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Covid-19 : Le dé-confinement en Tunisie, les erreurs à éviter

Cet article est partiellement inspiré de celui du Dr. Philippe Sansonetti («Covid-19 : chronique d’une émergence annoncée») et adapté à la situation en Tunisie.

Par Dr Kaissar Sassi *

En Tunisie comme dans beaucoup d’autres pays, la stratégie initiale de ladite «étalage du pic de l’épidémie» visait la préservation des systèmes de santé en évitant le dépassement des capacités d’hospitalisation, surtout dans les services de réanimation.

Initialement, cette stratégie, presque mondiale a reposé sur la mise en place d’une distanciation sociale, le respect des gestes barrières (distances de 1 mètre, pas d’embrassade ni de serrage de main) et sur une hygiène stricte préconisant essentiellement le lavage fréquent des mains.

Rapidement remise en question, deux marqueurs ont témoigné d’un dérapage imminent :

  • le drame italien qui a tiré toutes les sonnettes d’alarmes depuis le dernier dimanche du février;
  • l’augmentation exponentielle des cas de Covid-19 hospitalisés et la menace objectivée de la saturation rapide des capacités de réanimation.

Distanciation sociale et confinement total de la population

Ces éléments nous ont alertés d’un éventuel scénario «à l’italienne» se reproduisant en Tunisie. Alors, deux solutions se sont présentées à nous:

1- l’immunité de groupe;

2- les mesures drastiques, essentiellement le confinement total de la population.

Le gouvernement a rapidement opté pour la deuxième stratégie dès mi-mars.

Les deux méthodes pour enrayer une épidémie sont:

1- La première méthode consiste à ne rien changer, comme on l’a envisagé en Hollande et initialement au Royaume Uni, et attendre la constitution d’une immunité de groupe empêchant le virus de circuler faute de trouver assez de cibles immunologiquement naïves.

Le taux de reproduction de base (R0) de Covid-19 étant de 2,5, le pourcentage de population infectée nécessaire pour obtenir cette immunité de groupe et ramener le R0 au dessous du seuil épidémique soit <1 se calcule à partir de l’équation : % population infectée nécessaire = 1-1/R0, soit 60% de la population.

Dans le cas de la Tunisie, pour atteindre une immunité collective, 6.942.000 personnes doivent être infectées. Si on atteint ce nombre, la mortalité dépassera probablement les 50.000 personnes, bien sûr en l’absence de découverte thérapeutique ou de confirmation de la protection par le vaccin BCG. Un prix cher à payer et sous réserve que la maladie génère une solide immunité protectrice, ce qui n’est pas encore formellement démontré à ce jour.

À ce sujet le Dr Sansonetti a écrit : «L’histoire des épidémies nous apprend à quel point la capacité d’identifier exhaustivement les patients, y compris les porteurs sains, est importante pour engager un contrôle efficace de la diffusion du pathogène. Au tournant du XIXe et du XXe siècle, l’Europe et les États-Unis furent régulièrement frappés d’épidémies de fièvre typhoïde qui, en milieu urbain, pouvaient prendre une ampleur dramatique. Robert Koch identifia très vite que l’origine, souvent mystérieuse, de ces épidémies, était l’existence de porteurs chroniques asymptomatiques du bacille typhique excrétant le pathogène dans leurs selles et contaminant leur environnement.»

2/ La situation dans l’Europe où s’était créés plusieurs foyers très virulents «à l’italienne» telle que le Grand-Est de la France a confirmé rapidement la crainte d’un dépassement irréversible du personnel de santé et de ses moyens thérapeutiques surtout avec nos moyens de bord. Une capacité de ventiler 700 patients sur tout le territoire tunisien.

Cela nous a conduit, dès mi-mars, à la deuxième solution : le renforcement de la distanciation sociale en introduisant une vraie dimension suppressive avec la fermeture des écoles, des lieux publics, mosquées et commerces «non essentiels» et par la suite au confinement de l’ensemble de la population, en toute conscience du risque économique et social de cette décision.

La fin du confinement ne sonnera pas la fin de l’épidémie

La stratégie du dé-confinement doit se baser sur des données scientifiques : ces données reposent sur les mesures d’hygiène individuelle intensive comprenant l’usage de masques dans la population générale, l’accès à des sites de lavages de mains publics ou la mise à disposition de gel hydro-alcoolique et une large utilisation de tests diagnostiques visant à identifier et isoler les malades et les porteurs du virus.

Le Dr. Sansonetti a écrit à ce sujet : «Il est essentiel d’expliquer dès maintenant ces perspectives à nos concitoyens. Il faut les aider à comprendre que cette situation d’exception va durer. La fin du confinement ne sonnera pas la fin de l’épidémie ! L’épidémie sera toujours présente, moins virulente, certes, que la vague que nous sommes en train de subir, mais ne demandant qu’à rebondir (…) Nous devons réussir notre dé-confinement, et n’avons que peu de temps pour le préparer. Son succès sera facteur de confiance de nos concitoyens dans les autorités politiques et sanitaires…»

Les conditions pour prononcer le dé-confinement en Tunisie

Sommes-nous clairement sortis du pic épidémique ? Non !

Réunissons-nous à ce jour les éléments permettant de donner à la stratégie de dé-confinement des chances maximales de succès ? Non !

Même si l’on observe aujourd’hui quelques signaux que l’on aimerait considérer comme positifs, comme la diminution du nombre de nouveaux patients hospitalisés, la seule preuve préconisée est une atteinte de plus de 8% de la population. Si une telle proportion est atteinte, le prochain pic sera toujours moins intense, ce qui permettra toujours une maîtrise de la situation avec une stratégie de «Stop and go».

Malheureusement, en Tunisie, on ne dispose pas encore de ces tests sérologiques permettant cet échantillonnage afin d’estimer la proportion atteinte de notre population. Donc on est en train de lancer les dés en croisant les doigts. Ça peut toujours passer, à croire le professeur Didier Raoult, qui pense que la maladie évoluera d’une façon saisonnière.

Le Dr. Sansonetti essaye de suivre la logique des choses et met à notre disposition une vision se basant sur le bon sens.

Les conditions dans lesquelles un dé-confinement pourrait se faire consistent à :

1- opter pour le dé confinement sur une base régionale selon le degré de propagation du virus ;

2- une fois décidée, la sortie de confinement doit s’accompagner d’un dépistage moléculaire de la présence du virus aussi large que possible chez les sujets symptomatiques, pauci-symptomatiques ou asymptomatiques, essentiellement dans le secteur hospitalier, qui demeure le meilleur échantillon représentatif de l’évolution de l’épidémie ;

3- une fois décidée, la sortie de confinement devra s’accompagner d’un maintien rigoureux des mesures de distanciation sociale et d’hygiène individuelle et collective, incluant le port de masques qui deviendra une habitude des citoyens;

4 – les transports interrégionaux devront rester limités;

5 – les rassemblements devront rester interdits avec certaines exceptions.

Pour conclure le Dr. Sansonetti écrit : «Une note personnelle d’espoir… Espoir et confiance d’abord : la science apportera les solutions à cette crise qui paralyse notre pays, notre continent et la planète. Recherche biomédicale, fondamentale, académique et industrielle, toutes les forces sont mobilisées et globalement financées pour découvrir, tester, valider et développer molécules thérapeutiques et vaccins…»

* Anesthésiste-réanimateur.

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