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Etats-Unis : après sa défaite, Trump négociera son départ, en position de force

Donald Trump a finalement perdu les élections, même s’il refuse toujours de le reconnaître. La bataille juridique qu’il engage devant les tribunaux ne fait que commencer, face à ce qu’il dénonce être une falsification de grande ampleur le privant de la victoire qui lui revient, mais ses chances de l’emporter sont quasiment nulles. En fait, il cherche à négocier une sortie sûre, sans ennuis judiciaires. Décryptage…

Par Dr Mounir Hanablia *

Il est vrai que le président sortant avait déjà exprimé toutes ses réserves relativement au vote postal  favorisant selon lui  toutes les fraudes. Mais en période de pandémie cela aurait signifié que la moitié de l’électorat américain s’abstienne de se rendre aux urnes, cette même moitié dont le vote s’est justement avéré décisif dans le décompte final des voix, en sa défaveur.

Même dans le cas où son opposition s’avère réellement fondée, ce que à priori, aucune preuve ne vient étayer, quelle justice américaine pourrait reconnaître que le symbole  la démocratie et de l’égalité citoyenne dont s’enorgueillit le pays, celui du suffrage universel libre exprimant la volonté populaire, puisse être ainsi bafoué ? Si de juridiction en juridiction, l’affaire était finalement portée devant la Cour Suprême, dont les juges républicains forment la majorité et dont deux membres ont été directement nommés par Trump lui-même, il ne semblerait pas envisageable qu’il obtienne gain de cause en dernier recours.

Trump, ses copains et ses coquins

Mais dans l’Amérique de Trump, on a déjà constaté que l’inenvisageable pouvait devenir possible, et même parfois constitutif de la réalité. Ainsi que l’ont fait remarquer bon nombre d’observateurs, si Trump a vraisemblablement définitivement perdu la partie, sur le plan électoral, quelles que soient les possibilités de recours qui s’offrent à lui, il a déjà démontré par le passé son mépris de l’Etat de droit et de l’institution judiciaire. Il avait ainsi fait amnistier, par l’Attorney Général Bill Barr, son ami et complice Roger Stone, condamné à une peine de prison de 7 ans pour parjure, un délit fédéral, avant même de purger sa peine. Bill Barr n’avait pas été le garant de l’indépendance de la justice, mais un fonctionnaire obéissant aux ordres de la Maison blanche.

C’est Bill Barr qui avait annoncé que le procureur Robert Muller blanchissait le président de toute collusion avec la Russie lors des élections présidentielles de 2016, alors qu’en réalité le rapport concluait que les preuves n’avaient pu en être établies.

C’est encore lui qui avait refusé de donner suite aux accusations étayées contre le président dans l’affaire du ‘‘Quid Pro Quo’’ ukrainien, obligeant le témoin à s’adresser directement au Congress, afin de préserver son anonymat.

Ce n’est donc pas un hasard si, à la fin, c’est Rudi Giuliani, l’avocat le plus impliqué  dans l’affaire ukrainienne, qui s’est  retrouvé sur une aire de parking prêtant à confusion avec le nom d’un célèbre hôtel, et située derrière une station service  en face d’un petite  librairie pornographique , face aux journalistes, pour annoncer le dépôt d’un recours en justice.

M. Giuliani, informé par un journaliste présent que les médias venaient juste d’annoncer la victoire de Joe Biden, avait refusé d’y accorder foi. Tout cela faisait suite à des déclarations rageuses des fils du président dénonçant la capitulation des membres du Parti Républicain, «comme des moutons» (sic), face à ce qu’ils appellent une fraude  manifeste, et proclamant leur volonté de se battre.

Trump se retrouve politiquement seul

Il est vrai que Trump, désavoué pour ses déclarations intempestives mettant en doute la probité des élections, par les personnalités les plus en vue de son propre parti Républicain, se retrouve politiquement seul. Mais, mis à part son  ultime carré, composé des membres de sa famille et de tous ceux qui se sont trop compromis avec lui pour échapper à de prévisibles poursuites judiciaires, il peut néanmoins toujours compter sur une partie non négligeable de la rue, sévèrement étrillée dans ses revenus économiques, par toutes les mesures anti-Covid prises au niveau des différents Etats de l’Union, souvent présidés par des  membres du Parti démocrate , et que le président avait dénoncées. Il peut surtout compter sur tous ces miliciens blancs qui n’hésitent plus à descendre dans la rue, en étalant des  fusils et des pistolets mitrailleurs. Il ne faut pas l’oublier, c’est près de la moitié de l’électorat américain qui a voté pour lui.

