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Abir Moussi et le sit-in de la résistance et de l’espoir

Après dix ans de petits arrangements, de tractations sans gloires, de compromissions infâmes, de concessions sournoises et de déliquescence de l’autorité de l’État, les tunisiens n’ont plus le droit de se coucher face aux islamistes au pouvoir comme ils n’ont plus besoin de roulement de tambour de circonstance qui tiennent lieu de politique officielle. Ils doivent prendre conscience que la lutte contre l’islam politique est un combat de tous les jours.

Par Lotfi Maherzi *

Le sit-in de la colère organisé pat le Parti destourien libre (PLD) pour exiger la dissolution de la section tunisienne de l’Union des Oulémas Musulmans, filiale de l’organisation internationale des Frères musulmans, constitue un événement de première importance dans le combat contre l’islam politique et le terrorisme. C’est bien la première fois qu’un mouvement de protestation exceptionnel plante ses tentes à l’endroit désigné comme le lieu par excellence de l’obscurantisme et du terrorisme islamique. C’est aussi la première fois que, dans un sit-in, la contestation de nature politique se conjugue avec la réflexion et les revendications socio-économiques.

Le résultat est plutôt heureux : occuper symboliquement la place publique pour révéler aux Tunisiens l’objectif caché de ces organisations «savantes» et dans le même temps, communiquer, échanger et débattre avec des experts et des universitaires sur des thèmes importants de l’actualité comme le rôle de la culture dans la lutte contre le terrorisme, les dangers de la loi de finance complémentaire 2020 ou les réponses à apporter à la crise économique sévissant dans le pays depuis 2011.

Youssef Al-Qaradawi et la propagande guerrière de l’islam politique

Chaque soir, dans cette agora citoyenne, Abir Moussi enfonce le clou. Preuve à l’appui, elle prévient les militants et les sympathisants que la démocratie tunisienne fait face à une offensive globale de déstabilisation, menée à bas bruit pour cette pseudo association académique et par le douteux Centre d’étude de l’islam et la démocratie (CSID) dirigé par l’islamiste Radwan Masmoudi. Elle dénonce leur financement opaque et dévoile leur véritable stratégie de «réislamisation» des Tunisiens dans le seul but d’adopter un ordre théologique et politique dans lequel l’islam politique affirmerait son emprise sur la société.

Abir Moussi pointe du doigt le maître à penser de ces associations «savantes» : le prédicateur Youssef Al-Qaradawi, devenu la référence intellectuelle de la confrérie des Frères musulmans et de sa filiale tunisienne Ennahdha. Un prédicateur se présentant comme un modéré mais qui s’est illustré en réalité dans le monde arabe autant par des prêches de propagande jihadiste que par des réflexions théologiques et spirituelles. Pour de nombreux Algériens, son nom restera tristement gravé à la télévision algérienne où il a prôné durant de longues années un islam radical qui a inspiré plus tard le Front du salut islamique (FIS) dans sa terrible et folle barbarie terroriste. Puis il a rejoint la chaîne Qatari Al Jazeera pour animer l’émission religieuse ‘‘La charia et la vie’’. Mission : traiter pour le compte de la diplomatie qatarie de tous les sujets allant du soutien aux soulèvements des printemps arabes à la sinistre fatwa condamnant à mort le colonel Kadhafi, en passant par sa justification religieuse des attentats suicides, par ses appels au jihad en Syrie et à la mobilisation des fidèles contre l’emprise laïque occidentale sans parler des blâmes qu’il adresse régulièrement aux femmes violées qu’il accuse d’être coupables de leurs malheurs, sous prétexte qu’elles provoqueraient elles-mêmes les agressions sexuelles dont elles sont victimes par leur comportement et leurs tenues vestimentaires.

Telle une tâche d’huile, ces prêches se répandent dans le monde arabo-musulman et inspirent directement ou indirectement tout musulman tenté par le jihad en Syrie ou par d’autres aventures terrorises. On ne peut évidemment passer sous silence l’aspect purement guerrier de ces sermons qui, par intimidation ou séduction, mettent la pression sur des millions de musulmans pour leur faire imposer ses thèses. En fait, il feint de servir l’islam alors qu’il use d’une rhétorique de violence en prônant le fanatisme, le meurtre des homosexuels, les attentats suicides, l’obscurantisme, la haine et la misogynie.

S’il est aujourd’hui déclaré persona non grata dans de nombreux pays arabes et occidentaux pour apologie du terrorisme, il continue à inspirer l’ensemble de la mouvance islamiste mondiale des Frères musulmans et vit en citoyen qatari des jours paisibles couvert de dollars et de privilèges.

On comprend dès lors la pertinence de ce rassemblement de la colère contre cette présumée académie religieuse qui relaye en sourdine l’idéologie des Frères musulmans et la propagande guerrière de ce prédicateur. Mais on ne comprend en revanche toujours pas comment cette association dangereuse a réussi à s’imposer auprès de tous les gouvernements successifs, bénéficiant d’aveuglements volontaires et de silences gênés des politiques tunisiens.

