Depuis plusieurs années, la Tunisie célèbre, le deuxième dimanche du mois de novembre, la fête de l’arbre. L’objectif est de sensibiliser les citoyens et particulièrement les jeunes à l’importance de l’arbre et son utilité pour notre environnement.
Par Ridha Bergaoui *
L’environnement et la pollution, l’épuisement des ressources, le réchauffement climatique… doivent faire partie intégrante de l’éducation de nos jeunes. Ceux-ci doivent apprendre à respecter et préserver l’environnement pour devenir demain des citoyens actifs et responsables. La prise de contact avec les plantes et les animaux est la meilleure façon pour le jeune de prendre possession de son environnement naturel, le respecter et le préserver.
L’arbre, un être bienveillant et sensible
L’arbre est avant tout une usine qui nous débarrasse du gaz carbonique et produit de l’oxygène nécessaire pour notre survie et celle de tous les organismes vivants. Le CO² étant un important gaz à effet de serre, les plantes en général et les arbres en particulier, permettent de lutter contre le réchauffement climatique. Ils permettent également de fixer le sol et de lutter contre l’érosion hydrique et éolienne. Ils sont utilisés comme brises vent pour protéger les cultures et fournissent de l’ombre. Ils constituent un écosystème qui héberge et abrite de nombreux organismes vivants et favorise la biodiversité.
Les arbres nous donnent des fruits délicieux, représentent des aliments pour certains animaux et fournissent du bois d’œuvre et de chauffage. En ville, l’arbre est un élément esthétique et décoratif. Il possède une valeur de détente et de loisir très importante. Certaines parties des arbres possèdent de nombreuses vertus médicinales et sont utilisées pour en extraire des médicaments. La forêt c’est aussi la chasse et un lieu pour pratiquer son sport favoris comme les randonnées. C’est également le tourisme écologique, l’évasion, le calme et le repos.
Enfin, la forêt abrite toute une population qui vit des ressources forestières et possède une culture et un ensemble de traditions ancestrales.
L’arbre est un organisme vivant qui n’est pas démuni de sensibilité. En 2017, Peter Wohlleben, un forestier allemand, a dévoilé dans un livre intitulé «La vie cachée des arbres», que les arbres possèdent une certaine forme d’intelligence. Ils sont capables de sentir leur environnement, de percevoir d’où vient la lumière et où se trouvent l’eau et les nutriments. Les arbres savent diriger leurs feuilles vers la lumière et les racines vers l’eau et les nutriments. Ils communiquent entre eux, grâce à des molécules chimiques qu’ils sécrètent. Ils s’échangent des informations via l’air, les feuilles et les racines. Ils peuvent se prévenir d’agressions diverses, de s’entraider et de se défendre contre des ennemis et des prédateurs.
La cérémonie terminée, les arbres sont abandonnés à leur sort
Depuis des années, la fête de l’arbre se déroule toujours de la même façon. Le dimanche, jour de la fête, le président de la république se déplace dans les environs de Tunis pour planter un arbre, généralement un olivier. Les ministres et de hauts responsables font de leur côté des déplacements dans les régions pour rehausser la fête par leur présence à côté des responsables régionaux. D’autres manifestations sont également organisées à titre individuel ou associatif dans le cadre de la fête. La cérémonie se limite à placer quelques arbustes dans des trous creusés au préalable, à mettre la terre tout autour et à arroser le jeune plant. Une fois la cérémonie terminée, les gens rentrent chez eux tout heureux pour le devoir accompli en attendant l’année prochaine.
La cérémonie terminée, et dans la plupart des cas, personne ne s’occupe de ces jeunes plants qui restent à l’abandon, à la merci des animaux errants, des gamins mal élevés … et finissent par se dessécher et périr.
D’une campagne de sensibilisation à l’importance de l’arbre et comment l’entretenir, la fête est devenue une occasion d’apparition médiatique des politiciens et des hauts responsables. Ces plants laissés à l’abandon et détruits donnent le contre-exemple aux jeunes et aux générations suivantes. Le résultat c’est que le Tunisien n’a aucun respect pour l’arbre qui subit tout genre de massacres.
L’arbre et l’environnement mal traités et massacrés
Chaque année, des milliers d’hectares de nos forêts sont ravagés par des incendies. Ces incendies sont soit criminels soit provoqués par un comportement irresponsable de certains utilisateurs de la forêt surtout en été en présence des fortes chaleurs.
Durant le confinement dernier, 400 chênes zen pluri-centenaires, ont été sauvagement coupés à la tronçonneuse, dans la région d’Aïn Draham (Jendouba) ou encore à Zaghouan pour en faire du charbon. Au lendemain de la révolution en 2011 et en 2013, des bûcherons ont abattu illégalement des milliers d’arbre de tout genre, un vrai massacre. Partout et chaque jour des arbres sont abattus clandestinement sans aucun état d’âme et dans l’impunité absolue.
