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La société civile tunisienne déplore «une rentrée parlementaire alarmante»

Dans un communiqué de presse diffusé aujourd’hui, mardi 6 octobre 2020, plusieurs associations et organisations de la société civile déplore ce qu’elles ont qualifié de «rentrée parlementaire alarmante». Nous reproduisons ce communiqué ci-dessous, ainsi que la liste des parties signataires.

Les incidents menaçant la dignité, les droits et libertés des citoyens se succèdent dans un contexte politique étouffant marqué par l’absence d’initiatives en faveur de la construction de l’État de droit et de la consolidation de ses institutions.

C’est dans ce contexte de crise que le bureau de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a décidé de renvoyer plusieurs projets de loi dangereux à l’attention de la plénière, et ce, dans un temps record.

Les associations signataires expriment leur rejet de ces initiatives qui portent clairement atteinte à l’État de droit et aux fondements de la démocratie.

Nos associations réitèrent tout d’abord leur rejet du projet de loi sur la protection des forces de sécurité intérieure et de la douane qui menace toujours les droits et libertés des citoyen.ne.s malgré les amendements dont le texte a fait l’objet depuis 2015. Elles condamnent la tentative d’adopter ce projet de loi quelques mois avant le dixième anniversaire de la Révolution et considèrent que ledit projet représente une grave menace pour la paix sociale et l’équilibre du système juridique. Il reflète en effet des intérêts sectoriels et vise à instituer un code pénal parallèle qui viole plusieurs principes fondamentaux : le principe d’égalité des citoyens devant la loi, le principe de clarté et précision des dispositions pénales et le principe de proportionnalité entre l’acte criminel et la sanction imposée. Il contredit par ailleurs les principes fondamentaux régissant le recours à la force par les forces de l’ordre et constitue ainsi un obstacle à la mise en place d’un secteur de sécurité véritablement républicain. A cela s’ajoute l’immunité que le texte garantit à un corps sécuritaire dont la reforme et la redevabilité tardent toujours, allant ainsi à contre-courant de toutes les demandes et propositions liées à la réforme du secteur de la sécurité.

Nos associations considèrent également que la révision de la loi organique sur la Cour constitutionnelle à travers la diminution de la majorité requise pour élire ses membres constitue un risque sérieux pour le devenir de cette institution indispensable à la transition démocratique. La légitimité de la Cour constitutionnelle repose sur son indépendance, sa neutralité et son intégrité. L’indépendance de la Cour constitutionnelle requiert que ses membres soient élus à la majorité renforcée. Nos associations estiment en outre que les différents blocs parlementaires à l’ARP sont responsables du retard dans la mise en place de la Cour.

Nos organisations alertent dans le même sens sur les dangers posés par la révision du décret n°116 relatif à la liberté de la communication audiovisuelle. En réduisant la majorité requise pour l’élection de ses membres, cette révision menace l’indépendance et l’impartialité de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica). Il y a ainsi un risque que la scène médiatique soit exposée aux tensions politiques et instrumentalisée à des fins partisanes.

La discussion de ces textes coïncide avec la mise à l’agenda parlementaire du projet de loi sur l’état d’urgence. Nos associations rappellent que l’état d’urgence est prorogé sans interruption depuis 2015, en contradiction avec le concept même d’état d’urgence. Ce projet est problématique à plusieurs égards. Il ne prévoit pas l’intervention de l’ARP ni de la Cour constitutionnelle pour contrôler le bien fondé et la légalité de la déclaration de l’état d’urgence et sa prorogation. Il ne garantit pas non plus l’exercice d’un contrôle juridictionnel indispensable pour protéger les droits et libertés contre toute atteinte arbitraire de la part du pouvoir exécutif.

Ces initiatives législatives menacent le processus démocratique et contreviennent aux principes de la révolution. Elles coïncident avec l’escalade des atteintes à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Dans ce contexte, nos associations sont surprises par la position du Président de la République sur la peine de mort qui va à l’encontre des promesses et engagements internationaux de la Tunisie. Dans un contexte global de recul des droits humains et d’atteintes répétées à la dignité humaine, nous lançons un appel au pouvoir judiciaire pour qu’il défende son indépendance et assume ses responsabilités face à l’exacerbation de l’impunité.

Toutes ces problématiques sont liées au processus de justice transitionnelle. A cet égard, nos associations rejettent fermement l’initiative législative proposée par le bloc du Parti destourien libre, le 25 septembre dernier. Elle vise en effet à saper le processus de justice transitionnelle.

D’une part, en empêchant les Chambres spécialisées de mettre en cause la responsabilité et d’assurer la redevabilité des auteurs de violations des droits humains et de crimes financiers commis à l’encontre des citoyens et de l’État pendant plus de six décennies.

D’autre part, en ôtant toute autorité au travail de l’Instance Vérité et Dignité telle qu’actuellement garantie par l’article 70 de la loi 53-2013. En cas d’adoption de ce projet de loi, la conséquence en serait la perpétuation de la culture d’impunité et la réduction à néant des droits de dizaines de milliers de Tunisiens à connaître la vérité et à préserver la mémoire nationale.

Nos associations demandent au Président de la République de faire cesser la mise en œuvre de textes juridiques inconstitutionnels tels que l’actuel décret-loi sur l’état d’urgence.

Nous renouvelons enfin notre appel au Premier ministre et à l’Assemblée des représentants du peuple pour qu’ils accélèrent la mise en œuvre des réformes nécessaires, en particulier celles relatives au secteur de la sécurité. Elles appellent en particulier les députés à rejeter le projet de loi sur la protection des forces de sécurité intérieure et de douane et à élire des membres de la Cour constitutionnelle à une majorité renforcée, ainsi qu’à poursuivre la mise en place des autres instances constitutionnelles.

Liste des associations et organisations signataires

Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme
Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux
Avocats Sans Frontières
Association Tunisienne des Femmes Démocrates
Psychologues Du Monde- Tunisie
Association des Magistrats Tunisien
Nawaat
Democratic Transition and Human Rights support center (DAAM)
Association INSAF pour les anciens militaires
La Coalition Tunisienne Contre la peine de mort
No Peace Without Justice
Legal Agenda
Syndicat National des Journalistes Tunisiens
Organisation Mondiale Contre la Torture
Solidar Tunisie
International Alert
Euromed Droits
Al Bawsala
Al Khatt/Inkyfada
L’association tunisienne de défense des libertés individuelles
Organisation Contre la Torture en Tunisie
L’Association Vigilance pour la démocratie et l’Etat civique
Association Dhekra we wefa: pour le martyr de la liberté Nabil Barakati

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