La délégation de congressmen américains devant effectuer une visite officielle en Tunisie, ce samedi 4 septembre 2021, doit se demander pourquoi Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (parti en tête des sondages d’opinion depuis le début de l’année et même avant) a décliné l’invitation de l’ambassadeur des États-Unis à Tunis de déléguer son chargé des relations extérieures pour participer à une table-ronde à l’ambassade, réunissant ladite délégation avec des parlementaires tunisiens, au moment où le parti islamiste Ennahdha fait tout à Tunis comme aux États-Unis pour être dans la bonne grâce de l’establishment américain. Pas que lui bien sûr, mais il est le plus représentatif de cette asservissement aux desiderata des Etats-Unis. Les raisons de ces deux positions diamétralement opposées méritent d’être élucidées.
Par Raouf Chatty *
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la présidente de ce parti, Abir Moussi, oppose un tel refus. Les médias se sont fait l’écho depuis quelques mois de son refus de s’entretenir avec un représentant de l’ambassadeur américaine dans les locaux de l’ambassade, exigeant la présence de celui-ci en personne au siège de son parti, ce qui fut fait ultérieurement…
La délégation américaine, conduite par le sénateur du Connecticut, Chris Murphy, trouvera une réponse objective à ces deux questions essentielles et à ses autres interrogations sur l’état de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés publiques en Tunisie suite aux décisions historiques du président de la république, annoncées le 25 Juillet dernier, si elle prendrait la peine de solliciter des autorités, le cas échéant, des contacts directs avec de «vrais» Tunisiens, c’est-à-dire les 87% de citoyens qui soutiennent Kaïs Saïed selon le dernier sondage d’opinion du cabinet Emrhod Consulting, et pas seulement des «clients» habituels triés sur le volet par les services de l’ambassade.
Une pseudo-démocratie dévoyée par des partis politiques corrompus
La délégation parlementaire américaine pourrait ainsi consacrer quelques moments pour se rendre dans les principales artères de la capitale où à l’intérieur du pays pour discuter de ces questions à bâtons rompus avec les citoyens électeurs… dont une écrasante majorité ne va plus aux bureaux de vote, écœurée qu’elle est par une pseudo-démocratie dévoyée par des partis politiques corrompus et des groupes d’intérêts qui ont détruit l’économie du pays.
Certes, cette méthode ne pas fait pas partie des usages et coutumes des relations entre États souverains. Elle pourrait prêter à confusion voire choquer certains pseudos souverainistes. Mais nous sommes aujourd’hui plus que jamais dans un monde en mouvement. Cette démarche a l’avantage du contact direct, sans maquillage ni détournement ni manipulation. Elle pourrait permettre à la délégation de dissiper les malentendus et les suspicions liés à ce genre de visites dans l’esprit de l’opinion publique et surtout d’obtenir des réponses spontanées et plus proches de la réalité à toutes les questions posées.
Menés de manière inopinée, ces contacts directs ne comporteront pas de risques sécuritaires, comme on serait tenté de le penser, car une surveillance intelligente et efficace est toujours possible à mettre en place en collaboration avec les autorités. Ils démontreront aux Tunisiens que la plus grande démocratie au monde, les États-Unis d’Amérique, sont réellement soucieux du renforcement des relations entre les deux pays, de connaître la réalité de la situation, d’être juste vis-à-vis de toutes les parties et d’aider la Tunisie à relever les défis auxquels elle fait face aujourd’hui dans une sous-région de plus en plus instable et mouvementée. Ils dissiperont aussi la désagréable impression qu’ont beaucoup de Tunisiens que Washington est seulement soucieuse de l’avenir des Frères musulmans et du maintien du pouvoir d’Ennahdha en Tunisie.
Les parlementaires américains recueilleront ainsi les opinions des Tunisiens, pour ainsi dire à la source, comme ils le font dans leurs circonscriptions électorales lors des élections aux États-Unis ou à travers leurs contacts avec leurs électeurs lors des visites dans leurs Etats respectifs (diplomatie publique, diplomatie citoyenne). Cela leur permettra de situer de manière objective leurs discussions avec les officiels tunisiens, avec les représentants des partis et avec des activistes de la société civile, et surtout de dissocier le bon grain de l’ivraie…
Les Tunisiens n’en veulent pas de la «démocratie américaine»
De telle manière, les membres de la délégation parlementaire américaine sauront bien de choses… Ils sauront que la liberté d’expression est une réalité en Tunisie, que les Tunisiens sont strictement attachés à la prééminence de la loi et du droit, qu’ils souscrivent massivement aux mesures exceptionnelles annoncées par le président Saïed et à son combat pour une vraie démocratie, qui soit non-soluble dans l’argent sale de corruption. On sait ce que la corruption a fait de la «démocratie américaine» imposée par l’US Army en Afghanistan et en Irak…
Ils se rendront également compte que le peuple tunisien ne se reconnaît nullement dans l’islam politique et rejette en bloc le parti islamiste Ennahdha dont l’image est associée aujourd’hui dans l’opinion publique à la faillite économique et à la corruption généralisée.
De telle manière, la délégation américaine pourrait avoir le cœur net et démontrera au monde entier son souci réel de la démocratie et des droits de l’homme, conformément aux aspirations des peuples libres et souverains. Dans le même temps, elle contribuera à l’amélioration de l’image de son pays, actuellement très dégradée, et la préservation de ses intérêts en Tunisie et dans la région du Maghreb.
* Ancien ambassadeur.
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