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Donald Trump et le dilemme du coronavirus

Saint Trump, le pape de l’ultralibéralisme, contrarié par le coronavirus.

Devenus en quelques jours l’épicentre de la pandémie du Covid-19 et le premier front de lutte contre la maladie, les Etats-Unis plongent Donald Trump dans une grande perplexité. Il est placé devant un redoutable dilemme : privilégier la santé ou l’économie.

Par Hassen Zenati *

Aux Etats-Unis, un bilan chasse l’autre. Mais tous se ressemblent. Ils indiquent que les choses vont aller en s’aggravant et que le «peak» de la pandémie du coronavirus, à partir duquel les experts espèrent un retournement de la courbe des contaminations, n’est toujours pas atteint.
Plus grave encontre, le président Donald Trump, qui a nié puis minimisé l’épidémie, allant jusqu’à annoncer qu’elle ne risquait pas d’atteindre le pays et qu’elle allait disparaître comme «par miracle» avant de frapper, avec l’apparition des premières chaleurs du printemps, multiplie les appels alarmistes. Dans sa dernière apparition à la télévision, samedi 4 avril 2020, il a prévenu la population qu’elle devait se préparer à vivre des «jours horribles avec de très mauvais chiffres». «Il va y avoir beaucoup de morts. Les deux prochaines semaines vont être les pires», a-t-il prévenu, en annonçant l’envoi de milliers de militaires supplémentaires dans les Etats les plus touchés, dont un millier à New-York.

Faucy obligé de contredire le président Trump

Il a également appelé les Américains à se couvrir le visage lors de leurs sorties, même avec des masques de fortune de fabrication artisanale faute de trouver des masques médicaux. Il s’est ainsi rallié, plutôt à contrecœur, semble-t-il, à l’avis de l’un des conseillers les plus critiques de la stratégie de lutte contre le virus mise en œuvre par la Maison Blanche, Antony Fauci, directeur de l’Institut des maladies infectieuses, qui n’hésite pas à recadrer le président même en public.

Ainsi, lorsque Donald Trump annonce prématurément qu’un vaccin serait rapidement mis au point, il rétorque, sans se démonter, devant le panel de journalistes accrédités à la Maison Blanche : «Comme je vous l’ai dit M. le président, il faudra un an à un an et demi», avant d’avoir un vaccin efficace et sûr.

Dans un entretien au New-York Times, Antony Fauci, un petit homme aux cheveux gris, le visage dévoré par une paire de lunettes en métal, reconnaît sans ambages : «Je marche sur une ligne de crête. Je dis au président des choses qu’il ne veut pas entendre et je déclare publiquement des choses différentes de ce qu’il assure. Je ne veux pas le contredire, mais juste donner les faits». À l’issue d’une nouvelle série d’études, il a alerté les autorités que le Covid-19 peut se transmettre par voie aérienne lors d’une discussion, et pas seulement par la projection de gouttelettes provenant d’un éternuement ou d’une toux. Vilipendés par les partisans du Trump au choix comme un «menteur» ou un «conspirationniste», sinon les deux fois, il tient solidement la barre, n’a pas changé de cap.

Coutumier des volte-face, Donald Trump a réajusté sa position en prenant connaissance des derniers bilans de progression de la pandémie aux Etats-Unis, qui en sont devenus l’épicentre. Sur les 63.000 morts enregistrés dans le monde, dont 46.000 en Europe, les Etats-Unis en ont comptabilisé 8.093, moins que l’Italie (15.362) et l’Espagne (11.744), mais plus que la France (7.560) et le Royaume-Uni (4.313), selon les bilans de ce dimanche 5 avril.
Cependant, alors qu’en Italie, en Espagne et en France, l’épidémie semble avoir amorcé un léger reflux, aux Etats-Unis elle continue à progresser rapidement. Plus de 300.000 cas ont été déjà recensés. La Maison Blanche estime qu’avec 100 à 200.000 morts à la fin de la crise sanitaire, le pays ne s’en tirerait pas si mal, alors que certains scientifiques prédisent plusieurs millions de victimes.

