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Mali : fin de partie pour IBK

Ibrahim Boubacar Keïta démissionne pour épargner à son pays «l’effusion de sang».

Malgré l’intercession de ses pairs de l’Afrique de l’Ouest pour le sauver, le soldat IBK a dû jeter l’éponge devant une mutinerie, qui s’est transformée en coup d’Etat militaire, reprenant à son compte des revendications politiques et sociales qu’il ne voulait pas assumer.

Par Hassen Zenati

L’affaire s’est jouée en moins de vingt quatre heures. Commencée mardi vers dix heures du matin par une révolte dans une garnison proche de la capitale Bamako, elle a rapidement évolué en mutinerie à huis clos, pour finir aux environs de minuit par un coup d’Etat en règle et le limogeage du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Arrêté à son domicile par les mutins qui avaient investi un à un les quartiers de la capitale, ne lui laissant aucune échappatoire, il est apparu à la télévision défait, le visage à moitié mangé par un masque chirurgical, les yeux hagards, s’en remettant «à Allah le tout-puissant pour qu’il vienne en aide et sauve le Mali».

Auparavant, il avait remis sa démission aux nouveaux maîtres du pays, démis le gouvernement et dissout l’Assemblée nationale, en expliquant que s’il jette l’éponge, c’est uniquement pour épargner à son pays «l’effusion de sang».

Dans le schéma classique d’un coup d’Etat à l’africaine

Dans la foulée, les nouveaux hommes forts du pays, dont on connaît peu de choses pour l’instant, ont appelé à une «transition politique civile», et promis des élections dans un «délai raisonnable». «Nous, forces patriotiques regroupées au sein du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avons décidé de prendre nos responsabilités devant le peuple et devant l’histoire», a déclaré sur la télévision publique ORTM, celui qui a été présenté comme le porte-parole des militaires, le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air. Le précédent coup d’Etat au Mali date de 2012, avec le même canevas.

On est bien dans le schéma classique d’un coup d’Etat à l’africaine, dont les conséquences restent incertaines, alors que les pays de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) étaient impliqués dans une laborieuse «médiation» entre le pouvoir et l’opposition, que la France s’inquiète pour ses 5.500 soldats de la force Barkhane, engagée contre les jihadistes du Nord-Mali, et que l’Algérie, qui a une longue frontière avec ce pays, suit avec une attention soutenue une situation, qui peut à tout instant évoluer en drame. Les chefs d’Etat de la Cédéao doivent se réunir par vidéoconférence pour examiner la situation à la suite du coup d’Etat. Ils ont décidé dans un premier temps de fermer leurs frontières avec le Mali, afin de prévenir toute contagion.

Le «mandat de trop» d’IBK

À 75 ans, élu la première fois en 2013, réélu en 2018, IBK aura fait le «mandat de trop», passant aux côtés des problèmes de fond submergeant son pays : la rébellion endémique des Touarègues du Nord, l’intégration économique et sociale des vastes régions déshéritées du pays, la professionnalisation de l’armée et sa réorganisation, le développement économique du Mali.

Depuis plusieurs mois des manifestants de l’opposition sillonnaient les rues en réclamant des «changements démocratiques». Ils se sont heurtés à une forte répression qui a fait plusieurs dizaines de victimes, et radicalisé le mouvement. Le 10 juillet, la troisième grande manifestation contre le pouvoir a dégénéré en trois jours en troubles meurtriers à Bamako, les pires qu’à connus la capitale depuis 2012. Ils ont fait 11 morts, selon le Premier ministre Boubou Cissé. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma – 15.000 hommes) parle de 14 manifestants tués. La principale coalition d’opposition le Mouvement du 5 juin du Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RPF) parle pour sa part de 23 morts. Les larmes aux yeux, IBK a expliqué qu’il avait œuvré depuis son élection en 2013 «à redresser le pays, donner corps et vie à l’armée malienne», de toute évidence sans convaincre.

Les pays de la Cédéao, qui ont engagé une médiation entre le pouvoir et l’opposition, pour contenir la contestation ont vu leurs propositions rejetées par les adversaires les plus résolus d’IBK, notamment le M5-RPF. Ils ont expliqué avoir «constaté avec regret, que les recommandations de la Cédéao ne tiennent pas compte de la profondeur et de la gravité de la crise et ne correspondent aucunement aux attentes et aspirations du peuple malien». Réfutant les conclusions de la Cédéao, «ramenant la crise à un simple contentieux électoral de deuxième tour du scrutin législatif» – à l’origine de la contestation –, ils ont exigé au préalable la démission d’IBK et appelé le «peuple malien à demeurer mobilisé et déterminé pour la mise en œuvre de son droit constitutionnel à la désobéissance civile». Ils ont dénoncé «les conséquences catastrophiques de la mauvaise gouvernance du président Keita, les violations récurrentes de la Constitution de son fait et sous son magistère, la confiscation des principes républicains garantissant l’alternance démocratique, en méconnaissance totale du Protocole de la Cédéao sur la démocratie et la bonne gouvernance».

Dirigée par l’imam Mahmoud Dicko, la coalition est qualifiée d’islamiste par le pouvoir d’IBK, un qualificatif utilisé comme «un épouvantail islamo-terroriste, selon elle, pour diluer les revendications populaires républicaines et divertir le peuple malien qui a, depuis des siècles, opté pour la tolérance religieuse et la laïcité».

Les 15 présidents de la Cédéao avaient appelé les Maliens à «l’union sacrée» pour régler la crise qui ébranle leur pays depuis juin, en affirmant craindre une déstabilisation du Mali, qu’ils considèrent comme l’épicentre de la menace jihadiste au Sahel. La médiation a été rejetée aussi par la Plateforme pro-Bamako et la Coordination des mouvements Azawad, qui revendiquent l’autodétermination et la création d’un état indépendant au Nord-Mali. En quelques semaines, IBK s’est retrouvé seul, isolé, au milieu d’une contestation populaire grandissant, qui avait commencé il y trois ans par la dénonciation du comportement de soldats français de Barkhane dans les quartiers pauvres du pays.

La France est totalement coincée

À Paris, l’inquiétude est grande. Pour l’instant, la force Barkhane n’a pas été remise en cause par les responsables du putsch, qui ont affirmé au contraire, leur volonté de respecter les accords internationaux et de travailler dans le cadre du partenariat franco-malien de lutte contre le jihadisme au Sahel. Cependant, la donne politique ayant changé des évolutions peuvent survenir pour aboutir à un ajustement de ces accords militaires et revoir au moins partiellement le partenariat actuel. «Pour la France, ce sera extrêmement compliqué de se maintenir», croit diagnostiquer un expert de l’Afrique, Antoine Glaser. «La situation est bloquée et la France est totalement coincé», ajoute-t-il.

La crise malienne, récurrente depuis des décennies, mais relativement bien contenue, s’est soudainement aggravée après l’intervention de l’Otan, conduite par Paris, en Libye. Un flux d’armes s’est déversé de ce pays sur l’ensemble du Sahel, en plus du retour de milliers de soldats subsahariens entretenus par le régime de Mouammar Kadhafi, dont la plupart sont allés conforter les groupes jihadistes contre le pouvoir central.

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