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Le poème du dimanche : ‘‘Ici’’ de Guennadi Aïgui

Le grand poète tchouvache (la Tchouvachie, fondée en 1920, est une république de la Fédération de Russie) Guennadi Aïgui est né en 1934, décédé en 2006, à Moscou. Il écrit en russe et en tchouvache. Il est considéré comme le Mallarmé de son pays, selon le mot du metteur en scène, Antoine Vitez, avec lequel il était ami.

Guennadi Aïgui retrace dans sa poésie une enfance descendant des Huns, ce peuple nomade d’Asie centrale. Il «explore le continent poétique oublié du sommeil pour y retrouver la mémoire ancestrale et le lieu d’exercice d’une liberté sans entraves… Le poème incarne dans sa forme même l’effort et l’exaltation de la pensée», écrit son éditeur, Pierre Seghers.

Grâce à son traducteur, Léon Robel, sa poésie est aujourd’hui accessible aux lecteurs de langue française chez différents éditeurs.

Poète, traducteur de poésie française, il est l’auteur, entre autres, de ‘‘Festivités d’hiver’’, 1978 ; ‘‘L’enfant-la rose’’, 1992 ; ‘‘Toujours plus loin dans les neiges’’, 2005; ‘‘L’œil des champs, anthologie de poésie tchouvache’’.

Sa poésie reste probablement méconnue dans la langue arabe.

Tahar Bekri

Ici
comme sur des fourrés dans la forêt nous avons jeté notre dévolu
sur l’espace des caches
qui protègent les hommes

et la vie s’éloignait en elle-même comme un chemin dans la forêt
et commença à me sembler son hiéroglyphe
le mot «ici»

et il signifie et la terre et le ciel
et ce qui est à l’ombre
et ce que nous voyons de nos propres yeux
et ce dont je ne peux faire part en des vers

et le secret de l’immortalité n’est pas plus haut que le secret
d’un buisson éclairé par la nuit d’hiver
que le branches blanches au-dessus de la neige
que les ombres noires sur la neige

ici tout se répond
en une langue primordiale et haute
comme répond une part de la vie
à la part contiguë indestructible

ici aux extrémités
frisées des branches du jardin apaisé
nous ne cherchons pas les caillots affreux de la sève
qui ressemblent aux silhouettes affligées
étreignant un crucifié au soir du malheur

et nous ne connaissons pas de mot et de signe
qui seraient plus hauts qu’un autre
c’est ici que nous vivons ici que nous sommes beaux

et c’est ici qu’en nous taisant nous troublons le réel
mais si nos adieux avec lui sont rudes
la vie y participe aussi
comme d’elle-même
une nouvelle à nous inaudible

et s’écartant de nous
comme le reflet d’un arbuste dans l’eau
elle restera tout à côté
pour ensuite occuper
notre place

pour que les espaces des hommes ne soient remplacés
que par les espaces de la vie
en tous temps

1958

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