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Tunisie : la fin du compromis historique entre Destouriens et islamistes

Les affinités toxiques, de droite à gauche : Ridha Chiheb Mekki, alias Ridha Lénine, éminence grise de Kais Saied, Ajmi Lourimi (Ennahdha) et Mohamed Ghariani (ancien RCD devenu nahdhaoui).

La classe politique tunisienne, souvent portée sur les compromis et les compromissions historiques, devra en finir avec les petits jeux (naïfs ou opportunistes) de ceux qui défendent Rached Ghannouchi et croient que son parti Ennahdha est devenu incontournable et indispensable à la vie politique tunisienne; maintenant que la stratégie destructrice des Frères musulmans est on ne peut plus évidente.

Par Rachid Barnat

Les Américains pour affaiblir les empires coloniaux, et plus particulièrement les empires français et anglais, ont encouragé les peuples colonisés à la création d’Etats-nations, reprenant une idée initiée et propagée par Napoléon. Leur soutien aux militants nationalistes dans leur lutte pour la libération de leur pays est indéniable mais pas sans arrière pensée; puisqu’ils escomptaient bien «récupérer» ces pays libérés du colonialisme français et anglais, dans le giron du nouveau impérialisme américain !

Au péril rouge, les Américains ont préféré le péril vert

Une fois l’indépendance acquise et les empires coloniaux disloqués, les Américains, dans leur phobie permanente et quasi obsessionnelle du communisme, veulent empêcher la propagation du communisme dans les pays nouvellement indépendants, en s’appuyant sur leurs leaders charismatiques. Si Gamel Abdel Nasser s’était détourné d’eux pour se jeter dans les bras de l’URSS, leur ennemi juré, ce ne sera pas le cas pour la Tunisie où, pour donner l’illusion d’une démocratie, les Américains «conseilleront» à Habib Bourguiba le pluralisme en autorisant les islamistes mais en interdisant les communistes ! Autrement dit, au péril rouge, ils ont préféré le péril vert, persuadés qu’il restera cantonné dans les pays dits «arabo-musulmans».

Ce que fera Bourguiba, dès le début des années 1970, ou qu’on fera pour lui plus exactement, lui-même étant malade en plein dans sa dépression dont il ne se remettra jamais, malgré ses fréquents séjours en Suisse. C’est ainsi que certains Destouriens ont choisi de pactiser avec les islamistes, dans l’espoir de les utiliser pour mieux les neutraliser.

A-t-on profité de l’absence physique ou mentale du visionnaire Bourguiba pour ouvrir la porte aux islamistes ? Sûrement oui car, lucide et en possession de ses facultés mentales, cet homme féru d’histoire ne se serait pas rapproché des islamistes, sachant pertinemment que le panislamisme dogmatique est antinomique du nationalisme libéral des Destouriens qui avaient libéré le pays et bâti la Tunisie moderne, en en faisant une nation bien définie et une république dont les institutions sont copiées sur le modèle français, fruit des Lumières dont Bourguiba s’était nourri.

Inconscience ou opportunisme de certains Destouriens

Ce que refera Béji Caid Essebsi en s’alliant à Ghannouchi, «conseillé» nous dit-on par les Etats-Unis et l’Union européenne, quand il avait trahi ses électeurs et surtout ses électrices, auxquels il promettait d’être leur rempart contre les Frères musulmans, alors qu’il avait fait un deal avec leur leader Rached Ghannouchi lors de leur rencontre «secrète» à Paris. Lui aussi se persuadait de neutraliser Ennahdha en s’alliant à Ghannouchi et escomptait refaire le coup de François Mitterrand à Georges Marchais. Sauf que n’est pas Mitterrand qui veut et que les Frères musulmans ont un soutien financier illimité de la part de l’émir de l’émirat du Qatar, qui se rêve le bœuf de la fable de La Fontaine et croit pouvoir tout acheter avec ses pétrodollars, pour jouer dans la cour des grands.

Et depuis que ces Destouriens sans principes – et en totale contradiction avec la doctrine du parti – avaient banalisé l’alliance avec les Frères musulmans, de plus en plus de progressistes ont fini par croire Ennahdha incontournable et indispensable à la vie politique tunisienne. Certains Destouriens, malgré 10 années de pouvoir islamiste, croient encore pouvoir redresser le pays avec ceux-là mêmes qui l’ont mis à genou ! Inconscience ? Ou simple opportunisme ?

Un pseudo «printemps arabe» peut en cacher un autre

Si la fumeuse «révolution du jasmin» du 14 janvier 2011 avait pour but d’éliminer de la scène politique le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), «la révolte du peuple» du 25 juillet 2021 semble orientée contre les Destouriens, du moins contre ceux qui refusent toute alliance avec les Frères musulmans et qui les combattent ouvertement, comme le Parti destourien libre (PDL) qui revient à ses fondamentaux en tirant les leçons des erreurs commises par les Destouriens en 100 d’existence.

