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L’origine de SARS-CoV-2 entre vérités et contre-vérités

Shi Zeng-Li alias “Bat Woman”.

Des données démentent formellement la rumeur colportée par des scientifiques et des politiques selon laquelle le coronavirus (Covid-19) est un nouveau virus qui se serait évadé du laboratoire P4 du Wuhan, en Chine. Mais la rumeur, comme on dit, a la peau dure.

Par Mohamed Ben Ahmed *

Des spéculations concernant l’origine du SARS CoV 2 sont largement diffusées sur les réseaux sociaux pointant du doigt un «complot de la Chine sous la forme d’un nouveau virus comme arme biologique qui se serait évadé du laboratoire P4 du Wuhan» et ajoutant «accidentellement, par manque de respect des conditions de sécurité qu’impose le BSL 4 (BioSafety 4).» Et même si de nombreux articles scientifiques ont conclu, preuves à l’appui, que le SARS CoV 2 est naturel et qu’il n’a subi aucune manipulation humaine, les adeptes du complot s’en donnent encore à cœur joie.

La rumeur à la peau dure

Ce qui est désolant, c’est que ces derniers s’appuient, entre autres, sur des déclarations de chefs d’Etat comme l’Américain Donald Trump à propos de l’OMS, organisation «chinoise de la santé», selon ses termes, ou le Français Emmanuel Macron qui déclara, dans sa récente interview au ‘‘Financial Times’’, le 16 avril 2020 : «Il y a manifestement des choses qui se sont passées qu’on ne sait pas. Il appartient à la Chine de les dire.»

Il faut dire que certains interprètes de cette phrase affirment que c’est plutôt la gestion de crise du Covid-19 qui est visée, mais, à notre sens, les choses peuvent signifier autres choses aussi : comme la gestion du laboratoire P4 de Wuhan, en sachant que de nombreux responsables français avaient contribué au projet de ce laboratoire, avant d’en être écartés.

Il faut rappeler que Washington, Paris et Londres ont affirmé dans des déclarations officielles qu’elle s’inquiètent des zones d’ombres de Pékin sur l’origine du coronavirus donnant, ce faisant, consistance aux spéculations sur les possibles origines non naturelles du SARS-CoV-2.

Le 24 avril 2020, le journal français ‘‘Le Figaro’’ publiait une enquête intitulée : «Coronavirus : le grand mensonge chinois». Le lendemain, le journal français ‘‘Le Monde’’ publiait une enquête intitulée : «Coronavirus : les laboratoires de Wuhan, épicentres de la rumeur» .

Au même moment, la revue états-unienne ‘‘Scientific American’’ a mis en ligne un article intitulé : «How China’s “Bat Woman” Hunted Down Viruses from SARS to the New Coronavirus», daté du 27 avril 2020.

Cet article, comme l’éditeur de la revue l’indiquait, «a été initialement mis en ligne le 11 mars 2020. Il a été mis à jour pour être inclus dans le numéro de juin 2020 de ‘‘Scientific American’’ et pour répondre aux rumeurs selon lesquelles le SRAS-CoV-2 serait issu du laboratoire de Shi Zeng-Li en Chine».

Cet article, selon nous, devrait être lu à grande échelle, à commencer par les leaders occidentaux qui n’ont pas compris comment les choses s’étaient passées en Chine entre octobre 2019 et janvier 2020.

Ainsi parlait Shi Zheng-Li ou“Bat Woman”

Nous publions, ci-après, des extraits de cet article traduits par nous même en langue française.

Quelques mots au sujet du titre et notamment l’appellation Bat Woman (la femme chauve-souris) : il ne s’agit point d’une nouvelle espèce qui s’est ajoutée aux 1.300 chiroptères mais bien une brillante chercheure virologue dénommée Shi Zheng-Li, directrice adjointe du laboratoire P4 de Wuhan.

Le surnom Bat Woman lui avait été attribué par les journaux, depuis qu’elle s’était affirmée comme spécialiste des coronavirus en étudiant les chauves-souris qui, dans les régions chinoises subtropicales et méridionales du Guangdong, du Guangxi et du Yunnan, constituant de véritables usines à virus.

C’est elle qui, en 2004, avait identifié chez une chauve-souris deux coronavirus proches du SARS-CoV 1, l’agent infectieux à l’origine de l’épidémie de SRAS de 2003.

Son profil de virologue patentée et ses importantes fonctions au sein du Laboratoire P4 de Wuhan font d’elle un acteur et un témoin de première importance.

Accordons-lui la parole pour nous narrer sa rencontre avec SARS CoV 2 :

«Les mystérieux échantillons de patients sont arrivés à l’Institut de virologie de Wuhan à 19 h le 30 décembre 2019. Quelques instants plus tard, le téléphone portable de Shi Zheng-Li a sonné. C’était son patron, le directeur de l’institut. Le Centre de contrôle et de prévention des maladies de Wuhan a détecté un nouveau coronavirus chez deux patients hospitalisés atteints de pneumonie atypique et il souhaite que le célèbre laboratoire de Shi enquête. Si la découverte était confirmée, le nouvel agent pathogène pourrait constituer une grave menace pour la santé publique, car il appartenait à la même famille de virus que celui qui a causé le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS)… ‘‘Lâchez tout ce que vous faites et traitez-le maintenant’’, se souvient-elle».