Abstraction faite du résultat final de la guérilla juridique et judiciaire engagée auprès des tribunaux, visant à  tout le moins retarder la validation institutionnelle définitive du résultat électoral, elle aura néanmoins déjà pour résultat d’assurer à Donald Trump le bénéfice du temps nécessaire pour faire face, ainsi que le prétexte pour s’accrocher à ses fonctions, et continuer à occuper la Maison Blanche, tout en retardant l’intronisation du nouveau président élu, Joe Biden.

Or il est peu probable que la constitution américaine ait prévu un cas aussi atypique, où un ancien président s’accroche à ses fonctions et refuse de reconnaître la validité du suffrage universel. Ce que l’on en sait c’est qu’elle accorde aux citoyens le droit de recourir aux armes lorsque leurs droits constitutionnels auraient été violés par un  gouvernement, quel qu’il soit.

Il n’est pas sûr qu’un éventuel impeachment règle le problème, en particulier par un Sénat qui obéissant à des considérations partisanes n’avait pas hésité il n’y a pas si longtemps à absoudre sur des arguments peu convaincants le président et qui ne dispose désormais plus du crédit nécessaire pour le faire.

Il faudrait toujours, face à un président refusant de se soumettre, le recours à un usage de la force, c’est-à-dire non seulement s’assurer la coopération des exécutants nécessaires mandatés, pour peu qu’on veuille bien les trouver, dans des conditions d’adversité qu’on ignorerait, mais aussi apporter la caution judiciaire à l’opération.

Il est douteux qu’un simple juge cantonal de Washington DC ait le pouvoir d’ordonner à l’illustre occupant de la Maison blanche de faire ses paquets et de quitter les lieux, quand bien même l’attorney général ne lui aurait pas ordonné de s’en abstenir.

Le président sortant va-t-il provoquer une grave crise institutionnelle ?

En fin de compte seule la Cour Suprême aurait le pouvoir de statuer dans une situation semblable, celle où officient les juges Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett. Mais quelle que soit la décision des juges, entretemps, beaucoup d’eau aurait coulé sous les ponts du Potomac. Et le malheureux Joe Biden n’ayant pas pu être intronisé, une grave crise institutionnelle aurait éclaté sans qu’on puisse en prévoir les conséquences.

En réalité personne ne croit  que Donald Trump soit suffisamment fou pour caresser le moindre espoir de s’accrocher au pouvoir contre le vœu de la majorité de l’électorat américain, ni de penser que la Cour Suprême assumerait la responsabilité d’ouvrir la boîte de Pandore en prenant le contrepied du résultat des élections pour lui donner satisfaction. Par contre, nul ne doute qu’il soit suffisamment dénué de scrupules  pour faire monter les enchères et obtenir une contrepartie à un départ négocié. Et celle-ci ne pourrait être que l’impunité judiciaire pour lui-même et tous ses partisans. Et il n’aurait pas tort de s’en inquiéter; seule sa position de président l’avait jusqu’à présent empêché de subir des déboires judiciaires graves dans des affaires ne relevant pas de l’exercice présidentiel, et non couverts par une éventuelle immunité.

Ces arrangements dont les peuples paient inévitablement le prix

Dans ces conditions on comprend mieux cette modération du président fraîchement élu, son appel à l’unité du pays, à la réconciliation. Le discours de Joe Biden adressé au peuple américain après sa victoire viserait en réalité aussi Donald Trump, qui avait essayé de l’impliquer avec son fils dans le dossier ukrainien, pour lui dire : «Je vous ai compris. Négocions !».

Tout ceci rappelle bien sûr le marché conclu entre Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi en 2014 pour obtenir le départ en douceur du parti Ennahdha, contre l’immunité judiciaire, dans  les différentes affaires qui avaient émaillé le gouvernement de la Troïka et que la justice n’a jusqu’à présent pas résolues. On avait cru que ce genre d’arrangements dont les peuples  paient inévitablement le prix ne se concluait que dans les pays sous développés. Mais Donald Trump a eu au moins le mérite de briser nos illusions de sous-développés, de nous démontrer que dans l’exercice du pouvoir, le genre humain était le même, et que la probabilité d’une crise grave émaillant le processus électoral demeurerait toujours élevée, avec des partis populistes maniant un discours démagogique, à l’instar de celui d’Al-Karama des Seifeddine Makhlouf et Abdellatif El Aloui. 

*Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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