New-York ressemble à une cité fantôme

New-York, l’Etat le plus touché du pays, continue à payer un très lourd tribut à la maladie. Il a enregistré au cours des 24H00 allant de vendredi à samedi, 630 décès, soit le bilan le plus sombre qu’il ait connus depuis le début de l’épidémie. La plupart des établissements hospitaliers de la ville sont saturés, témoignent les praticiens. Les malades sont soignés jusqu’à dans les couloirs. Il n’y a plus de places pour les morts. Des morgues de fortune ont été installées devant les hôpitaux, sous des tentes ou dans des camions. «Tout le monde fait de son mieux, mais les choses que nous voyons aux urgences sont effrayantes et nous avons peur», dit un médecin. La ville, qui ne dormait jamais, selon une solide réputation, ressemble de plus en plus à une cité fantôme de nuit comme de jour. Elle manque de tout: masques, lits d’hôpital équipés de respirateurs pour la réanimation, médicaments etc. New-York a dû s’adresser à Bejing pour obtenir un millier de respirateurs. Donald Trump rejette la faute de la pénurie de masques sur l’entreprise spécialisée 3M qui, selon lui, exporte beaucoup trop, sans tenir compte des besoins internes.

Washington s’étant déchargé sur les Etats et les municipalités pour couvrir leurs besoins en masques et en matériel de lutte contre le coronavirus, on assiste depuis quelques jours à de véritables batailles rangées sur les tarmacs pour s’accaparer les cargaisons venant de Chine, devenu le fournisseur principal de ces équipements depuis qu’il a jugulé la pandémie à domicile. Tandis qu’un gigantesque navire-hôpital de la marine américaine est à quai à New-York, des hôpitaux de campagne sont en construction à Miami et Los Angeles, qui se préparent comme elles le peuvent à la seconde vague d’infectés.

Malgré les nouvelles alarmantes venues du «front» du coronavirus, Donald Trump n’a pas renoncé à son agenda politique ni à préparer l’après-crise en privilégiant le sauvetage de l’économie, qui vit sa pire descente aux abysses depuis 1929. «On doit ré-ouvrir notre pays, cela ne peut pas durer ainsi pendant de mois et des mois. On paye les gens et ceux-ci doivent retourner au travail. Les fans du sport veulent voir leur match de base-ball, de football, de golf», a-t-il encore martelé samedi, s’adressant directement à ses électeurs républicains, notamment ceux des sites industriels ravagés par la crise, qui continuent à le soutenir massivement. Ils lui avaient apporté leurs voix pour son élection pour un premier mandat. Il table encore sur eux pour le maintenir à la Maison Blanche en novembre prochain pour un second mandat.

Donald Trump ne perd pas de vue la campagne électorale

Alors que le pays vit depuis toujours sur un système de protection sociale extrêmement limité, l’entame de la crise sanitaire s’est déjà traduite par la mise au chômage de quelque 4 à 5 millions de salariés, qui n’auront plus qu’une maigre assistance de l’Etat pour passer la mauvaise passe, sans en connaître la durée. Malgré les sommes faramineuses : 2.000.000 milliards de dollars au moins que le président s’apprête à injecter dans la relance, certains économistes pessimistes président jusqu’à 40 millions de chômeurs à terme et une dizaine d’années pour assurer le rebondissement.

Cela n’a pas empêché Donald Trump, qui depuis son élection, a dans son collimateur les réformes sociales de son prédécesseur Barak Obama, de mettre un coup d’arrêt à l’élargissement aux nécessiteux de «l’Obama Care» (assistance sanitaire), alors que les Républicains du sud ont suspendu les avortements, sous prétexte que l’équipement des hôpitaux doit servir prioritairement à la lutte contre le coronavirus.

Malgré la gravité de l’épidémie, Donald Trump ne perd pas de vue la campagne électorale. Il ne perd pas une occasion d’adresser une pique aux démocrates qu’il contraint à recevoir ses coups sans pouvoir répondre, union nationale contre la pandémie oblige. Il s’est placé dans une gestion partisane de la crise sanitaire, et ramène tout à lui. Le succès de sa méthode «punch-line» dépendra de son bilan final. S’il est plus grave que prévue, il lui sera difficile de convaincre. Sinon, c’est la Maison Blanche qui lui tendra de nouveau les bras.

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