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Le poème du dimanche: ‘‘Corps nocturne’’ d’Elías Nandino

Elías Nandino est un poète mexicain né à Cocula, Jalisco, le 19 avril 1900 et décédé à Guadalajara, Jalisco, le 3 octobre 1993. Tout au long du XXe siècle qu’il aura traversé, il n’aura de cesse d’enrichir la poésie mexicaine.

Enfant, Elías Nandino a grandi dans la religion catholique et a été enfant de chœur. Il a également fréquenté l’école catholique. Il a étudié ensuite la médecine à Cocula et Guadalajara et enfin à l’Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM) à Mexico où il a obtenu son diplôme de chirurgien en 1930. De 1928 à 1934, il a vécu à Los Angeles, où il a effectué son stage médical.

Elías Nandino a été influencé, pour commencer à écrire de la poésie à l’âge de dix-sept ans, par Manuel M. Flores et l’écrivain Manuel Acuña. Il a été publié pour la première fois à l’âge de dix-neuf ans en Bohême, à Guadalajara. À l’UNAM, il a créé la revue «Allis Vivere», où les étudiants pouvaient publier leurs propres poèmes ainsi que de courts écrits. «Allis Vivere» a conduit Nandino à rencontrer Los Contemporáneos («Les contemporains» en espagnol), un groupe de poètes modernistes mexicains. Il a été influencé très tôt par Xavier Villaurrutia et José Gorostiza.

Nandino a travaillé comme chirurgien dans différents hôpitaux pendant la majeure partie de sa vie, au cours de laquelle, il a également écrit de la poésie. Sa première poésie était plutôt sombre, se concentrant sur des sujets comme la mort, la nuit et les rêves. À partir des années 1950, sa poésie devient plus personnelle, tandis que ses poèmes ultérieurs combinent érotisme et métaphysique.

Il a été rédacteur en chef de plusieurs publications et promoteur d’ateliers d’écriture. Au cours des dernières années de sa vie, il a reçu de nombreux prix à la fois pour sa carrière de poète et pour son soutien à la littérature au Mexique, tels que le Prix national de poésie d’Aguascalientes (1979) et le Prix national de littérature (1982). Il décèdera à l’âge de 93 ans.

Quand, la nuit, seul, dans les ténèbres,
fatigué de je ne sais quel épuisement
mon corps s’effondre et s’accommode
à l’impassible surface obscure
qui lui sert d’appui et de linceul,
je m’étends aussi et je me limite
au contour désarmé qui me livre
à l’île de l’oubli où l’on se perd.

Séparé de lui et fondu en lui,
je me souviens que je le porte tout le jour
comme prison de fièvre qui m’opprime,
comme lèvres qui tiennent d’autres discours,
comme instinct qui se moque de mes désirs
ou actions déliées de ma force;
mais à le regarder ainsi, sans le distinguer,
indifférent dans son attitude de pierre,
tigre de bronze, mare de silence,
colonne de cynisme abattue,
figure aveugle dans sa leçon de mort :
je le vois comme une chair intruse,
comme mal d’une plaie étrangère,
complice d’un destin que je ne comprends pas,
mutisme qui n’atteint pas ma parole,
bourreau dans l’anesthésie séquestré.
Et pour cela à me sentir divisé de lui,
et à la fois de son moule prisonnier,
j’analyse, je doute, je réfléchis
que ses murs chétifs qui me cernent
sont flamme orpheline, terre spoliée,
eau assujettie à des veines submergées,
et humeur sans air arraché au vent ;
je suis prisonnier d’éléments
en combustion profonde qui cherchent
à fondre les maillons qui les unissent
afin de retrouver la pureté intacte
du lieu universel où ils étaient libres:
la terre demande son repos à la terre,
l’air, son acrobatie diaphane,
le feu, le délice de sa flamme,
et l’eau, la blancheur de son givre,
sa voie ou le prodige d’être nuage.

À son côté, ailé mais enraciné,
je le touche, je l’examine du dedans :
intérieur d’une église ensanglantée,
arcs gothiques, jungles musculaires,
pulsion entrelacée de lierres,
labyrinthe de clarté, de coquelicots,
entrailles de cryptes où se dissimule
la numérique blancheur du squelette.
Et moi, en plein milieu, juge et coupable,
envahisseur rebelle et envahi,
voir qui découvre et se découvre,
unité qui contemple ses parties,
questionnement privé de réponse,
spectateur qui souffre en son propre sang,
usure corporelle de qui lui viennent
ses réserves croissantes d’agonie.

Si je suis son maître, pourquoi me semble-t-il étrange au toucher ?
Détaché de moi, ombre d’un arbre,
écorce suffocante de mon angoisse,
pansement qui me dissimule, étaie fragile,
aimant qui me réunit et me diffuse,
matière que je porte et qui m’emporte.
Et je suis en lui, présent inévitable,
uni dans le monologue de et l’attente,
grandi malgré lui et trahi
par ses mains, ses yeux, ses passions,
la brûlante angoisse de ses délires,
la brume de ses moments de naufrage
et les éclairs de son allégresse.

Du dedans au dehors, de la racine au faîte,
je m’appuie, je me soulève, je largue mes forces
pour creuser, pour terminer les murs
qui survivent de me garder prisonnier;
las, un amour naît en moi et me retient,
un fanatisme du refuge vital
l’attachement de l’âme et des cellules,
l’intimité de la forme et du fond,
accouplant leurs aveugles surfaces ;
et je me résigne, paisible
dans la prison ajustée qui m’épouse
afin de continuer de former le nœud de fièvre
par lequel je sais qu’en vérité je suis.

Eau, terre, feu et air, en continuelle
aspersion de leurs cajoleries chimiques
immergés dans la fougue de leurs appétits,
dans un enchaînement caché d’élans,
ordonnant et aspirant leurs limites,
faisant et défaisant ce qu’ils tracent,
se dévorant eux-mêmes, recréant
la seule valeur de leur structure
en oppositions, attirances et obstacles
parce qu’ils aiment, désirent, cherchent, bâtissent
l’agir persistant qui les rend
à leur forme d’origine.

Cette unité d’éléments, ce nid
de luttes physiques, d’incessantes
réactions, est mon seul appui,
la source tragique de la force
qui me soutient au fond de mes soliloques.

Traduit de l’espagnol par Nicole Martel.

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