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Les révolutions à l’épreuve de l’air du temps

À chaque époque les hommes expriment des opinions, adoptent des postures qu’ils croient issues de leur propre réflexion alors qu’elles viennent de «l’air du temps». Ce n’est pas une «fatalité» mais c’est un vent puissant auquel il est difficile de ne pas céder. Mais au lieu d’être piégé par l’air du temps, ne convient-t-il pas mieux d’anticiper les changements à venir ?

Par Hichem Cherif *

Vous avez remarqué que tout ce qui émane d’un «arabe» est toujours regardé avec hostilité. Est-ce que vous vous êtes posés la question, pourquoi ?

Lorsque deux Tunisiens à l’étranger parlent dans un lieu public en arabe ou en «tunisien», ils parlent à voix basse alors que des Américains, Anglais ou Allemands, quand ils parlent entre eux dans les lieux publics, ils parlent à voix haute, avec une certaine fierté en affirmant leur langue et leur nationalité. Est-ce que vous vous êtes posés la question pourquoi ?

Quand un Arabe dans un déjeuner ou dîner refuse l’alcool, il le fait discrètement alors que tout le monde s’accorde à dire que l’alcoolisme est une calamité sociale mais il suffit que l’islam dénonce l’alcool que celui-ci est érigé en symbole de la liberté individuelle. Est-ce que vous vous êtes posés la question pourquoi ?

Quand l’avion de Tunisair atterrit, on entend le message arabe suivant : «On vient d’atterrir avec l’aide de dieu à l’aéroport…», mais quand on traduit le même message en français ou en anglais, on n’entend plus les termes «avec l’aide de dieu» pour rappeler les non-musulmans qu’il y a un pilote dans l’avion. Est-ce que vous vous êtes posés la question pourquoi cette crainte d’afficher notre culture arabo-musulmane?

Beaucoup d’Européens ont une femme et une maîtresse avec parfois des enfants de l’une et de l’autre (Mitterrand, Yves Montand, Alain Delon… et j’en passe), mais si l’islam dit qu’on peut épouser les deux c’est l’idée du double mariage qui devient outrancière et la liaison illégitime devient respectable. Est-ce que vous vous êtes posés la question pourquoi ?

La débâcle historique de la civilisation «arabo-musulmane»

Il faut aller plus loin que l’alcool ou les femmes et se poser la question pourquoi depuis plus de 400 ans les Arabes n’ont pas envahi un seul pays occidental et ce sont toujours eux qui nous envahissent, eux, qui nous imposent leur loi, leur technologie, qui nous colonisent directement ou économiquement, qui nous humilient ? Est-ce que vous vous êtes posés la question pourquoi ?

Mais pourquoi on n’a pas pu les empêcher ? Pourquoi ils ont toujours gagné leur bataille ? Pourquoi les Arabes ont toujours perdu leur guerre depuis 400 ans ? Pourquoi ils nous ont colonisés ? Pourquoi ils nous ont toujours humiliés ? Parce que nous sommes faibles, divisés, mal organisés, mal équipés ?

Et pourquoi sommes-nous faibles, divisés, mal organisés, mal équipés ? Pourquoi nous sommes incapables de produire des armes aussi puissantes que les leurs ? Pourquoi nos industries sont-elles déficientes ? Pourquoi la révolution industrielle s’est-elle produite en Europe et pas dans les pays arabes ? Pourquoi sommes-nous restés sous-développés, vulnérables, dépendants ?

La faute c’est toujours celle des autres ? Ne faudrait-il pas regarder en face notre propre défaite, la retentissante débâcle historique de la civilisation «arabo-musulmane» pour y déceler nos erreurs, nos fautes au lieu de les attribuer toujours aux autres ?

Les vaincus sont toujours tentés de se présenter comme des victimes innocentes. Mais ceci n’est pas la réalité car nous sommes coupables, pas uniquement nos dirigeants mais aussi chacun de nous, de cette humiliation aux yeux du monde entier comme à nos propres yeux.

La religion n’est ni le problème ni la solution

Est-ce la faute de l’islam le lien qui nous unit tous puisque la culture arabo-musulmane englobe des ethnies, des peuplades différentes commençant par les berbères et amazighs que nous sommes?