Or le 25-Juillet marque aussi un coup d’arrêt au cirque des trois pouvoirs exécutifs, quand Kaïs Saïed a sifflé la fin de la récréation. Seulement voilà, le «peuple» se persuade que Kaïs Saïed veut mettre un terme à l’islam politique et qu’il les avait débarrassés de Ghannouchi et de ses Frères musulmans. Mais une fois de plus le «peuple» sera manipulé et se réveillera un jour en disant qu’il a été trompé, quand il découvrira que Ghannouchi restera probablement derrière sa doublure Mohamed Goumani, le «musulman de gauche», ami de Naoufel Saïed, le frère du président. Que son mea-culpa et le sacrifice de sa personne pour son parti et sa patrie ne sont qu’une suite de comédies. Et qu’un pseudo «printemps arabe» peut en cacher un autre. Et depuis, des propositions fusent de partout pour trouver des solutions aux crises politique, économique et sanitaire que connaît le pays.

L’«islamisme modéré» n’a jamais existé et n’existera jamais

Pour contrer l’islam politique, certains proposent un nouveau concept, celui de «Démocrates musulmans», à l’instar des «Démocrates chrétiens». Ce qu’expliquaient déjà Ghannouchi et ses Frères musulmans aux Occidentaux, que «l’islamisme radical» effraye, pour les amadouer avec leur «islamisme modéré», qu’ils leur vantaient en le comparant à la «démocratie chrétienne». «Islamisme modéré» que les Tunisiens découvrent tout comme les Occidentaux être une supercherie; puisque «l’islamisme modéré», tout comme «l’islam du centriste» («al-islam al wasati») et «l’islam de gauche» (dernière trouvaille des Frères musulmans)… tous ont pour référent Youssef Qaradaoui, le guide spirituel des Frères musulmans, installé par l’émir du Qatar président de l’Organisation mondiale des savants musulmans.

Devant la méfiance des Tunisiens et des Occidentaux, Ghannouchi poussera la supercherie jusqu’à renier son appartenance à l’organisation mondiale des Frères musulmans, dont il est l’un des principaux dirigeants. Mieux encore, il annoncera, lors du congrès d’Hammamet, en mai 2016, qu’Ennahdha laisse la «religion» aux religieux et devient un parti politique «civil» comme les autres; alors qu’il figure toujours, lui et des membres de son parti, dans l’organigramme de l’Organisation mondiale des Frères musulmans… où il siège dans le bureau politique !

Alors il faut en finir avec ces petits jeux (naïfs ou à dessein) de ceux qui défendent Ghannouchi et croient que son parti Ennahdha est devenu incontournable et indispensable à la vie politique tunisienne; maintenant que la stratégie des Frères musulmans de destruction des républiques arabes est on ne peut plus évidente.

Les Destouriens doivent corriger les erreurs de leurs prédécesseurs

L’unique remède contre l’islam politique est de l’interdire, en interdisant constitutionnellement les partis politiques qui instrumentalisent la religions, et d’inscrire la laïcité dans la constitution de la future 3e république tunisienne, ce qui a le mérite de séparer la religion de l’Etat et de la renvoyer dans la sphère du privée, en confirmant définitivement la primauté du droit civil sur toutes les lois religieuses, toutes religions confondues.

Alors que d’autres voient dans le référendum, la panacée pour en finir avec la dictature des partis; reprenant une idée fixe de Kaïs Saïed d’instaurer une démocratie participative émanant de la base. Idée farfelue trahissant un président plutôt utopique qu’homme politique. Mais comme le reconnaît le journaliste Tarek Mami, la Tunisie n’est pas la Suisse. Les Tunisiens sont encore loin de la culture politique et du civisme des Suisses, pour être consultés à tout bout de champ.

Alors faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain parce que certains Destouriens se sont compromis avec les islamistes ? Ce n’est pas parce que quelques Destouriens ont trahi leurs idéaux, qu’il faut jeter aux oubliettes leur parti, l’œuvre et les sacrifices des milliers d’authentiques militants. Ce sont les Destouriens qui avaient libéré et construit la Tunisie moderne. Il leur revient de poursuivre l’œuvre de leurs prédécesseurs et d’en corriger les erreurs car ce ne sont pas les panarabistes ni le communiste Hamma Hammami, qui soutiennent Ennahdha, qui sortiront le pays de l’ornière où l’avaient mis Ghannouchi et ses «Frères» !

Il est curieux que beaucoup sont disposés à croire sur parole les métamorphoses qu’annoncent les dirigeants d’Ennahdha alors qu’en dix ans de pouvoir, ils ont ruiné la Tunisie, passant tour à tour d’un «islamisme radical» à un «islamisme modéré», puis à un «islam centriste», pour devenir un «parti civil laissant la religion aux religieux» et enfin de reprendre la religion en annonçant l’«islamisme de gauche»; alors qu’ils dénient aux Destouriens d’évoluer et de corriger les erreurs de leurs prédécesseurs !

A moins que ce ne soit à dessein …

Blog de l’auteur.

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