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La corruption, un problème éminemment culturel

L’émission Forum, qui passe tous les jours sur Mosaïque fm., a consacré le numéro d’hier, mercredi 18 novembre 2020, à la corruption. Les auditeurs n’ont pas manqué de critiquer vertement la corruption qui sévit au sein de l’administration tunisienne.

Par Mohamed Sadok Lejri*

Il ne fait pas l’ombre d’un doute que l’administration tunisienne est gangrenée par la corruption de la base au sommet de la hiérarchie. En revanche, il faut comprendre que dans les pays du tiers-monde comme la Tunisie, les institutions formelles ne fonctionnent pas car les gens n’y croient pas et, par conséquent, ne jouent pas le jeu. On peut prendre l’exemple de la circulation automobile : quand une personne respecte le code de la route au pied de la lettre en Tunisie, cela peut la mettre dans l’embarras, voire lui engendrer des problèmes.

Même s’ils prétendent le contraire, au fond, les Tunisiens ne croient pas vraiment à toutes ces règles strictes. Ces dernières ne sont pas intériorisées par le commun des Tunisiens. En revanche, ils savent bien négocier. Dans chaque bureau, à chaque carrefour, vous avez une multitude de négociations. Et l’Etat et ses institutions fonctionnent de la sorte. La Tunisie a hérité de la France un modèle politique et administratif qui n’est pas vraiment adapté aux réalités locales et à la personnalité du Tunisien.

La « méthode tunisienne » qui est fondée sur la négociation et le compromis offre peu d’issues et de solutions durables. Ainsi, l’administration qui est censée garantir l’intérêt général ne joue pas ce rôle. L’administration tunisienne est, en réalité, une entité gigantesque composée d’une infinité d’ « entreprises privées ». Du coup, le policier gère son carrefour, le fonctionnaire l’accès à la direction et aux preneurs de décisions, mais aussi aux documents officiels qui contiennent le cachet dont le citoyen a besoin, et ainsi de suite.

Le fonctionnaire, sachant qu’il peut être à l’origine d’un grippage administratif du fait de sa position, se met à monnayer des services censés être gratuits ou offerts par l’Etat pour une somme modique : « j’ai la possibilité de débloquer, donc je vends du déblocage. » Cette série d’ « entreprises privées » au sein de l’administration tunisienne pèse énormément sur les citoyens et leur bouche la vue. Cela gangrène l’administration et pervertit sa raison d’être. L’administration est ainsi désavouée et perd sa légitimité.

En outre, il faut comprendre que les Tunisiens n’ont pas vraiment une représentation négative de ce que les Occidentaux appellent « corruption ». Pour eux, c’est juste un petit arrangement, une petite magouille qui facilite la vie des uns et permet aux autres d’arrondir leurs fins de mois. Pourquoi en faire un drame ?

Plusieurs questions méritent d’être soulevées, à cet égard. Ces institutions créées par l’Occident et qui s’articulent autour de certains principes fondamentaux, tels que la rigueur, la redevabilité et l’honnêteté, sont-elles adaptées aux pays du tiers-monde, à un pays comme le nôtre ? Les liens sociaux qui unissent les Tunisiens dans l’espace public peuvent-ils être régis par des lois sévères et des règles rigoureusement déterminées ? Les Tunisiens accepteront-ils de s’y assujettir ?

Seule l’anthropologie peut nous aider à mieux comprendre cette corruption endémique qui ronge la société tunisienne.

* Universitaire

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