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Salma Baccar à propos de Lotfi Abdelli: «L’art c’est l’art et la vulgarité c’est la vulgarité»

Dans cette «Lettre ouverte à mon amie Leila Toubel», l’auteure, cinéaste de son état, réponde à l’article de la dramaturge et comédienne publié par Kapitalis «Ce qu’a dit Lotfi Abdelli sur Abir Moussi est abject , mais non à la censure !».

Par Salma Baccar *

Chère Leila, j’ai toujours lu avec délectation tous tes posts et j’ai toujours applaudi à tous ce que tu a écris car je partage toutes tes idées et je suis pleine d’admiration pour ton franc-parler et ton courage, mais aujourdhui et pour la première fois je trouve que tu fais un amalgame curieux entre des événements et d’autres et que tu mélanges les serviettes et les torchons de cuisine.

Avant de poursuivre je tiens, par respect pour l’histoire, à rappeler que j’étais vice-présidente de la Commission droits et libertés à l’Assemblée nationale constituante (ANC) qui a discuté et rédigé le fameux article 42 concernant le droit libre à la création artistique. Bien sûr, je n’étais pas seule et des militants valeureux comme Sid Ahmed Brahim, Selma Mabrouk, Hasna Marsit, Feu Abdelkader Ben Khemis, Mourad El Amdouni et même Brahim Kassas, quand il se la jouait progressiste moderniste, se sont tous battus dents et griffes pour aboutir à ce fameux article 42. Même que Hasna Marsit et moi, toutes deux membres du bureau, avions menacé d’en démissionner si Farida Laabidi and Co (députés du parti islamiste Ennahdha, Ndlr) n’acceptent pas d’auditionner Fadhel Jaïbi qui a fait une intervention magistrale concernant l’acte de création et la censure. Tout cela au beau milieu des événements d’El-Abdellia.

Mais si un jour quelqu’un m’avait dit que toutes ces luttes serviraient un jour de prétexte pour qu’un pseudo humoriste s’en serve pour insulter toutes les femmes tunisiennes dans ce qu’elles ont de plus intime, je crois que j’en serais morte de honte.

J’aime Lotfi Abdelli, l’homme et l’acteur, mais pas son humour

Revenons maintenant à Lotfi Abdelli qui dans l’intimité est le garçon le plus doux, le plus gentil et le plus généreux que j’ai connu. Il a accepté de jouer gratuitement, pendant trois jours dans un court métrage de Chiraz Bouzidi, Dieu ait son âme, que j’ai produit. Quand il a entendu dire que je faisais le casting de mon film ‘‘El-Jaida’’, il m’a téléphoné pour me proposer de faire même le figurant, je lui ai inventé un petit rôle de fellag que nous avons développé ensemble et qu’il a magistralement interprété. Toujours gratuitement et je lui en suis éternellement reconnaissante.

Par contre, je n’ai jamais vu un seul de ses spectacles sur scène, même pas le soir où je l’ai programmé au festival du Boukornine, quand j’en étais la directrice : après l’avoir royalement reçu, je m’étais éclipsée. Il m’a souvent demandé en rigolant : «Tu ne viens jamais voir mes spectacles ?» Ce à quoi je répondais : «Excuse-moi, je n’aime pas ton humour».

Alors SVP, je vous en conjure, ne vous laissez pas aujourd’hui aveugler par la haine et la peur du retour du RCD (que je partage) et qui est symbolisé par Abir Moussi avec qui personnellement je ne partage que sa haine des islamistes et des terroristes. Et si un jour par malheur c’est elle qui détiendra le pouvoir ça ne sera ni sa faute ni celle des islamistes mais seulement la nôtre, nous la gauche, nous les progressistes, qui n’avons pas réussi à nous unir à cause des egos de nos leaders.

Il n’y a pas eu de censure mais un boycottage, et ça n’a rien à voir avec la liberté d’expression

Maintenant à propos de «censure», on mot que tout le monde répète à tort et à travers. On parle de censure quand il y a une décision des autorités de tutelle ou de la justice ou de la police pour interdire un spectacle. À mon humble connaissance, je n’ai pas lu un seul mot venant du ministère, ou de la justice ou de la police qui concerne cet événement (le one man show de Lotfi Abdelli déprogrammé dans certaines villes, Ndlr). Il y a une majorité de Tunisiens qui ont appelé au boycottage et certains directeurs de festivals régionaux ont décidé d’annuler le spectacle. Alors qui censure qui ?

Toujours à propos de censure, ne vous inquiétez pas le jour où elle essayera de s’abattre pour de bon sur un de nos travaux, nous serons de nouveau tous là unis pour défendre l’œuvre, la vraie !

Je poursuis en affirmant que si Lotfi avait parlé du slip d’Amina Zoghlami, Meherzia Laabidi, Samia Abou ou d’une illustre inconnue, je jure sur la tête de mes enfants, que ma réaction aurait été la même. C’est ce que j’ai fait avec Brahim Gassas, quand il a parlé de la culotte de Meherzia Laabidi et je l’ai obligé à lui présenter des excuses, alors qu’à l’époque Meherzia Laabidi et moi on ne s’adressait même plus la parole.

Alors, encore une fois, apprenons à faire la part des choses et appelons les choses par leurs vrais noms : l’art c’est l’art et la vulgarité c’est la vulgarité.

Chère Leila, tu as terminé ton article par le mot «colère», moi je tiens à te faire une confidence, au risque de choquer certains : le jour ou j’ai entendu cette histoire de culotte de femme tellement sale à être découpée au sabre, je me suis précipitée au toilettes pour vomir mes tripes, puis je me suis assise sur la cuvette et je me suis mise à me laver, à me laver avec un gel intime, puis j’ai changé de slip au milieu de la journée alors que je venais de le faire dans la matinée et j’ai lavé celui que je portais avec de l’eau de javel, ce que je ne fais jamais car l’eau de javel est nocif pour la peau, à tel point je me suis sentie souillée dans mon corps de femme.

* Constituante, cinéaste et activiste politique.

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