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Tunisie – Union européenne : face à la crise, l’Aleca peut attendre

Face à la crise actuelle, l’Etat tunisien est pris à la gorge et ne parvient pas à améliorer l’état de ses finances publiques, ni à relancer sa machine de production, ni à impulser l’investissement, ni à réduire ses déficits structuraux. Aussi, s’engager dans l’Aleca sans filet pourrait-il aggraver la situation générale dans le pays et détériorer davantage ses fondamentaux économiques.

Par Atef Hannachi

La Tunisie a conclu un accord de libre échange avec l’Union européenne depuis 1995. Ce traité prévoit la libéralisation progressive et totale entre les parties du commerce de marchandises, des services, des capitaux et des marchés publics.

En retour, la Tunisie a exigé une période de préparation de son tissu économique pour pouvoir faire face à la concurrence, une préparation non-achevée puisque l’industrie tunisienne, entièrement ouverte depuis 2008, demeure encore non prête, malgré un programme spécifique de mise à niveau soutenu par l’UE ayant bénéficié à de nombreuses entreprises industrielles.

Protéger le pays contre les conséquences de l’Aleca

Aujourd’hui, le projet d’un Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) avec l’UE, «complété» par les services et les produits agricoles, secteurs très vulnérables car peu concurrentiels, suscite de fortes oppositions en Tunisie, notamment parmi les partis de gauche, les syndicats et les branches professionnelles pouvant être fortement impactées par une ouverture élargie des frontières.

C’est ainsi que l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), le grand syndicat du pays, a officiellement lancé, le 23 mai 2019, une structure destinée à lutter contre cet Aleca. Il s’agit d’une «Coordination nationale de lutte contre l’Aleca», qui regroupe aussi l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap) et plusieurs organisations de la société civile, et a pour principale mission de «protéger le pays des conséquences graves de la signature de l’Aleca sur l’économie tunisienne notamment les secteurs de l’agriculture et des services».  

Rappelons que l’UE est le premier partenaire commercial de la Tunisie. En effet, plus de la moitié des échanges commerciaux de notre pays se fait avec le vieux continent (63,4%). En 2015, l’UE a absorbé 74,5% des exportations tunisiennes et a représenté 55,7% de ses importations. La France, l’Italie et l’Allemagne absorbent à elles seules 78,1% de nos exportations vers l’Europe. C’est dire la position difficile de notre pays qui a toujours avancé dans la négociation sans armes et, surtout, ce qui est plus grave, sans conviction : un pied en avant et deux pieds en arrière.    

Toutefois, l’Europe, à la recherche de nouveaux vecteurs de croissance pour ses activités agricoles et de service, est pressée de voir l’accord appliqué par la Tunisie et elle n’hésite pas à utiliser son poids économique et politique pour vaincre les hésitations qui s’expriment de plus en plus tapageusement au sud de la Méditerranée.

Les changements politiques en Europe après les élections du Parlement européen et la tenue des élections tunisiennes fin 2019 ont certes eu pour effet de retarder l’achèvement de la négociation et la signature de l’accord, pourtant initialement prévue cette année. Et avec la crise de la pandémie de la Covid-19, qui semble s’installer pour encore longtemps, l’échelle des priorités et des urgences a momentanément changé, ce qui permet aux Tunisiens de respirer, tout en sachant qu’ils devront, dans les prochains mois, reprendre le chemin de la table des négociations, avec un gouvernement changé à deux reprises en six mois, ce qui ne facilitera guère les choses.

C’est là, on l’imagine, un autre sujet important auquel le nouveau gouvernement va devoir s’atteler pour ne pas être brusqué par une reprise rapide des négociations sans y être suffisamment préparé, la situation économique dans le pays s’étant grandement détériorée entre-temps.

Pour une révision rigoureuse des termes de l’accord

L’analyse des carences du tissu économique tunisien prouve s’il en est besoin l’échec de la plupart des plans de réforme, mal (ou pas) mis en œuvre, même ceux élaborés en partenariat avec le Fonds monétaire international (FMI), qui tardent à apporter leurs fruits.

Dans ce contexte où l’Etat tunisien est pris à la gorge et ne parvient pas à améliorer l’état de ses finances publiques, ni à relancer sa machine de production, ni à impulser l’investissement, ni à réduire ses déficits structuraux, s’engager dans l’Aleca sans filet pourrait aggraver la situation générale dans le pays et détériorer davantage les fondamentaux de notre économie. Aussi une révision rigoureuse des termes de l’accord au regard des dernières évolutions est-elle nécessaire pour protéger certains domaines stratégiques. L’Etat tunisien aurait aussi intérêt à évaluer l’impact de ce traité et à établir une stratégie de mise en place, qui ne bouleverse pas les bases de l’économie nationale, sans en attendre au retour un bénéfice réel, fut-ce à moyen terme.

* Expert comptable.

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