peu contribué à l’irruption de Daech dans ce pays, on ne peut pas l’oublier. Et penser que l’Iran se soumettra à la dénucléarisation par le biais des effets de la pandémie est un pari hasardeux pour qui méconnait fondamentalement la mentalité de ce peuple.

Par ailleurs, les restrictions budgétaires imposées à l’OMS et à l’US AID devraient faire réfléchir toutes les personnes douées de bon sens et de bonne volonté dans le monde. Sans le fantastique travail de l’OMS, il est très probable que la pandémie eût été bien plus dramatique.

Aucune nation ne peut désormais plus envisager sa sécurité en dehors du risque biologique global préalable à la découverte du remède, et l’anticipation des souches virales est devenue un enjeu majeur de la recherche dans la course à l’élaboration de médicaments et de vaccins. Car il ne faut pas s’y tromper, face à la surpopulation mondiale et aux déséquilibres écologique et climatique majeurs, l’actuelle pandémie risque de n’être qu’un début, et les prochaines pourraient sonner le glas d’une part substantielle de l’humanité, rejoignant les Indiens d’Amérique, afin de meubler les champs clos de la mémoire. Le Docteur Sheldon Seagal, l’inventeur du Norplant et du Mirena, pourrait du fond de sa tombe regretter de ne pas y avoir pensé.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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