«Shi, a quitté la conférence à laquelle elle assistait à Shanghai et a sauté dans le train suivant pour Wuhan. ‘‘Je me demandais si [l’autorité sanitaire municipale] s’était trompée’’, dit-elle. ‘‘Je ne m’étais jamais attendu à ce que ce genre de chose se produise à Wuhan, dans le centre de la Chine.’’ Ses études ont montré que les provinces subtropicales méridionales du Guangdong, du Guangxi et du Yunnan présentent le plus grand risque que les coronavirus sautent aux humains à partir d’animaux – en particulier les chauves-souris, un réservoir connu. Si les coronavirus étaient le coupable, elle se souvient avoir pensé: ‘‘Auraient-ils pu venir de notre laboratoire?’’»

(…)

«Dans le train de retour à Wuhan, le 30 décembre 2019, Shi et ses collègues ont discuté des moyens de commencer immédiatement à tester les échantillons des patients. Dans les semaines qui ont suivi, la période la plus intense et la plus stressante de sa vie, la chauve-souris chinoise a eu le sentiment qu’elle livrait une bataille comme pire cauchemar, comparée à celle qu’elle menait depuis 16 ans. En utilisant la technique appelée réaction en chaîne par polymérase (PCR, en anglais), qui peut détecter un virus en amplifiant son matériel génétique, l’équipe a découvert que des échantillons de cinq parmi les sept patients avaient des séquences génétiques présentes dans tous les coronavirus.

Shi a demandé à son groupe de refaire les tests et, en même temps, a envoyé les échantillons à un autre établissement pour séquencer les génomes viraux complets. Pendant ce temps, elle a parcouru frénétiquement les dossiers de son propre laboratoire des dernières années pour vérifier toute mauvaise manipulation des matériaux expérimentaux, en particulier lors de leur élimination.

Shi poussa un soupir de soulagement lorsque les résultats revinrent: aucune des séquences ne correspondait à celles des virus que son équipe avait échantillonnés dans les grottes de chauves-souris. ‘‘Cela m’a vraiment fait perdre la tête’’, dit-elle. ‘‘Je n’avais pas dormi un clin d’œil depuis des jours’’».

«Le 7 janvier 2020, l’équipe de Wuhan avait déterminé que le nouveau virus avait effectivement causé la maladie dont souffraient ces patients – une conclusion basée sur les résultats d’analyses utilisant la réaction en chaîne de la polymérase, le séquençage complet du génome, les tests d’anticorps d’échantillons sanguins et la capacité du virus à infecter le poumon humain. La séquence génomique du virus, finalement appelée SARS-CoV-2, était identique à 96% à celle d’un coronavirus que les chercheurs avaient identifié chez les chauves-souris en fer à cheval du Yunnan. Leurs résultats sont apparus dans un article publié en ligne le 3 février dans ‘‘Nature’’ (1).

«Il est clair que les chauves-souris, encore une fois, sont le réservoir naturel», explique Peter Daszak , qui n’a pas participé à l’étude».

«De retour à Wuhan, où le verrouillage a finalement été levé le 8 avril, Shi n’est pas d’humeur à célébrer.

Elle est en détresse parce que des articles provenant d’Internet et des principaux médias ont répété une suggestion ténue que le SRAS-CoV-2 avait accidentellement fui de son laboratoire, malgré le fait que sa séquence génétique ne correspond à aucun de ceux que son laboratoire avait étudiés auparavant. D’autres scientifiques rejettent rapidement cette allégation. «Shi dirige un laboratoire de classe mondiale répondant aux normes les plus élevées»(2), déclare Peter Daszak.

Malgré la perturbation, Shi est déterminée à poursuivre son travail. ‘‘La mission doit continuer’’, dit-elle. ‘‘Ce que nous avons découvert n’est que la pointe d’un iceberg.’’ Elle prévoit de diriger un projet national d’échantillonnage systématique des virus dans les grottes de chauves-souris, avec une portée et une intensité beaucoup plus larges que les tentatives précédentes. L’équipe de Peter Daszak a estimé qu’il y avait plus de 5 000 souches de coronavirus à découvrir dans le monde chez les chauves-souris(3)».

* Professeur émérite, mais surtout chercheur comme «éternel apprenant».

Notes :

1) L’article de l’équipe de recherche de Shi Zheng-Li avait soumis à la revue Nature le 20 janvier 2020, accepté le 29 janvier et publié le 3 mars sous le titre : A pneumonia outbreak associated with a new coronavirus of probable bat origin. (20 pages).

2) Peter Daszak préside EcoHealth Alliance, un réseau international de scientifiques et d’éducateurs engagés dans des travaux pour sauver les espèces menacées d’extinction et leurs habitats de l’extinction dans 20 pays à biodiversité élevée. Parmi, les publications de cette Alliance notons celle de 2017 intitulée : ‘‘Global patterns in coronavirus diversity’’..

3) Intitulée : « Global patterns in coronavirus diversity ».

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