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Affaire de la parodie de sourate coranique : Quand l’Etat exerce une tutelle pseudo-morale sur ses citoyens

Une jeune femme tunisienne, Emna Charki, a reçu lundi dernier, 4 mai 2020, une convocation de la part du ministère public. Elle va être auditionnée concernant… le partage d’une publication facebook contenant une critique ironique envers la religion islamique. Un vrai scandale qui remet en question la démocratie en Tunisie, que certains semblent vouloir transformer en Tunistan.

Par Cherif Ben Younès

La publication en question consiste en une parodie de sourate coranique, intitulée « Corona », où son auteur (inconnu) imite le style adopté par le livre saint islamique pour parler, avec humour, de la pandémie du coronavirus. Un genre d’ironie qui ne date pas d’hier chez les non-croyants de culture islamique, puisqu’il y a déjà eu, dans le passé, plusieurs fausses-sourates du même type.

Un célèbre écrivain tunisien, Ezzeddine Madani, avait même écrit, dans les annéés 1970, tout un roman intitulé « L’Homme Zéro », en parodiant le style du Coran. Il a fait grincer quelques dents et suscité des polémiques dans les cercles culturels et religieux, mais cela s’est arrêté là: il a n’a pas eu affaire à la justice.

Une vague d’insultes et de menaces de mort

La publication objet de la convocation d’Emna Charki lui a, par ailleurs, coûté une vague d’insultes et de menaces de mort, par des personnes pour le moins bornées, qui croient qu’elle est l’auteure de la fausse-sourate ou qu’elle n’a tout simplement pas le droit de la partager.

Jusque-là, rien de surprenant. C’est normal qu’il y ait des critiques, notamment ironiques, envers la religion, comme envers n’importe quelle autre idée ou doctrine, et c’est normal aussi que cela provoque une partie d’une société comme la nôtre, profondément endoctrinée et considérant ses croyances comme étant une ligne rouge à ne jamais franchir.

Le problème est que cette fois, c’est l’Etat tunisien qui se soumet à la pression rétrograde de la société et qui s’oppose à la liberté d’expression de ses citoyens. Et là, le dérapage est gravissime et n’augure rien de bon.

En effet, au lieu de chercher à protéger la victime contre les menaces qu’elle reçoit désormais tous les jours, ou à incriminer ceux qui la harcèlent, le ministère publique l’accuse, elle, et la convoque en tant que suspecte !

La constitution tunisienne garantit la liberté de conscience et d’expression

Cela nous rappelle forcément ce qui s’est passé en 2012 avec Jabeur Mejri et Ghazi Béji, les deux athées de Mahdia, qui avaient été jugés pour avoir publié des textes critiquant ironiquement l’islam. Mais si à l’époque, on venait tout juste de sortir de la révolution et que le parti islamiste, Ennahdha, tenait le pouvoir en main, aujourd’hui, rien ne peut justifier de telles pratiques, après tous les paliers qu’on a réussi à franchir pour instaurer une vraie démocratie.

D’autant plus que la constitution tunisienne garantit, noir sur blanc, la liberté de conscience et d’expression de ses citoyens. En fait, pour condamner Emna Charki, la justice ne pourra se baser que sur des lois moyenâgeuses, promulguées par le protectorat français à des fins coloniales.

Des lois qui permettent aux magistrats d’exercer, scandaleusement, une tutelle pseudo-morale sur les Tunisiens en se donnant le droit d’interpréter la conformité de leurs actes avec des notions aussi floues qu’hypocrites, telles que « la pudeur », « les bonnes mœurs » et « la morale publique ».

La convocation reçue par la jeune athée a, par ailleurs, suscité beaucoup d’indignation sur les réseaux sociaux et de la part de la société civile. En cas de poursuites judiciaires, l’affaire sera certainement d’opinion publique.

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