Les deux communiqués, tunisien et américain, rendant compte de la conversation téléphonique du président de la république Kais Saied avec la vice-présidente des États-Unis Kamala Harris, mardi 11 mai 2021, ont été plus que légèrement différents. Et cela suscite des interrogations et ouvre la porte aux interprétations. Décryptage…
Par Imed Bahri
Bien entendu, les liens d’amitié, solides et enracinés, entre la Tunisie et les Etats-Unis, et les grandes étapes de leur histoire commune ont été soulignés par les deux parties, ainsi que la nécessité de renforcer ces relations remontant à plus de 200 ans.
La coopération sécuritaire entre Tunis et Washington et la situation économique, financière et sociale en Tunisie impactée par la pandémie de la Covid-19 ont également été évoquées par les deux hauts responsables, ainsi que la nécessité de combattre la corruption et de procéder aux réformes économiques impérieuses.
Divergence de vues sur l’évolution de la transition en Tunisie ?
Cependant, du côté tunisien, on a tenu à mettre en exergue «la nécessité de lutter contre la corruption comme un pilier de l’Etat de droit et de la démocratie», alors que le département d’Etat américain a souligné, de son côté, «the importance of democratic institutions, the rule of the law» («l’importance des institutions démocratiques, la primauté du droit».
Dans cette formulation plus que légèrement différente, certains analystes lisent, en filigrane, la divergence des vues des deux parties sur l’évolution de la transition démocratique en Tunisie.
Le président de la république, fidèle à ses positions exprimées antérieurement, croit de moins en moins à la démocratie représentative telle qu’elle a été mise en place en Tunisie par la constitution et la loi électorale post-2011, et qui a été, selon lui, dévoyée par les partis politiques, acoquinés avec les groupes d’intérêts et les lobbys de la corruption.
Or, en insistant sur «l’importance des institutions démocratiques» et «la primauté du droit», les Etats-Unis semblent souligner, sans le dire ouvertement, la nécessité de mettre en place rapidement la Cour constitutionnelle, comme une garantie de l’Etat de droit.
Ce point de vue, qui a déjà été exprimé par les adversaires du président de la république et notamment par les dirigeants du parti islamiste Ennahdha, M. Saïed ne partage pas puisqu’il ne montre aucune hâte à voir ladite Cour constitutionnelle lui disputer le pouvoir régalien d’interprète suprême de la constitution, tâche revenant de fait et de droit au chef de l’Etat en l’absence d’une Cour constitutionnelle.
Kaïs Saïed a-t-il le dos au mur ?
«Il n’est pas difficile de comprendre les raisons de cette divergence : le rejet des institutions et le refus d’installer le tribunal constitutionnel par le président Kaïs Saïed sont mal vus par les bailleurs de fond dont les Etats Unis et c’est une question qui risque de faire de l’ombre aux relations par ailleurs exemplaires des deux pays», écrit, à ce propos, Faouzi Ben Abderrahman, l’ancien ministre l’Emploi et de la Formation professionnelle, dans un post Facebook publié hier, jeudi 13 mai.
Est-ce à dire que les partenaires internationaux de la Tunisie, notamment les Etats-Unis et l’Union européenne, sollicités pour aider notre pays à mobiliser des financements auprès des bailleurs de fonds internationaux, risquent de lui faire faux bond et de conditionner cette aide par la résolution de la crise politique paralysant la transition en cours et qui oppose les trois piliers de l’Etat : la présidence de la république, d’un côté, et de l’autre, la présidence de l’Assemblée et celle du gouvernement ?
Certains analystes estiment que face à l’insistance des bailleurs de fonds et notamment du Fonds monétaire international (FMI) sur la nécessité pour la Tunisie de résoudre ses problèmes politiques, qui sont pour une large part à l’origine de ses problèmes économiques, le chef de l’Etat va être amené, tôt ou tard, à être moins rigide dans ses positions, à faire preuve de pragmatisme et à tenir compte des exigences de la conjoncture nationale, régionale et internationale marquée par une crise multiforme. Il y va de l’avenir même de la Tunisie, et, par conséquent, de celui du président Saïed, car la poursuite du blocage politique actuel et l’aggravation de la crise économique pourraient faire fondre comme neige au soleil la popularité dont le créditent (pour combien de temps encore ?) les sondages d’opinions.
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