Abattre des arbres pour construire des routes, des pistes, des bâtiments et des logements se fait systématiquement sans tenir compte de la présence d’arbres parfois centenaires.
En ville, les espaces verts, les parcs et jardins sont rares (à part les quelques espaces très anciens comme à Tunis, le parc du Belvédère ou le jardin Thameur). Ils sont presque inexistants dans les nouvelles cités ou en état de terrains vagues abandonnés utilisés comme dépôts d’ordures et détritus ou par les délinquants et soulards.
Pour le commun du citoyen tunisien, l’arbre, surtout dans les espaces publics, n’a aucune valeur et même dans les espaces privés les arbres sont généralement mal entretenus.
En dehors de son logement, le Tunisien est peu sensibilisé à l’importance de l’environnement et s’en fout de la qualité de vie. Jeter ses ordures n’importe comment et n’importe où ne lui pose aucun problème. Le pays est devenu une gigantesque poubelle où certaines personnes peu scrupuleuses se permettent même d’importer des centaines de containers d’ordures ménagères des pays voisins (scandale des ordures importées d’Italie ces derniers jours). Les préoccupations de nos citoyens sont essentiellement d’ordre matériel : pouvoir d’achat, problèmes de transport, de soins… Ils ont vraiment besoin d’une sérieuse éducation sur l’environnement et la préservation de la qualité de vie.
Revoir l’organisation de la fête de l’arbre
La journée nationale de l’arbre, célébrée dans de nombreux pays, est à l’origine conçue pour sensibiliser les populations à l’importance et l’entretien des arbres et limiter les effets de la désertification. En Tunisie, c’est devenue une tradition vide de tout sens, couteuse et inutile.
Il faut repenser intelligemment et autrement la fête de l’arbre. Que les politiques en profitent pour se montrer et montrer qu’ils se préoccupent de notre bien-être et notre environnement n’est gênant. Toutefois il ne faut pas perdre de vue l’objet essentiel de sensibilisation et d’éducation du citoyen et surtout des jeunes qui vont devenir les agents actifs de demain. Les festivités doivent être recentrées sur cet objectif fondamental.
Moyennant un peu d’imagination et en collaboration avec les différentes autorités nationales et régionales, il est possible d’organiser des manifestations scientifiques, commerciales et même culturelles. Le contenu de cette journée peut être finalisé par un comité composé de représentants des ministères concernés : agriculture, éducation nationale, enfance et famille, enseignement supérieur, intérieur, environnement… Sans être exhaustif, nous proposons ci-dessous quelques propositions.
Dans les jardins d’enfants, les écoles, les collèges et les associations c’est une occasion pour expliquer aux jeunes la place de l’arbre et sensibiliser à ses bienfaits pour notre cadre de vie. On peut leur expliquer l’intérêt de l’arbre pour lutter contre la dégradation de l’environnement, l’érosion et les différentes productions indispensables pour notre survie et celles de nos animaux… On doit également leur expliquer que l’arbre est un organisme vivant qui a besoin de soins et d’entretien. Cette sensibilisation doit compléter d’autres enseignements prévus dans le cadre de leur formation.
On pourrait exploiter cette occasion pour organiser des marchés et foires centrés autour de la campagne, de la forêt et des produits du terroir… et exposer le savoir-faire, les produits traditionnels et les plats typiques des régions forestières. On peut également organiser des expositions pour montrer les différentes espèces d’arbres et arbustes forestiers, montrer le rôle des arbres dans la lutte contre l’érosion et la pollution…
Pourquoi ne pas profiter de cette fête pour organiser des colloques, des rencontres, séminaires et autres événements scientifiques au niveau régional et national, pour parler environnement, forêts, changement climatique, agriculture…
L’arbre symbolise l’environnement. Protéger l’arbre et l’environnement est un acte de savoir-vivre et de civisme au sens large du terme qui signifie le respect de l’autre, de la collectivité, de l’espace et du bien publics. De nos jours, nous vivons une crise aiguë de civisme. Nous avons besoin de faire preuve d’empathie et de respect de l’autre, de plus d’attachement à la collectivité et à la patrie. La fête de l’arbre pourrait bien être une occasion pour apprendre à respecter l’autre et par la même occasion d’acquérir un peu d’estime et de respect de soi. Planter un arbre est une belle leçon de civisme, respecter et protéger l’environnement est une belle démonstration de savoir-vivre.
* Professeur universitaire.
Donnez votre avis