Accueil » Le poème du dimanche: ‘‘Le matin de la séparation’’ de Kenji Miyazawa

Le poème du dimanche: ‘‘Le matin de la séparation’’ de Kenji Miyazawa

Kenji Miyazawa, né le 27 août 1896 à Hanamaki et décédé dans la même ville le 21 septembre 1933, est un grand poète japonais. Il fut également connu pour sa ferveur bouddhique, son militantisme social et son engagement pour les paysans pauvres. Le présent poème est traduit du japonais par Naoyuki Sawada.

Kenji Miyazawa naît le 27 août 1896 à Hanamaki, ville située dans la région plutôt pauvre d’Iwate située dans le nord-est du Japon, dans une famille aisée de commerçants de vêtements. Très jeune, il est ému par le sort de la paysannerie et tout particulièrement les problèmes liés au faible rendement des sols pauvres de la région. À cette époque, de fortes pluies sont à l’origine d’une succession de mauvaises récoltes, causant des problèmes sanitaires nombreux, malnutrition, dysenterie.

Enfant, à l’âge de six ans, il est hospitalisé en raison de la dysenterie bacillaire, une épidémie qui touche régulièrement et durement le Japon de l’époque, et dont le bacille (la Shigella dysenteriae) est découverte en 1896 par le docteur japonais Kiyoshi Shiga. À l’âge de 13 ans, il entre en pension pour suivre des études au collège. C’est durant cette période qu’il écrit ses premiers poèmes, sous la forme de tankas, poèmes traditionnels japonais composés de trente-et-une mores. Il débute également une collection de minéraux, car il s’intéresse fortement à la géologie et se lance dans des études d’agronomie afin de pouvoir aider un jour la communauté agricole.

L’intérêt et l’engagement de Miyazawa pour le monde rural sont une source de désaccord avec son père qui souhaite que son fils aîné reprenne l’affaire familiale. Étudiant doué, il intègre l’École supérieure d’agronomie de Morioka (devenue depuis lors le département d’agriculture de l’université d’Iwate), de renommée nationale, où il suit des études de géologie. Il est major de la promotion 1915. Sa passion pour la géologie, les mathématiques, l’astronomie transparaît dans ses œuvres. Il finit ses études avec mention. Durant quelques années, il travaille en tant que chercheur pour cette école et porte ses études sur l’amélioration de la fertilité des sols et les engrais avant de démissionner pour partir pour Tokyo.

Miyazawa passera quelques mois dans l’effervescence de la grande ville, se consacrant à l’écriture et s’intéressant au milieu culturel. C’est la grave maladie de sa sœur cadette, Toshiko (avec qui, au sein d’une famille avec laquelle les rapports sont souvent houleux, il a tissé des liens très forts), qui le conduit à revenir à Hanamaki. La jeune femme a contracté une grave maladie et meurt le 22 novembre 1922. Il demeurera profondément marqué par cette perte. D’ailleurs, ce poème lui est consacré.

Miyazawa exerce de 1921 à 1933 la fonction de professeur à l’école agricole de Hanamaki. La dureté et la pauvreté de la région dans laquelle il vit et la disparition de sa jeune sœur, auront une forte influence sur son œuvre. Le thème de la disparition précoce de l’être cher apparaît souvent dans ses nouvelles, que ce soit dans ‘‘Train de nuit’’, ‘‘La voie lactée’’ ou dans ‘‘L’hommage à la Malibran’’.

Le poète tombe gravement malade en raison d’une pleurésie mal soignée et retourne alors auprès de sa famille. Il succombe d’une tuberculose le 21 septembre 1933, à l’âge de 37 ans.

Aujourd’hui même,
tu t’en vas très loin, ô ma sœur !
il tombe de la neige fondue et dehors il règne une clarté étrange.
(Va prendre de la neige, s’il te plaît)

Des nuages mornes et rougeâtres
la neige fondue tombe en flocons détrempés.
(Va prendre de la neige, s’il te plaît)

Pour recueillir de la neige que tu vas manger,
dans ces deux bols ébréchés
aux dessins de feuilles de lotus
j’ai fait un saut dans cette grisaille de neige fondue
comme une balle déviée.
(Va prendre de la neige, s’il te plaît)

Des obscurs nuages couleur de plomb
une neige fondue s’effondre en flocons détrempés.
O Toshiko,
maintenant, quand la mort t’emporte
tu me demandes
un bol de neige si fraîche
pour illuminer toute ma vie.
Merci, petite sœur courageuse,
Moi aussi, j’avance tout droit.
(Va prendre de la neige, s’il te plaît)

Essoufflée avec cette fièvre intense
tu m’as demandé
un dernier bol de neige tombé de ce ciel,
appelé voie lactée, soleil ou atmosphère…
… Sur deux blocs de granit taillés
la neige fondue s’entasse tristement,
je me mets dessus en équilibre.

De cette branche de pin, lisse,
couverte de gouttes froides et transparentes
gardant la dualité de la neige et de l’eau,
je recueille la dernière nourriture
pour ma gentille petite sœur.

Tu dois aussi dire adieu
à ce dessin bleu indigo des bols
qui nous était familier pendant notre enfance.
(moi, de mon côté, je vais seul)
aujourd’hui tu vas vraiment nous quitter.

Ô, sœur courageuse
pâle et douce comme enflammée
derrière le paravent sombre
dans cette chambre close.

Où recueillir le bloc de neige ?
tout est trop blanc.
Du ciel trouble et effrayant,
est venue cette neige si sereine
(à ma prochaine naissance
je voudrai ne pas souffrir
seulement pour moi)

Cette neige que tu vas manger,
je souhaite de tout mon cœur
qu’elle se transforme en nourriture céleste
et qu’elle vous apporte à toi et aux autres
une substance sacrée.

Je le souhaite aux dépens de mon bonheur.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!