Non, la religion n’est qu’un élément du dossier car elle n’est ni le problème ni la solution mais ce qui est certain, les femmes couvertes de la tête aux pieds, la forêt de barbes que porte les hommes ne sont pas la solution au problème car ce qu’ils portent dans leur cœur est leur droit légitime mais ils l’utilisent comme une affirmation publique qui n’aide en rien à la solution de notre problème, pire ça l’aggrave et rend mal à l’aise le tiers qui les regarde car ils s’agrippent à l’apparence, au superflu et refusent déjà de parler de l’essentiel pour se remettre en cause, et refusent de parler des autres sujets parce qu’ils n’acceptent pas la contradiction, la diversité car ils sont dans «l’air du temps», ce que les Allemands appellent «Zeitgeist», ou l’esprit du temps. Ils suivent sans réfléchir, sans se rendre compte de ce qu’ils font car c’est ainsi que fonctionne les sociétés humaines.

À chaque époque les hommes expriment des opinions, adoptent des postures qu’ils croient issues de leur propre réflexion alors qu’elles viennent de «l’air du temps». Ce n’est pas une «fatalité» mais c’est un vent puissant auquel il est difficile de ne pas céder.

Il y a eu des batailles pour des «idéaux» qui ont rassemblé des hommes de divers pays, comme la guerre d’Espagne, qui a eu ses héros comme Orwell, Hemingway ou Malraux, qui ont pris les armes pour combattre le fascisme et qui sont rentrés chez eux pour écrire après, ‘‘Hommage à la catalogne’’ ou ‘‘Pour qui sonne le glas’’ ou ‘‘L’espoir’’ et le monde entier les a lus.

L’enfermement sur soi est le plus court chemin vers la sottise

Les jeunes du monde de l’époque rêvaient tous d’être républicains à Barcelone en 1937, ou maquisard en France en 1942 ou compagnon du Che Guevara, au début des années 1960. On s’intéressait au vaste monde, pas uniquement à la petite vie de chacun de nous.

Les Tunisiens nés dans les années 50 parlaient dans les années 70 du Vietnam, du Chili, de la Grèce. Ils se passionnaient de musique, de théâtre, de littérature, de philosophie. Ils avaient un débat d’idées. Sur le moment, on pouvait croire que ces préoccupations étaient partagées par l’ensemble des gens de la planète. Les jeunes de l’époque étaient «universalistes» alors que de nos jours ceux qui prennent les armes pour tuer et se faire tuer sont des analphabètes, des drogués, des marginaux, des désespérés, d’anciens voyous de quartier qui pavanent dans leur quartier en pensant au business qu’ils vont faire ou dans les travées de l’Assemblée pour se donner l’image d’un leader alors que leur aura ne dépasse pas leur clan, incapable de présenter une idée cohérente englobant les problèmes de ce monde.
Ils sont devenus des radicaux en oubliant que le jour où ils auront le pouvoir, ils deviendront à leur tour des oppresseurs. Ils sont diabolisés en Occident car ils se comportent chez eux comme des tyrans.

Il est «dans l’air du temps» aussi que les dirigeants anciens comme nouveaux accaparent le pouvoir et ne veulent pas céder leur place. Qu’on soit «gauchiste» ou «islamiste» en Tunisie, on justifie la continuité pour se maintenir.

C’est ainsi que dans les années 70, Bourguiba opta pour une présidence à vie, comme Ghannouchi de nos jours qui cherche une parade pour continuer à diriger Ennahdha ou comme Hamma Hammami qui veut se maintenir quitte à diviser la gauche tunisienne.

C’est l’air du temps. Ils se considèrent tous «révolutionnaires» ou «visionnaires» mais ils seront tous avec le temps anachroniques car l’air du temps finira par changer car nul n’est indispensable.

Les révolutions sont désormais… «conservatrices»

C’est le sens de la «révolution» qui a changé durant l’histoire selon la variation de l’air du temps. Au temps de Bourguiba, elle était associée à «l’indépendance», dans les années 70, c’était l’apanage des «socio-démacrates» et «progressistes de gauche» et aujourd’hui elle est réservée aux islamistes conservateurs. C’est le phénomène de «l’inversion». C’est l’air du temps qui les différencie alors que le fond est le même et ils oublient qu’on finira avec le temps par amener d’autres «révolutionnaires», peut être des écologistes, des partisans de la politique «participative»

Rappelez-vous les années 78 et 79, avec la révolution islamique iranienne, tout le monde croyait au renouveau démocratique de l’islam. Mais en même temps on a eu de l’autre côté une autre révolution «conservatrice» en Angleterre avec Tatcher, aux Etts-Unis avec Reagan, en Chine avec Deng Xiaoping qui a entamé une «autre» révolution chinoise pour s’écarter du socialisme, et même le Vatican, avec l’avènement de Jean Paul II, a entamé une «révolution», le nouveau pape étant venu d’un pays «socialiste», tout en restant foncièrement conservateur.

