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Rebondissement dans l’affaire de la BFT, mais serait-ce vraiment la fin ?

Le personnel de la BFT ne manifeste plus car il a été très grassement… remercié.

La décision est grave et va avoir des conséquences catastrophiques sur l’image de la Tunisie auprès des investisseurs étrangers. Elle a été prise avant-hier soir, vendredi 27 août 2021, presque en catimini, et dans le dos du président de la république Kais Saïed, qui en assumera, au final, la responsabilité, sinon légale du moins morale : la Banque franco-tunisienne (BFT), objet d’un litige examiné par le Cirdi, l’organisme international d’arbitrage dans les affaires liées à l’investissement, a été mise en situation de liquidation. Par un coup de baguette magique…

Par Ridha Kefi

Les responsables de la Banque centrale de Tunisie (BCT), et à leur tête le gouverneur Marouane Abassi, qui ont pris cette décision, croient-ils avoir mis fin à cette affaire qui remonte au milieu des années 1980 et qui a impliqué, depuis cette date, des dizaines de hauts responsables de l’Etat tunisien ?

«C’est la plus grave affaire de corruption que la Tunisie a connue», avait déclaré un jour, et à juste titre, dans un entretien télévisé, l’ancien chef de gouvernement Youssef Chahed, qui ne put rien faire pour régler cette affaire impliquant de gros poissons ayant bénéficié de gros crédits de cette banque, souvent sans garantie aucune, et qui ne les ont pas remboursés ou les ont partiellement remboursés. Gros poissons qui ont réussi à «acheter» la complicité des partis politiques au pouvoir et des hauts cadres de l’Etat qui ont œuvré, quarante ans durant, pour empêcher l’assainissement des comptes de la BFT par le recouvrement de ses crédits cramés.

Faire disparaître les traces du crime

Cette affaire sera-t-elle enterrée pour autant avec la décision pour le moins cavalière et irresponsable prise avant-hier soir par la BCT ? Qu’on nous permette d’en douter. Car la partie adverse, à savoir le fonds d’investissement néerlandais ABCI, qui avait acheté cette banque il y a plus de quarante ans, avant d’en être dépouillé par… l’Etat tunisien, ne se laissera sans doute pas conter, car l’affaire fait officiellement l’objet d’une opération de règlement à l’amiable entre l’Etat tunisien et ABCI sous le vigilant et impartial arbitrage du Cirdi, une institution dépendant de la Banque mondiale. ABCI n’a aucune raison de lâcher le morceau, d’autant que l’Etat tunisien a vu sa responsabilité reconnue dans cette affaire par un verdict préliminaire du même Cirdi, en juillet 2017.

Les instigateurs du coup de force d’avant-hier ont suivi presque à la lettre un vieux plan de résolution de l’affaire établi par Nadia Amara épouse Gamha, vice-présidente de la BCT, et avalisé par le gouvernement en conseil des ministres et par le gouverneur Abassi, ancien universitaire ayant pris le train en marche. Si on en a accéléré la mise en route c’est par crainte de voir le président Kaïs Saïed, qui mène une guerre contre la corruption, se pencher sur cette affaire et exiger un rapport délimitant les responsabilités dans son pourrissement. C’était donc une décision inspirée par la panique, d’où ses conséquences prévisibles à court et moyen termes. Car il n’est pas dit qu’ABCI et le Cirdi se laissent ainsi berner par un Etat aux abois. Et qui fait n’importe quoi.

Comment a-t-on procédé ? Un certain Hassen Sghairi, ancien cadre de la Biat recruté par la BCT en tant que délégué à la résolution de l’affaire de la BFT, n’a fait qu’achever un processus déjà engagé depuis un certain temps. On a ainsi procédé à des licenciements massifs des cadres et employés. Ces derniers ont bénéficié de la retraite anticipée et de primes de départ de 28 mois de salaires. Certains directeurs ont même sollicité et obtenu un crédit au montant assez alléchant : 280.000 DT pour l’un d’eux. C’est pourquoi on ne les a plus entendus manifester devant le siège de la banque au quartier de Monplaisir à Tunis.

On a aussi, dans le même temps, procédé à la fermeture de plusieurs agences, notamment les plus importantes, comme celles de Tunis et de l’Ariana, les faisant parfois fusionner et regrouper en un seul lieu, de manière à en réduire les activités et, par conséquent, le personnel. Il y a eu environ 120 sorties à la retraite en moins d’un an, de sorte que la banque pourra continuer à fonctionner, pour un petit bout de temps, avec une vingtaine de personnes.

Pour faire diversion, on a aussi fait un effort de recouvrement des crédits auprès des petits poissons. Les gros poissons, quant à eux, ont vu leurs ardoises tout simplement effacées.

La BCT a, de son côté, fermé le robinet et la Société tunisienne de banque (STB), principal actionnaire de la BFT, s’est, elle aussi, désengagée.

La BCT lave plus blanc

Le fruit était mûr (ou plutôt pourri) et il ne restait plus que de le laisser tomber, d’autant que cette solution fait l’affaire de beaucoup de monde : les hommes d’affaires corrompus qui se sont enrichis sur le dos des petits épargnants, les hauts cadres de la nation qui les ont servis avec zèle et se sont trouvé impliqués à l’insu de leur plein gré dans «la plus grave affaire de corruption que la Tunisie a connue» (Chahed Dixit) et, bien entendu, les autres établissements bancaires de la place, qui ont vu leur part de marché augmenter en s’attirant les anciens clients de la BFT.

Aux yeux de ses instigateurs, la décision d’avant-hier aura trois conséquences principales : 1- il n’y aura plus de possibilité de recouvrement des créances cramées, qui s’élèvent à des centaines de millions de dinars (cadeau du contribuable tunisien aux plus pourris des acteurs économiques du pays); 2- il n’y aura plus, non plus, d’évaluation des comptes de la banque ainsi mise en situation de liquidation, ses archives ayant été, entre-temps, détruites (les «auteurs du crime» pourront désormais dormir sur leurs deux oreilles); 3- il n’y aura plus de BFT, donc plus d’«affaire BFT», et plus de nécessité pour la poursuite de l’arbitrage du litige opposant l’Etat tunisien à ABCI à son sujet.

Il reste à savoir si la partie adverse, ABCI en l’occurrence, va avaler une aussi grosse couleuvre sans réagir. On peut parier qu’une fois cette décision ébruitée (c’est déjà fait) et confirmée par les autorités, les responsables du fonds d’investissement néerlandais saisiront à nouveau le Cirdi et cela fera une très belle publicité pour un pays qui n’attire déjà plus d’investissements étrangers et qui, au vu de l’évolution de la situation, ne risque pas d’en attirer davantage à l’avenir.

C’est ainsi qu’un pays est détruit par ses propres enfants…

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