L’aveuglement volontaire des élites politiques et des bien-pensants démocrates

Pourquoi ce manque de réactivité ? Pourquoi une justice aphone et un parlement complaisant qui refuse de muscler l’arsenal législatif pour dissoudre ici une association extrémiste, là fermer une mosquée fondamentaliste ailleurs une école de radicalisation de jeunes Tunisiens ? Par légèreté, par lâcheté mais aussi parce que ces organisations savantes ont bénéficié de ce qu’il faut bien appeler la complicité d’une partie de la magistrature, d’élus au sein d’un parlement acquis à leur cause, de dirigeants politiques au sommet de l’Etat, d’avocats qui ont accès aux plus hautes sphères de l’administration mais aussi de relais dans la presse et les médias. Elles ont pu compter aussi sur leurs argentiers extérieurs qui financent la cause, leurs activistes qui déversent leur haine sur les réseaux sociaux et leurs prêcheurs qui remplissent les mosquées.

Elles ont pu également compter sur cette nébuleuse pseudo démocrate bien-pensante qui, toute honte bue, a préféré rester silencieuse chaque fois qu’Abir Moussi a résisté courageusement au risque de sa vie aux menaces physiques et aux diktats mortifère des élus du parti fasciste Al-Karama. Ces bien-pensants à la pensée molle et dangereuse ont préféré perdre un temps précieux à dénigrer la clairvoyance politique d’Abir Moussi et préparer sans le savoir le lit de la dictature islamiste au lieu de rejoindre le combat commun de la résistance. Mais ce que ces derniers ne savent pas, c’est que ces officines et leur organisation mère ne reculeront devant rien. Car, elles ont tout : la constitution, la loi électorale, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), le consensus, l’argent, les mosquées… et le temps. C’est un rouleau compresseur, et si les Tunisiens ne lui résistent pas comme le fait vaillamment Abir Moussi et de plus en plus de citoyens, elles écraseront tout sur leur chemin : la démocratie, les libertés individuelles, les esprits libres et termineront avec les bien-pensants rompus à la rhétorique du «tawafeq» (consensus).

Une volonté discrète de changer la vie des tunisiens

Après dix ans de petits arrangements, de tractations sans gloires, de compromissions infâmes, de concessions sournoises et de déliquescence de l’autorité de l’État, les tunisiens n’ont plus le droit de se coucher face aux islamistes au pouvoir comme ils n’ont plus besoin de roulement de tambour de circonstance qui tiennent lieu de politique officielle. Ils doivent prendre conscience que la lutte contre l’islam politique est un combat de tous les jours.

La bataille certes sera rude car la longue passivité des islamo-démocrates au pouvoir depuis une décennie a permis à l’islam radical de marquer des points sur tous les terrains à la fois : intellectuel, politique, sociale, éducatif, sécuritaire. La mécanique d’Ennahdha est en effet bien en place avec cette volonté de mettre en place un écosystème idéologique et religieux en rupture avec la société civile tunisienne. Un écosystème où la référence religieuse s’impose désormais non seulement dans les mosquées mais aussi dans les autres activités civiles, professionnelles, commerciales, culturelle ou sportives.

Cette volonté discrète de changer la vie des Tunisiens dans un domaine vital à la démocratie, soulève le problème de la cohésion nationale. Car ce n’est pas uniquement le riche patrimoine culturel tunisien ni les valeurs millénaires d’un islam paisible et serein qui sont en péril, mais toute la civilisation et la culture arabo-judéo-musulmane et méditerranéenne dont elle est porteuse. Alors dans ce scénario sombre, les traditions de tolérance et le vivre ensemble élément clé de la vie sociale qui font de la Tunisie une nation curieuse du monde, risque de disparaître définitivement.

C’est pour cela qu’il est urgent, dans cette hypothèse obscure, d’envisager quelques ajustements stratégiques essentiels si les Tunisiens veulent vraiment gagner la bataille de la transition démocratique : taire toutes les querelles stupides entre démocrates pour promouvoir une large union républicaine; regarder ensemble vers l’avenir qui s’annonce difficile pour tout le monde, afin de reconstruire, sans calculs ni ambitions politiques, l’autorité de l’État; dénoncer et combattre tous ceux qui utilisent le discours de la haine et de l’obscurantisme; et accepter à l’évidence que la Tunisie est autant une république civile qu’une terre musulmane.

Pour cela, comme toujours dans des situations où la démocratie vacille, revient la seule question qui vaille en politique : celle du courage. Ce courage qui a tant manqué aux hommes politiques tunisiens, c’est celui aujourd’hui de Moussi, qui en dépit des menaces, continue de clamer haut et fort ce front républicain pour chasser l’islam politique. Ce courage, ce fut aussi celui d’un homme qui, alors que la meute d’Ennahdha et de l’islam radical s’acharnaient à le salir, ne leur a rien cédé. Il s’appelait Chokri Balaid et son nom ne doit pas être oublié.

* Universitaire.

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