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Tunisie : une économie asphyxiée par ses banques et politiques monétaires

C’est toute une révélation! Le plus récent rapport de la Banque mondiale (BM) sur l’économie tunisienne pour 2020, publié le 17 septembre, démystifie, chiffres à l’appui, l’ampleur des dégâts économiques occasionnés par une politique monétariste restrictive et très défavorable au financement des entreprises et investisseurs. Le rapport montre que l’inaccessibilité aux financements bancaires est désormais plus dévastatrice que la corruption, que l’instabilité politique ou encore que le secteur informel. Explication…

Par Moktar Lamari, Ph. D.

Ce rapport en anglais, avec toutes les micro-données liées sont accessibles, pour changer la donne en remettent en question les constats ruminés ici et là par le discours des élites politiques et des économistes ayant pignon sur rue avec les gouvernements de la Tunisie post-2011.

L’inaccessibilité du financement, c’est pire que tout!

Les données de la Banque mondiale sonnent comme un aveu d’échec de la politique monétaire actuellement menée en Tunisie.

Ces données factuelles sont collectées par des spécialistes des sondages ayant interrogé des propriétaires et de hauts dirigeants d’un échantillon d’entreprises rencontrées les derniers mois et semaines en Tunisie.

L’échantillon tient compte de tous les secteurs d’activité, toutes les tailles des entreprises et toutes les régions géographiques en Tunisie. Aucun doute sur la qualité du sondage, la rigueur des analyses et la validité du questionnaire utilisé.

Les enseignements procurés par ces données confirment ce que plusieurs redoutaient : les contraintes de financements sont désormais plus graves que toutes les autres contraintes : corruption, instabilité politique, économie informelle… Le tableau suivant chiffre ces nouvelles évidences et vient déstabiliser tout un discours politique erroné au sujet des problématiques rencontrées par les entreprises et les investisseurs.

Les données de la Banque mondiale sont alarmantes! Les investisseurs et les entreprises déclarent, dans des proportions fortes, que l’accès aux financements bancaires constitue leur principal problème et entrave pour survivre et pour performer. Ils déplorent que ces contraintes de financement réduisent fortement leur capacité à renouveler leurs équipements, innover leurs produits, conquérir des marchés et surtout créer de la croissance et de l’emploi.

Les opérateurs économiques reconnaissent aussi que la corruption arrive loin derrière les problèmes d’accès aux financements. L’instabilité politique arrive en troisième position sur la liste des contraintes rencontrées par les investisseurs. Étonnamment, le secteur informel arrive 4e dans le classement des contraintes rencontrées. Pour ces 4 catégories de contraintes, les données montrent que la Tunisie se fait dépasser par les autres pays du Maghreb et du Moyen-Orient.

Implications pour la politique monétaire

Déjà pointée du doigt depuis déjà 3 ans, la politique monétaire est désormais reconnue responsable des problématiques de financements des entreprises. La Banque centrale de la Tunisie (BCT) est donc responsable de l’aggravation de la contraction des investissements en Tunisie.

Avec une politique monétaire restrictive, et basée sur des taux d’intérêt directeurs très élevés (6,75%-7,75%), la BCT ne rend pas service à l’économie et contribue au démantèlement des secteurs créateurs d’emplois, qu’ils soient industriels, agricoles ou de services.

Pis, de telles politiques monétaires contribuent à l’édification d’un marché monétaire imparfait, peu concurrentiel et incapable de financer les besoins de financement des opérateurs économiques.

Par de telles politiques monétaires, les taux d’intérêts bancaires se trouvent haussés artificiellement, pour se situer dans des plages allant de 10 à 13% en moyenne. Les banques commerciales et les banques publiques du pays se trouvent complices et agissent en cartel pour optimiser leur profit au détriment des entreprises, des investisseurs et aussi des consommateurs (demande).

L’inflation, identifiée comme le mal à endiguer, est dans le contexte tunisien mal estimée, surestimée et instrumentalisée pour permettre à la BCT de maintenir très haut son taux directeur : 6,75% en Tunisie, contre 1,5% au Maroc, 2% en Jordanie, presque 0% dans les pays de l’Union européenne.

Malgré la pandémie de la Covid-19, la BCT n’a pas changé de stratégie et continue à financer les banques à des taux élevés, pour que ces mêmes banques prêtent ces montants à l’État, en récupérant sans effort une rente de situation de 3%.

Trois effets pervers sont liés à de telles politiques monétaires et aux difficultés de financement des entreprises et des industries.

Un : les sommes prêtées au gouvernement réduisent les liquidités sur le marché monétaire, détournant les rares ressources financières pour payer les salaires des fonctionnaires de l’État au détriment des entreprises et des investisseurs, véritables créateurs de la richesse et de l’emploi. Un effet d’éviction très dommageable pour l’accès aux financements par les entreprises et par les investisseurs.

Deux : la trentaine de banques installées en Tunisie engrangent des profits colossaux, croissants (10 à 15% par an) et éthiquement injustifiés, et ce par comportements de collusion, peu concurrentiels, alors que la crise économique bat son plein, dans tous les secteurs et toutes les régions. Le tout se fait sous la houlette de la politique monétaire diligentée unilatéralement par la BCT.

Trois : alors que les banques centrales de par le monde, multiplient les plans d’aide pour les entreprises et les investisseurs, la BCT s’enferre dans un dogmatisme monétariste, trop obnubilé par la lutte contre l’inflation et aveuglé quand il est question des urgences de la relance économique par l’investissement et l’aide aux entreprises.

En conclusion, il convient de souligner que la Banque mondiale tire la sonnette d’alarme, pour éviter que l’économie tunisienne sombre davantage dans la déchéance économique et sociale. Les précédents rapports de la Banque mondiale insistaient davantage sur le danger de la corruption, les risques de l’instabilité politique et les ravages du marché informel. Ce rapport change la donne, en mettant de l’avant les difficultés du financement des entreprises et de l’investissement.

Les élus du peuple, les décideurs et les autorités monétaires doivent tirer les conclusions et agir en conséquence. Le tout pour sortir la Tunisie de son marasme économique. Le secteur bancaire doit sortir de sa situation de rentier, la BCT doit se détacher de son dogmatisme monétariste suranné, doit évaluer ses politiques à l’aune des résultats (et pas des objectifs). Le gouvernement et les élus du peuple doivent se pencher sur les blocages monétaires, les collusions financières qui empêchent les entreprises d’investir pour créer de la richesse…et de l’emploi durable.

* Universitaire au Canada.

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