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Ne pas attraper la Covid-19 ne doit pas devenir le but de l’existence

Durant cette crise de la pandémie de la Covid-19, nous devons nous garder de faire de la santé la valeur suprême. Ne demandons pas à la médecine de résoudre tous nos problèmes. Saluons le formidable travail de nos soignants dans les hôpitaux. Mais ce n’est pas une raison pour demander à la médecine de tenir lieu de politique, d’économie, de morale, de spiritualité et de civilisation.

Par Hichem Cherif *

Nous vivons sous un couvre-feu, c’est-à-dire un semi-confinement, une «vie sans vie» où beaucoup de personnes, physiques et morales, risquent de mourir, en tout cas économiquement.

Tout en considérant que la mort fait partie de la vie, il faut d’abord admettre que, logiquement, la grande majorité, d’entre nous ne mourra pas du coronavirus. N’ayant pas de statistiques ni de projections tunisiennes, je me suis basé sur celles statistiques françaises établies sur une population de 66 millions d’habitants. Il suffit de rapporter ces chiffres à la population tunisienne qui est de 11 millions, en les majorant de 15% vu que notre système sanitaire et notre hygiène générale ne sont pas aussi efficaces que ceux des Français.

J’ai été très frappé par cette espèce d’affolement collectif qui a saisi les responsables et les médias, mais aussi une grande majorité de la population dite «intellectuelle» pour justifier confinement, couvre-feu et autres mesures draconiennes, comme si tout d’un coup, on découvrait que nous sommes mortels. Ce n’est pas vraiment un scoop. Nous étions mortels avant le coronavirus, nous le serons après.

Aimons davantage encore la vie !

Montaigne écrivait dans ‘‘Les Essais’’: «Tu ne meurs pas de ce que tu es malade, tu meurs de ce que tu es vivant.» Autrement dit, la mort fait partie de la vie, et si nous pensions plus souvent que nous sommes mortels, nous aimerions davantage encore la vie parce que, justement, nous estimerions que la vie est fragile, brève, limitée dans le temps et qu’elle est d’autant plus précieuse. C’est pourquoi l’épidémie doit, au contraire, nous pousser à aimer encore davantage la vie.

Il faut noter qu’une énorme majorité d’entre nous mourra d’autre chose que du coronavirus. Et rappeler que le taux de mortalité dû au coronavirus, dont les experts discutent toujours, varie de 1 à 2 pour cent en France (qu’on peut ramener à 1% ou moins en Tunisie, en considérant les chiffres de la première vague). Sans doute moins quand on aura recensé tous les cas de personnes contaminées qui n’ont pas de symptômes.

Est-ce la fin du monde ? C’est la question qu’on doit se poser avant de décider du confinement ou du couvre-feu. Vous imaginez ? Un taux de létalité de 1 ou 2%, sans doute moins, et les gens parlent de fin du monde. Mais c’est quand même hallucinant.

Rappelons que ce n’est pas non plus la première pandémie que l’humanité connaisse. On peut évoquer la peste, au XIVe siècle, qui a tué la moitié de la population européenne. Il faut rappeler, à juste titre, que la grippe de Hong Kong dans les années 1960 a fait un million de morts. La grippe asiatique, dans les années 1950, a tué plus d’un million de personnes, juste en Asie.

On en est à 40.000 morts en France, moins de 2.000 en Tunisie. Certes, c’est une réalité très triste, toute mort est évidemment triste mais rappelons qu’il meurt 600.000 personnes par an en France pour toutes causes confondus (estimation de 11.000 en Tunisie rapporté à notre population). Rappelons que le cancer tue chaque année 150.000 personnes en France (environ 25.000 en Tunisie).

Avenir des enfants versus longévité des septuagénaires

En quoi les 2.000 morts de la Covid-19 sont-ils plus graves que les 25.000 morts (estimation) du cancer ? Pourquoi doit-on porter le deuil exclusivement des morts du coronavirus, dont la moyenne d’âge est de plus 75 ans ? Rappelons quand même que 95% des morts du Covid-19 ont plus de 60 ans.

Ne faut-il pas se soucier davantage de l’avenir des enfants que de la longévité des septuagénaires ?

Qu’on nous pardonne la brutalité de cette question, mais ne faut-il pas se garder de faire de la santé la valeur suprême de notre existence et laisser les médecins décider de l’avenir d’un pays ?

Il faut évidemment empêcher que les services de réanimation soient totalement débordés. Mais attention à ne pas faire de la médecine ou de la santé les valeurs suprêmes de notre vie. Aujourd’hui, sur les écrans de télévision ou à la radio, on voit passer en moyenne près vingt médecins pour un économiste, alors que le péril est, aujourd’hui, surtout économique.

La Covid-19 est juste une crise sanitaire, mais elle n’annonce pas la fin du monde. Ce n’est pas une raison pour oublier toutes les autres dimensions de l’existence humaine.

C’est une vision sociétale ou une certaine civilisation qui demande tout à la médecine. En effet, la tendance existe depuis que nous avons dépassé le seuil de la subsistance pour faire de la santé la valeur suprême, et non plus la liberté, la justice et l’amour, qui sont pour beaucoup d’entre nous les vraies valeurs suprêmes.

Le bonheur est bon pour la santé

À ce propos, je citerai une boutade de Voltaire qui date du XVIIIe siècle. L’écrivain français écrivait joliment : «J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé.»

Eh bien, le jour où le bonheur n’est plus qu’un moyen au service de cette fin suprême que serait la santé, on assiste à un renversement complet par rapport à au moins vingt-cinq siècles de civilisation durant lesquels on considérait, à l’inverse, que la santé n’était qu’un moyen, alors certes particulièrement précieux, mais un moyen pour atteindre ce but suprême qu’est le bonheur.

Attention de ne pas faire de la santé la valeur suprême. Attention de ne pas demander à la médecine de résoudre tous nos problèmes. On a raison, bien sûr, de saluer le formidable travail de nos soignants dans les hôpitaux. Mais ce n’est pas une raison pour demander à la médecine de tenir lieu de politique et de morale, de spiritualité, de civilisation. Attention de ne pas faire de la santé l’essentiel. Un de mes amis me disait, au moment où le sida était la terreur du moment: «Ne pas attraper le sida ne peut devenir notre but dans l’existence». Il avait raison. Eh bien, aujourd’hui, je serais tenté de dire : «Ne pas attraper la Covid-19 ne doit pas devenir notre but dans l’existence».

* Avocat.

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