C’est l’air du temps qui changeait de logiciel. Le siècle dernier était dans une opposition entre «communiste» et «anti-communiste», on préparait le 21e siècle qui va vivre dans une opposition «fondamentaliste» et «progressiste».

L’islamisme politique populaire a commencé à développer ses tentacules et la gauche ne s’est plus préoccupée que de sauver les acquis sans se projeter dans l’avenir pour trouver des réponses pour contrer ce mouvement, préparant ainsi sa disparition annoncée.

C’est l’air du temps qui changeait d’aspect et la majorité suit en portant les foulards, en portant la barbe, en rêvant d’un monde meilleur où nous serons heureux, justes, dignes où nous aurons les mêmes chances pour réaliser nos rêves.

Bourguiba et les communistes ont tout fait pour enlever le voile et réduire le rôle de la religion, c’était l’air du temps à l’époque où plus de la moitié de la planète était de gauche. Aujourd’hui, le voile est de nouveau porté par des femmes qui ne connaissaient pas Bourguiba, la religion en Russie est revenue grâce à la Pérestroïka par des personnes qui n’ont pas vécu le bolchevisme.

L’air du temps n’est pas immuable et change toujours

C’est l’air du temps qui change de logiciel mais un jour viendra aussi où les gens vont en avoir marre d’une religion trop envahissante et ils vont tout rejeter, le meilleur comme le pire, car on voit qu’il ne suffit plus de jeûner mais il faut montrer à tous qu’on jeûne et il faut surveiller les autres qui ne jeûnent pas.

L’air du temps n’est pas immuable; il changera comme il a changé et ce changement adviendra vite car on est dans le «fast». De nos jours, rien ne dure dans le temps. On s’ennuie vite, on aime le mouvement, le changement… Il n’y a plus de vedette de chanson qui dure comme Oum Kalthoum ou Farid Latrache, ni d’acteur qui va faire au-delà d’un ou deux bons films, ni de leader politique dont le leadership ne soit contesté dans moins de 5 ans, ni de parti qui dure au-delà de 5 ou 10 ans.

Que doit-on faire avec ce double dilemme, prendre conscience de l’air du temps que nous vivons mais anticiper le changement, la mutation de l’air du temps pour nous rendre compte des «évidences» que nos descendants vont trouver «normales»?

C’est l’idée du «blind spot» ou de «point aveugle» qui commence à avoir de l’ampleur de nos jours, d’autres l’appellent «a digging tool» ou un «outil à creuser».

C’est la théorie de la «futurologie». Ce n’est pas de la voyance ni de l’astrologie ou de la chiromancie, ni de la science-fiction, mais une nouvelle discipline confiée à des chercheurs ayant la tête dans les étoiles mais les pieds sur terre. Ces chercheurs sont de diverses disciplines, des historiens, des psychologues, des sociologues, des juristes, des économistes, des scientifiques de diverses tendances qui vont essayer de voir et d’analyser la situation actuelle et d’entrevoir le «futur» sans parti-pris, ni exclusivisme, ni radicalisation. Ils vont essayer d’écrire un «pacte social» qui servira comme un accord minimum «immuable» qu’aucun parti ni tendance politico-économique ne dénigre car il y va de l’intérêt de tous. Ce pacte social doit rester «humanitaire» pour englober tout le monde toute tendance confondue, que personne n’osera remettre en cause et concernera les fondamentaux d’un pays : la santé, l’éducation, la sécurité, les libertés publiques et individuelles, le spiritualisme afin d’établir une «nouvelle culture» acceptée par tous et qui évoluera lorsque les mêmes personnes constateront qu’ils se sont trompées dans la vision du «futur» sans culpabiliser personne parce que ce n’est pas certain que ce «pacte social» va tout résoudre maintenant, car il y aura certainement des points qu’ils ne verront pas et que leurs descendances vont constater ensuite.

Ce «pacte social» permettra de ne plus changer de «politique» chaque fois qu’on gagne une élection, qu’on ne va fragiliser un gouvernement au gré des alliances ponctuelles, va instaurer la «continuité» le long terme, élément nécessaire pour bâtir les fondamentaux d’un pays, éduquer une génération, développer un pays, orienter une vision.

A bon entendeur salut !

* Avocat.

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