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Pour remédier au malaise au travail, changeons notre idée du bonheur !

Le sentiment de malaise en général et de malaise dans le travail est un phénomène fort répandu et il s’aggrave lors des périodes de crise, comme celle provoquée récemment par la pandémie de la Covid-19. Aussi doit-on l’appréhender des ponts de vie de la psychologie sociale et de la sociologie du travail.

Par Mohamed Habib Selmouna *

Et si le sentiment répandu de «malaise au travail» venait aussi de ce que la représentation du bien-être au travail a changé ? Il en va peut-être du bien-être au travail comme du bonheur. Plus les conditions de vie sont bonnes, et plus les gens ont conscience de leur éventuel malheur. Dans un contexte de progrès social, d’amélioration des conditions de travail pour le plus grand nombre, le niveau d’exigence est sans doute plus grand.

Les causes du malaise

Ainsi Philippe Askenazy, économiste de renom, directeur de recherche au CNRS et professeur associé à l’Ecole d’économie de Paris, a remarqué qu’une population de femmes de ménage effectuant strictement le même travail exprimait une plus grande souffrance en 2019 qu’en 2012, et que déjà en 2012, cette population était bien plus malheureuse qu’en 2005.

N’oublions pas que le bonheur est avant tout lié à la représentation qu’on s’en fait. «Il est probable qu’une part de l’expression du malaise professionnel résulte de l’amélioration des standards de vie au travail», résume Askenazy dans une conférence intitulée «Repenser les conditions de travail : coût ou investissement ?», dont l’enregistrement est disponible sur le site Les Matinales de Stimulus.

Le sentiment de malaise peut également être lié à l’amélioration du niveau d’éducation, qui crée inévitablement des attentes plus fortes. Ainsi, à niveaux d’études égaux, les jobs ne sont plus les mêmes que jadis. Il y a cinquante ans, un simple bachelier devenait cadre, avec un emploi solide. Aujourd’hui, il se trouve employé dans une chaîne d’hypermarchés, avec un poste peu assuré.

Enfin, l’allongement de la durée des études jouerait aussi un rôle. Plus on entre tard sur le marché de l’emploi, plus on recherche de bonnes conditions de travail. Le bac + 3 de 22 ans a une idée plus précise de ce qu’est pour lui le bonheur au travail que le gamin qu’on plaçait en apprentissage à 13 ans.

Les armes anti stress

Lutter contre le stress est un bon moyen de prévenir la déprime au travail. A ce propos, Patrick Légeron, docteur en médecine, psychiatre et titulaire d’un post-doctorat de l’Université de Californie, donne les conseils suivants dans son ouvrage ‘‘Le stress au travail’’ (éditions Odile Jacob).

D’abord savoir se relaxer : il existe pour cela différentes techniques (training autogène de Schultz, relaxation musculaire de Jacobson, etc.).

Plus original : apprendre à «raisonner différemment», écrit le psychiatre. Et de citer cette phrase du philosophe Alain : «Il suffit de se croire esclave pour l’être en effet.» En prenant conscience de notre «discours intérieur», de ces «pensées automatiques» qui se produisent instantanément en nous sans que nous les contrôlions et qui sont souvent négatives ou anxiogènes, nous pouvons échapper à leur influence.

C’est un peu la thèse développée par le célèbre psychologue, psychothérapeute, psychanalyste et sociologue Paul Watzlawick dans son ouvrage ‘‘Faites vous-même votre malheur’’, paru en 1983 et qui eut beaucoup de succès à travers le monde.

D’une façon générale, ce sont nos perceptions de la réalité, forcément limitées par nos sens, notre manière de ressentir les choses, qui induisent les difficultés dans nos relations à autrui et nos façons de communiquer, explique Watzlawick. Il ajoute : «Un patient est donc enfermé dans une construction systématisée, qui constitue son monde à lui. Dès lors la thérapie va consister à tenter de changer cette construction.»

Les comportementalistes développent maintes techniques pour se débarrasser de ces «distorsions cognitives». «S’affirmer face aux autres», savoir dire non, connaître ses droits et ses devoirs sont aussi, selon Patrick Légeron, des manières de résister au stress. Mais c’est plus facile à écrire dans un ouvrage de conseils qu’à mettre en pratique sur un lieu de travail, admet-t-il cependant.

Eviter surtout l’isolement

La déprime au travail a des origines tellement diverses qu’il n’existe pas de prévention unique. Si elle provient d’un sentiment d’insécurité ou de menace sur l’emploi, le recours à la protection d’un syndicat ou d’un avocat peut être un remède.

D’une manière générale, quelle que soit la situation, il faut à tout prix éviter l’isolement, source majeure de malaise. Dans le cas de conditions de travail intolérables, il existe des possibilités d’action : syndicats, inspection du travail, médecine du travail… D’autant que les employeurs ont de plus en plus conscience que le mal-être au travail n’est pas bon pour l’entreprise. D’ailleurs, partout dans le monde, les entreprises de production font appel à des psys et à des ergonomes. La lutte contre le malaise professionnel est en passe de devenir de plus en plus l’affaire des dirigeants soucieux d’assurer les meilleures conditions de productivité pour leurs salariés.

* Enseignant de français.

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